La presse internationale surfe sur la vague de la mondialisation
Limitée à deux ou trois titres, il y a 20 ans, la presse internationale n'a cessé depuis de faire des petits pour rassembler aujourd'hui une douzaine de quotidiens et magazines. Essentiellement anglo-saxons et diffusés dans la langue de Shakespeare, ils s'adressent à la crème de la crème des lecteurs, des leaders d'opinion aux managers de multinationales. Si leur diffusion reste localement limitée, ils voient leur portefeuille publicitaire gonflé par le courant porteur de la globalisation des affaires.
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Nous avons tous en mémoire la scène et la voix de Jean Seberg vendant
l'International Herald Tribune à la criée sur les Champs-Elysées dans le film
"A Bout de souffle" de Jean-Luc Godard. Lancé il y a plus d'un siècle à Paris,
comme une édition du New York Herald Tribune, le quotidien a longtemps été le
seul titre à vocation internationale diffusé en Europe. Il aura fallu le
débarquement de Time dans les poches des GI's, puis l'arrivée de Newsweek pour
que le concept de médias internationaux s'installe véritablement sur le Vieux
Continent. Qu'elle soit généraliste, comme les trois exemples précités,
spécialiste de l'économie mondiale, comme Le Financial Times, Fortune ou le
Wall Street Journal, ou plus centrée sur le culturel, comme National Geographic
ou Sélection du Reader's Digest, cette presse à vocation internationale est
aujourd'hui incontournable pour un certain type de lectorat et d'annonceurs. «
Elle s'est notamment développée au fur et à mesure de la montée en puissance
des marchés boursiers parce que Wall Street et la City sont plus importants que
le Palais-Brongniart et que l'anglais est la langue des affaires. Mais sa
pénétration demeure toutefois limitée, estime Luciano Bosio, directeur du
département presse chez Carat Expert. En France, le marché des médias nationaux
est non seulement très fort, mais également lui-même ouvert sur l'information
internationale. » Si les responsables des médias internationaux reconnaissent
volontiers être complémentaires de la presse nationale, et tout
particulièrement en Europe, ils contre-attaquent, en revanche, en choeur à
l'argument de la diffusion limitée en mettant en avant son aspect haut de
gamme. « Ce qu'il faut voir, c'est que la presse internationale a réussi à
créer un marché en s'implantant sur des marchés qui n'étaient pas naturels pour
les titres et ce, en étant extrêmement innovante en termes d'études, de
communication, de moyens de diffusion, indique Jean-Christophe Demarta,
directeur de la publicité Europe de l'International Herald Tribune. Simplement,
elle s'adresse à une élite et qui dit élite dit lectorat et diffusion limités.
»
UN LECTORAT HAUT DE GAMME
Les études menées
régulièrement par des organismes comme EMS ou EBRS (European business research
survey) confirment, en effet, le profil "crème de la crème" du lectorat de ces
titres. Le poids des leaders d'opinion y est supérieur à la moyenne, une
population que Frédéric Blandin, directeur de la publicité pour la France de
Newsweek International, définit comme « ceux qui, dans l'année, ont écrit un
livre, donné des conférences, des interviews... ». Les top managers
d'entreprises internationales sont également surreprésentés dans le lectorat
des principaux quotidiens et magazines. Globalement, le lecteur de ce style de
presse est aux trois quarts masculin, les Etats-Unis et la France étant les
deux seules exceptions en matière de mixité. Il est, par ailleurs, à 90 %
abonné à son journal qu'il préfère recevoir à domicile plutôt qu'au bureau. A
titre d'anecdote, ce choix a obligé les équipes de Newsweek Amérique Latine,
qui distribuent le magazine par portage, à se transformer en clones d'Indiana
Jones pour livrer les haciendas les plus reculées... Le lecteur de presse
internationale fait également montre d'une fidélité à en faire rêver plus d'un
: un peu plus de 8 ans pour Time en Europe, 10 ans pour Newsweek, par exemple.
Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, ce lectorat est loin de se
limiter aux Américains expatriés. Il est, au contraire, majoritairement issu de
la zone géographique de diffusion du titre (plus de 80 % pour Time et Newsweek,
60 % pour l'International Herald Tribune). « Le Herald Tribune est d'ailleurs
cité dans les revues de presse matinales d'Europe 1 ou de France-Inter, au même
titre qu'un quotidien national », se félicite Jean-Christophe Demarta.
