La presse gratuite étend sa toile
Avec pas moins de 98 nouveaux titres créés entre 2001 et 2007, les gratuits ne ralentissent pas la cadence. Une compétition qui pousse les titres historiques et pérennes à ajuster leurs modes de distribution pour coller aux attentes du marché, mais aussi à chercher des relais de croissance sur le Web pour étendre l'audience de leur marque.
Je m'abonneLe 11 avril dernier devrait rester une date importante dans l'histoire de la presse gratuite. Il s'est produit un double événement jugé totalement impensable il y a encore six ans. Ce vendredi-là, les lecteurs de Libération ont eu la surprise de se voir offrir leur journal. Diffusé gratuitement pour l'occasion à 500000 exemplaires, le quotidien s'est donné pour un jour la puissance d'un gratuit grâce au soutien publicitaire de 11 grands annonceurs. Cette opération, imaginée par Posterscope, agence spécialisée en communication hors foyer, était soutenue par le slogan publicitaire «Le 11 avril, Libération est gratuit. Lisez-le, vous comprendrez pourquoi il est payant», diffusé en radio, sur Internet mais aussi dans les pages de... Métro. Un choix qui a fait grincer quelques dents à la rédaction du quotidien gratuit. «Mais nous l'avons globalement vécu comme une reconnaissance... Surtout quand on se rappelle combien Libération, comme les autres payants d'ailleurs, nous ont tapé dessus lors de notre lancement, en 1992», sourit Michael Bitan, directeur général de Métro France.
Métro s'est d'ailleurs offert le luxe de publier la réponse du berger à la bergère, le 26 mai, en déclinant dans les pages de Libération sa nouvelle campagne signée «Métro, les faits», créée par l'agence CLM BBDO. Démarrée en mars en affichage, presse et Internet, elle est illustrée par cinq visuels d'un personnage vêtu de noir qui manipule des individus en les poussant à la faute ou en conditionnant leur mouvement, dans le cadre de situations de la vie quotidienne urbaine. «C'est la première fois que nous communiquons sur notre contenu et c'est le bon moment, au regard de la progression de nos résultats d'audience», explique Michael Bitan. Six ans après leur lancement en France, les quotidiens gratuits d'information ont, en effet, de bonnes raisons d'être satisfaits. La dernière vague EPIQ TNS-Sofres2007 (LNM 15 ans et plus) a confirmé qu'avec 2526000 lecteurs, 20 Minutes était, pour la seconde fois, le quotidien le plus lu en France, suivi de Métro (2323000 lecteurs). Le premier payant arrive en troisième position, il s'agit de L'Equipe, médaille de bronze avec 2 302 000 lecteurs, devant Le Monde (2030000) et Le Parisien/Aujourd'hui en France (2004000). LeFigaro (1196000) et Libération (890000) suivent de loin. Mais comme le note Julie Costes, directrice marketing et communication de 20 Minutes, «il y a toujours une différence de perception entre celle de nos lecteurs et celle du marché. Nous avons encore un travail de notoriété à mener auprès des annonceurs et des leaders d'opinion». Un travail qui passera notamment par une campagne de communication orchestrée par l'agence de communication La Chose, à la rentrée, en même temps que le lancement d'une nouvelle maquette. Mais, plus globalement, l'ensemble des gratuits doivent fournir des chiffres précis sur la réalité de leur distribution.
Michael Bitan (Métro):
«Nous faisons évoluer notre site internet de manière différente au fur et à mesure de la journée.»
Paru Vendu décline sa marque
- «Bienvenue sur ParuVendu Windil, votre nouveau site d'achat et de vente de produits des univers loisirs, high-tech, famille et maison». Sur www.windil.fr, on peut en effet découvrir la nouvelle extension de marque du premier réseau français de presse gratuite d'annonces. Un site de bonnes affaires à la manière d'eBay, tout juste mis en ligne, et dont le contenu sera également repris dans le magazine. «Il s'agit d'un produit complémentaire pour toucher les plus jeunes», explique Gérard Hullot, directeur marketing et communication. En quatre ans, ParuVendu est devenu une marque unique qu'Hersant Media continue de décliner sur différents supports afin d'élargir encore l'audience du titre. Toutes ses petites annonces sont ainsi sur l'Internet mobile depuis le début de l'année, sans que le titre ait vraiment fait de bruit autour de ce développement. Surtout connu grâce à ses 280 éditions locales (19,2 millions de journaux chaque semaine), il est de mieux en mieux distribué dans la capitale et sa petite couronne, seule région où l'hebdomadaire propose une partie rédactionnelle. ParuVendu Paris est ainsi disponible en présentoir dans les parkings Vinci, les Club Med Gym et les magasins Virgin Megastore, parallèlement à sa distribution par colportage. «Nous essayons d'être partout car nous sommes d'abord une marque de proximité», rappelle Gérard Hullot. Déjà très présent en sponsoring sportif au niveau local et en publicité (télévision, affichage et radio), ParuVendu vient de commencer à investir un nouveau territoire: le placement de produit au cinéma. Il apparaît ainsi dans trois films sortis en avril et mai derniers.
