La question humaine bouge encore
Dans son roman la Question humaine, l'écrivain François Emmanuel* rappelle
qu'une entreprise n'est pas désincarnée en raison de "l'exigence de la loi du
marché" mais qu'elle est aussi façonnée par les pathologies individuelles et
les tentations totalitaires de ses dirigeants. Son héros Simon est psychologue
industriel (sic) dans une multinationale allemande. Dans le département dit des
ressources humaines, il est chargé de la sélection du personnel et des
séminaires destinés aux cadres. "Il était dans mon rôle de canaliser ceux-ci
vers le seul objectif qui m'était assigné : faire des cadres des soldats, des
chevaliers d'entreprise, des subalternes compétitifs. " Le personnage se
retrouve pris au piège d'enjeux de domination et de rivalités pathologiques. Il
est amené à enquêter sur le passé des chefs. Il prend connaissance d'une note
de plusieurs pages datée du 5 juin 1942 estampillée Affaires Secrètes de
L'Etat. L'auteur reproduit dans son roman un texte connu des historiens de
l'Holocauste. "Depuis décembre 1941, quatre-vingt-dix-sept mille (1) ont été
traités de façon exemplaire avec trois voitures dont le fonctionnement n'a
révélé aucun défaut. L'explosion qui a eu lieu à Kulmhof doit être considérée
comme un cas isolé. Des instructions spéciales ont été adressées aux services
intéressés pour éviter de tels accidents. Ces instructions ont considérablement
augmenté le niveau de sécurité." Suivent sept paragraphes qui détaillent les
modifications techniques avec rigueur et précision. Elles ont pour objectif la
performance et l'optimisation des équipements de ces camions dirait-on
aujourd'hui. On croirait lire un cahier des charges de design industriel. Mais
ces véhicules étaient destinés à gazer des êtres humains durant leur transport
jusqu'à un puits de mine où étaient jetés leurs cadavres. Vive la qualité
totale et le zéro défaut! (1) A aucun moment le cahier des charges cité dans
le roman n'évoque le fait qu'il s'agit d'éliminer des êtres humains. * La
Question Humaine, de François Emmanuel. Editions Stock.