DES ÉDITIONS INTERNATIONALES PLUS LOCALES
Pour cette
raison, mais aussi pour répondre à des objectifs de diversification
publicitaire, certains titres ont choisi ces dernières années de développer des
éditions plus locales, réalisées directement dans la langue de la zone
régionale, ou toujours en anglais mais conçues en partenariat avec des titres
locaux. C'est le cas, notamment, de Business Week ou encore de Newsweek. Le
titre du groupe Washington Post a, en effet, lancé en juin dernier une édition
du magazine en arabe, après 9 mois de tests. C'est la cinquième édition en
langue locale après Newsweek Nihon Ban, lancé au Japon en 1986 (130 000
exemplaires), Hankuk Pan en Corée (90 000 exemplaires), Itogi en Russie (85 000
exemplaires) et l'édition espagnole destinée à l'Amérique Latine (52 000
exemplaires). « C'était un pari qui demandait des moyens lourds mais que nous
avons finalement réussi, alors que d'autres s'y sont cassé les dents », se
félicite Frédéric Blandin. Pour sa part, le géant Time a préféré ne pas
continuer dans cette voie. « Toutes nos éditions sont en anglais, à l'exception
de l'Amérique Latine où une partie est insérée dans des quotidiens nationaux
avec lesquels nous avons des accords, raconte Isabelle Mollat du Jourdin,
directrice de la publicité de Time France. Nous pensons que ce n'est pas une
orientation rentable et qui, de plus, ne va pas dans le sens de la
globalisation. » Une vision qui n'est pas celle de quotidiens comme Financial
Times ou encore International Herald Tribune. Ce dernier développe, en effet,
depuis trois ans une politique de partenariat avec un grand quotidien, qui se
traduit par l'insertion dans ses pages d'un cahier spécial de nouvelles locales
reprises dans le quotidien et traduites en anglais. Une politique qui
fonctionne déjà en Allemagne avec Frankfurter Allgemeine Zeitung, en Italie
avec Corriere Della Serra, en Israël avec Ha'aretz, en Grèce avec Kathimerini
et en Corée avec Joong Ang Ilbo. « Nous sommes aujourd'hui en discussion avec
des quotidiens français pour conclure un accord du même ordre », annonce Didier
Brun, directeur du développement de l'International Herald Tribune. Et ce
dernier d'expliquer que ces partenariats ont notamment permis de développer des
ressources publicitaires plus locales auprès d'annonceurs comme des sociétés de
télécommunications en Italie, « gros annonceurs cette année », ou encore de
marques d'automobiles en Israël et en Grèce. « Nous avons lancé cette année en
Allemagne un couplage publicitaire, hors les cahiers, entre les deux
principales éditions du Frankfurter Allgemeine Zeitung et notre titre, ajoute
Jean-Christophe Demarta. Rien ne nous empêche d'imaginer demain une alliance
publicitaire simultanée avec plusieurs quotidiens européens. »
BEAUCOUP DE B TO B, PEU DE B TO C
Mais jusqu'à présent,
comme le constate Luciano Bosio, l'essentiel du volume publicitaire généré par
ces médias reste le fait de préconisations internationales et non pas locales.
Les campagnes de lancement de produits y sont rares à l'exception de secteurs
comme l'automobile haut de gamme, la parfumerie et l'horlogerie de luxe, voire
la mode pour l'International Herald Tribune, qui a acquis une forte légitimité
dans ce domaine via des rédactrices stars comme Suzy Menkés. « L'essentiel de
notre marché se fait avec la communication institutionnelle, on nous utilise
notamment beaucoup pour les rachats, changements de nom de société, entrée en
Bourse et tout message touchant à l'économie globale », explique Isabelle
Mollat du Jourdin. « L'année 2000 a été une année exceptionnelle car du fait du
bon climat d'affaires général, les grands institutionnels sont revenus
massivement », ajoute Frédéric Blandin, qui cite, par exemple, Alsthom,
Alcatel, Framatome, Lyonnaise des Eaux, Vivendi, etc. Qui dit campagnes
institutionnelles dit souvent opérations commerciales spéciales. « Nous vendons
effectivement de moins en moins de pages seules mais plus de partenariat sur
mesure », confirme Isabelle Mollat du Jourdin. Le leader de la presse magazine
s'appuie pour cela sur la force du groupe en développant, par exemple, des
synergies avec Fortune et CNN pour proposer un package publicitaire et
promotionnel. Une force de frappe que le rachat du groupe Time Warner par AOL
devrait encore décupler.
L'International Herald Tribune relooke son site
« Nous étions sur le Web depuis 1997 mais avec un site qui était trop basique, plus fait pour dire que nous y étions présents, raconte Didier Brun, directeur du développement de l'International Herald Tribune. Le nouveau site, iht.com, que nous avons relancé mi-novembre, offre beaucoup plus de contenu. » L'installation des partenariats avec des quotidiens européens et la lourdeur des budgets consacrés par le New York Times et le Washington Post, les deux actionnaires du Herald Tribune, à la mise au point de leur propre site, expliquent ce relancement tardif. On trouve ainsi aujourd'hui sur iht.com l'intégralité du journal, qui sera complété, l'an prochain, par une édition spécifiquement dédiée à Internet. Ses créateurs ont voulu éviter « tous les gadgets qui surchargent, pour privilégier la simplicité d'utilisation et d'accès à l'information », dixit Didier Brun. Le site propose, en revanche, quelques outils comme le clipping, qui permet de sauvegarder les articles pour les lire plus tard, ou offre également la possibilité d'agrandir ou de réduire la taille des caractères, de lire de gauche à droite ou de haut en bas, etc.