La radio surfe sur la mobilité
Personne n aurait pu prédire que France Culture se hisserait au rang des stations de radios les plus podcastées de l'Hexagone. Pourtant, c'est chose faite depuis l'été dernier. Avec 2,4 millions d'émissions téléchargées sur Internet en septembre 2010, la station culturelle de Radio France figure en quatrième position, derrière Europe 1 (4,5 millions de téléchargements), France Inter (3,7 millions) et RTL (2,8 millions) . Tels sont les résultats de la dernière étude «Catch up radio» de Médiamétrie, qui mesure la durée d'écoute des podcasts, des streamings et des webradios. En février dernier, France Culture devançait RTL et occupait la troisième place du podium. Pour autant, le duel entre ces deux stations est loin de s'opérer sur le terrain de l'audience. Certes, d'après les dernières mesures de Médiamétrie de juillet et août 2010, France Culture enregistre une progression de son audience cumulée (1,6 %, soit une hausse de 0,2 point par rapport à l'an dernier). Mais avec 800 000 auditeurs par jour, elle demeure modeste. Surtout que RTL, première radio française, en compte quotidiennement plus de six millions.
Et si ce «rebond» d'audience était symbolique du renouveau de la consommation de la radio? « France Culture, que l'on aurait pu estimer ringardisée par le monde de l'Internet, démontre, tout au contraire, qu'elle y a sa place », expliquait Bruno Patino, ancien directeur général de la station, dans une tribune accordée au Nouvel Economiste, au printemps dernier. Durant deux ans aux commandes de la radio, l'homme s'est engouffré dans la révolution radiophonique en marche, en développant, son écoute sur le Web: « La radio va considérablement évoluer, utiliser d'autres canaux de diffusion, mais il faudra s 'habituer à vivre avec la raréfaction du transistor », ajoute-t-il.
Olivier Reinsbach (SNCF):
« La radio est le meilleur moyen de toucher les auditeurs nomades. »
Média leader en mobilité
Pour David Bernier, responsable des études radio chez Médiamétrie, l'analyse de ce succès s'explique par la consommation spécifique des auditeurs internautes: « La radio est un média instantané. A l'inverse, sur Internet, on peut prendre le temps de redécouvrir des programmes qui ne traitent pas d'une actualité. » Autrement dit, si les auditeurs ont tendance à podcaster davantage d'émissions culturelles, c'est parce qu'elles ont moins de rapport au temps que le sport ou les informations. En effet, si ces dernières ont récolté moins de 3,3 millions de téléchargements en septembre, les émissions culturelles, elles, en génèrent près de 4,2 millions sur la même période. Des chiffres qui laissent à penser que les auditeurs délaissent de plus en plus la bande FM pour la Toile. En effet, selon Médiamétrie, plus de deux millions de personnes écoutent la radio, chaque jour, sur un autre support qu'un poste traditionnel. Et parmi les outils les plus utilisés figurent l'ordinateur et le téléphone mobile (en un an, le taux d'équipement avec fonction «radio» a progressé de près de 50 %), avec respectivement 830 000 et 700 000 auditeurs quotidiens. Suivent le baladeur MP3 et la télévision. « Ces nouveaux outils d'écoute constituent de véritables relais de croissance pour la radio, constate David Bernier. Puisqu'il est le plus apte à jouer sur la mobilité c 'est sans nul doute le média le plus prometteur. »
Si l'Internet fixe et mobile ouvre d'autres horizons à la radio, il multiplie aussi les combinaisons: radios par genre (pop rock, hip-hop, etc.), par thème (PSG Radio, Allociné La Radio), ou encore par artiste (Candy Station, la radio officielle de Madonna ou encore Tokio Hotel Radio)... Lancé il y a deux ans, le bouquet de radios numériques regroupé sous le titre générique de Goom Radio exploite les possibilités immenses de la Toile. Mieux encore, le temps de quelques clics, Goom Radio propose aux internautes de créer leur propre radio. Autant de solutions qui contrastent avec l'offre étriquée des stations musicales traditionnelles: « Entre 2000 et 2008, seuls 4 % de la production musicale ont été diffusés en radio-télé, remarque Robert Ciurleo, cofondateur de Goom Radio et ancien directeur des programmes de NRJ. Il existe cinq à six millions de titres disponibles sur iTunes, et seuls 4 % du catalogue réalisent 80 % du chiffre d'affaires ». C'est dire s'il reste de la place pour occuper le secteur des webradios. Au détriment des radios musicales qui circulent sur la bande FM? « Les radios musicales n'ont plus le monopole, remarque Patrick Eveno, maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l'histoire des médias. Non seulement parce qu 'Internet ravage tout sur son passage, mais aussi parce que les auditeurs vieillissent. Les formats que proposent les radios ne s 'adaptent pas à l'offre croissante de la concurrence sur le Web. »
La FM se met au numérique
Certes, les radios numériques challengent leurs aînées de la FM. Mais ces dernières se lancent aussi sur le Web, pour distancer ces nouvelles formes de concurrence, à l'image de NRJ, qui a décliné son navire amiral en 23 webradios thématiques. « L'objectif est que la totalité de nos marques soit présente sur toutes les plateformes, assure Kevin Benharrats, président de NRJ Global. Sur les smartphones, l'application NRJ est présente sur OviStore (Nokia) et sur Bada (Samsung). Nous préparons la sortie d'applications Android dans les prochains mois. » De même, le groupe NRJ est premier au classement des applications radios téléchargées sur iPhone (2 millions, selon iTunes Connect). « Les grands groupes profitent de leur notoriété pour trouver le succès plus rapidement sur le Web », explique Patrick Eveno. Pour preuve, si NRJ compte 2,5 millions de visiteurs uniques par mois, Goom n'en comprend qu'une centaine de milliers. Par ailleurs, Goom revendique 4,3 millions d'auditeurs mensuels. Ce qui, d'après les mesures d'audience des radios FM de Médiamétrie sur la période d'avril à juin 2010, reste très loin derrière les 6,3 millions d'auditeurs quotidiens de RTL sur la FM. Même NRJ, qui n'est plus la première radio de France depuis plusieurs années, rassemble encore 5 millions d'auditeurs chaque jour et vient même de remonter sur le podium des radios les plus écoutées. Et c'est sans compter les autres antennes du groupe (Chérie FM, Rire & Chansons et Nostalgie), qui regroupent plus de 6 millions d'auditeurs quotidiens. Ainsi, malgré l'irruption des radios numériques, la bande FM n'est pas prête de s'éteindre. « Le poste a encore un avenir, avance Patrick Eveno. Que ce soit demain ou dans 50 ans, nous ne sommes pas prêts de nous en séparer. »
SNCF La radio, un support dédié aux voyageurs mobiles
SNCF La Radio est le nom de la webradio d'information trafic mobile qu'a créé l'entreprise ferroviaire en janvier dernier, en partenariat avec Goom Radio. « Au départ, notre objectif était de nous rendre utiles, en informant les voyageurs sur l'état du trafic en temps réel et en toutes circonstances. Mais étant donné les bonnes audiences de la radio, on a décidé d'élargir notre grille de programmes », explique Olivier Reinsbach, directeur des marques à la SNCF.
En effet, au moment de son lancement, la radio avait pour seul objectif de diffuser quotidiennement de six heures à 21 heures des flashs d'information géolocalisée toutes les 15 minutes (peu importe la région, l'usager peut prendre connaissance des conditions de circulation sur le réseau qui le concerne directement). Mais le bon démarrage de la station (700 000 auditeurs par mois, selon Médiamétrie) a fait revoir les plans de la radio à la hausse. Depuis le 20 septembre, l'animatrice Tania Young (la miss météo de France 2) présente chaque jour, sur la webradio, l'émission culturelle «Le 17/20», une tranche horaire qui représente le pic d'audience de la radio IP. Par le biais de ce nouveau programme, la SNCF compte bien montrer qu'elle peut grappiller des parts d'audience aux grandes stations. « Face au déclin de la FM, l'objectif est de se faire une place dans le paysage des radios généralistes comme musicales », avoue Olivier Reinsbach. Pas facile de jouer dans la cour des grands, au milieu des marques médias globales, telles que Virgin Radio ou NRJ. Mais la SNCF compte aussi devenir un groupe média. Comment? En multipliant ses canaux de diffusion: iPhone (un million de téléchargements entre son lancement et septembre dernier), radios wi-fi, site de la SNCF, parcs de stationnement des gares, etc. SNCF La Radio profite de l'ombrelle de la marque mère pour se diversifier et occuper toujours plus les habitudes de consommation des médias des Français. « La radio est le meilleur moyen de toucher les auditeurs nomades, ajoute Olivier Reinsbach. A l'avenir, il faudra faire en sorte que l'usager soit connecté en permanence. »
« Skyrock.com, c'est 15 millions de visiteurs uniques chaque mois dans le monde »
Interview - Première radio en France chez les moins de 30 ans, Skyrock conforte également sa position sur internet. Plus de précisions avec Pierre Bellanger, p-dg de Skyrock.
MM: Les technologies nomades sont-elles une promesse de réussite du média radio?
Pierre Bellanger: L'offre radio la plus diverse et la mieux intégrée à nos nouveaux modes de consommation de la musique et des médias se trouve sur Internet. Jusqu'à présent, le Web n'avait pas la mobilité des récepteurs radio traditionnels. Avec l'Internet mobile, la webradio se retrouve sur tous les terminaux mobiles capables de restituer le son, ce qui constitue une révolution. Nos applications radio pour Skyrock rassemblent déjà des centaines de milliers d'auditeurs par mois et ce n'est qu'un début.
MM: Pour fidéliser vos auditeurs, quelles stratégies adoptez-vous sur internet et sur les smartphones?
PB: Ce qui est clair, c'est que l'amplitude du choix favorise le changement de programme. Une grille des programmes banalisée et sans personnalité est en danger. Ce n'est pas notre cas. Skyrock est une radio vivante, qui dialogue de façon instantanée avec ses auditeurs. C'est la première station des moins de 35 ans, avec plus de quatre millions d'auditeurs chaque jour. Quant à Skyrock.com, il est le premier réseau social de blogs français et européen, avec plus de 15 millions de visiteurs uniques chaque mois en France et dans le monde. C'est aussi plus de deux millions de posts chaque jour et plus de 30 millions de blogs actifs.
MM: Doit-on, comme à l'image de la presse écrite, chercher un nouveau modèle économique pour la radio?
PB: Le modèle de la radio populaire est excellent: gratuité pour les auditeurs et financement publicitaire. Les micro radios, telle Radio Paradise, qui ciblent des petits publics avec des moyens modestes, souvent rentabilisés par des dons, peuvent créer de nouveaux modèles, grâce à Internet. La radio dans dix ans, c'est celle de toujours: un accompagnement sonore qui rend la vie meilleure.