Affiner les outils de mesure
Première disposition prise par les gratuits: adopter les Déclarations Déposées Mensuelles de l'OJD afin de favoriser une diffusion plus rapide de leurs chiffres de mise en distribution. «C'était nécessaire pour répondre à la fois à un souci de transparence mais aussi de rapidité, car auparavant il fallait attendre six mois avant de les obtenir, ce qui était trop long pour notre modèle économique, souligne Michael Bitan. Mais nous devons maintenant répondre à une seconde demande, celle de la mesure des retours.» Dans un marché où trop d'éditeurs cherchent encore à faire passer les exemplaires mis en distribution pour des exemplaires distribués alors qu'il est manifeste sur les points de distribution qu'une partie des volumes n'est jamais prise en main - les poids lourds du média ont entamé un gros chantier avec l'OJD pour mettre en place, d'ici à la fin de l'année, un dispositif de certification du nombre d'exemplaires effectivement distribués, donc diffusés. «C'est un investissement de quelque 600000 euros que va devoir financer le bureau de la presse gratuite, précise Bruno Zaro, directeur général des éditions A Nous et nouveau président de l'Association pour le développement de la presse gratuite d'information (ADPGI). Suivre «la vie du rack» à chaque étape et d'un type de réseau à l'autre est très compliqué, mais nous avons les outils pour le faire.» Comme le relève Julie Costes: «Nous ne sommes pas des distributeurs de papier, mais de contenu. A 20 Minutes, le taux de reliquat est inférieur à I% . Nous travaillons à gérer et optimiser le phénomène de rareté, également pour augmenter le taux de circulation.
II est actuellement de 3,3, soit relativement proche de celui des quotidiens payants qui se situe entre 4 et 4,5.» Ces gages donnés au marché publicitaire sont d'autant plus nécessaires que les gratuits ont déjà bien pris leur place dans les plans médias.
Selon l'Irep, en 2007, sur les 11,75 milliards d'euros qu'a récoltés la presse écrite (+ 1,2%), les recettes des quotidiens nationaux ont baissé de 8,6% tandis que celles des gratuits d'information ont progressé de 10,4 %. «Nous proposons une nouvelle offre puissante qui s'adresse aux jeunes actifs urbains, une cible qui est un peu le Graal des publicitaires, note Marc Lewitanski, directeur général et vice-président de Mediatrack. Ces titres permettent de croiser une logique de masse avec une logique de forte couverture sur un territoire clairement défini. C'est pourquoi il est nécessaire de disposer d'outils de mesure précis, particulièrement sur le plan local où la couverture des gratuits n'est pas uniforme.» Et Sophie Renaud, directrice du département presse d'Aegis Media Expert, de renchérir: «La démultiplication de l'offre, et donc du choix pour les annonceurs, fait que nous avons besoin de chiffres et d'outils pour affiner nos plans. Nous attendons qu'ils nous nourrissent sur leurs différences.»
Une nouvelle forme de distribution
.La problématique n est cependant pas la même selon qu'il s'agit de quotidiens ou de magazines à périodicité longue, allant de l'hebdomadaire au bimestriel. Les conditions de la mise en distribution sont encore plus difficiles pour ces derniers qui se heurtent, en plus, à la difficulté de fidéliser leur lectorat. C'est justement sur cette problématique qu'a misé Editéo pour développer un concept qui fait de nouveaux adeptes. «Il permet de donner des rendezvous aux lecteurs tout en mutualisant la diffusion sur des réseaux identifiés et certifiés OJD», déclare Guillaume Salabert, fondateur de la société il y a deux ans. Pour mettre au point ces réseaux, il s'est appuyé sur l'expérience acquise avec la société Reflex Immobilier qu'il avait créée il y a une dizaine d'années.
Editéo propose aujourd'hui des réseaux de distribution de presse gratuite, comme Cibléo Citydiffusion qui est implanté dans plus de 4000 commerces de proximité en France, ou MediaGolf, qui devrait être présent dans 300 golfs d'ici à la fin de l'année. Cette société a également renforcé son dispositif avec le réseau Cibléo Virgin France. Installés à l'entrée des magasins, ces totems accueillent des magazines gratuits comme Sport, Infrarouge, Néoplanète, Economie Matin, Vacances Pratiques ou Bubble Mag. «Nous avons adopté ce mode de distribution dès la création de Bubble Mag, l'an dernier en Ile-de-France, et il nous a beaucoup aidés à tester le concept et la mesure de la prise en main, raconte Anne-Laure Poullain, cofondatrice du bimestriel pour les parents d'enfants de 0 à 12 ans. Nous poursuivons maintenant avec les cinq éditions que nous avons lancées cette année dans dix grandes villes.» Diffusé à 205000 exemplaires, en cours de certification OJD, Bubble Mag est également présent dans 800 points de distribution, tels que les crèches, les écoles, les boutiques de mode et les lieux de culture. Le concept de distribution d'Editéo a également été adopté par les éditions A Nous, dont le titre est présent depuis le début de l'année dans 45 magasins Virgin à Paris, Lyon, Marseille et Nice. «Il y a une cohérence de cibles, une proximité des univers produits et des territoires de marques, et une puissance de fréquentation qui sont autant d'éléments concordants pour que l'opération soit un relais de visibilité efficace et un succès de prise en main pour A Nous», estime Bruno Zaro. Après une année 2007 consacrée à installer le plan de marche du titre, A Nous continue à travailler les conditions de sa mise en distribution. Il renforce notamment sa présence dans les parkings de Lille, Lyon, Marseille et Nice et teste la distribution de 10000 exemplaires du quinzomadaire A Nous Lille par colportage. Ce mode de distribution devrait être étendu aux autres éditions en régions, à l'occasion du lancement de la nouvelle formule, le 9 juin, «sachant qu'il restera limité à hauteur de 10000 à 12 000 exemplaires colportés, le concept du magazine ne se prêtant pas à plus». Pour le groupe Roularta, éditeur des titres A Nous, l'optimisation de la diffusion du news urbain passera également par l'ouverture de deux nouvelles éditions, dont une à Nantes d'ici à la fin de l'année.
Hélène Fromen (20minutes.fr):
«L'audience de notre site n'est plus uniquement concentrée le matin. Nous sommes désormais en concurrence avec les sites des magazines payants.»
Des gratuits version pro
La segmentation galopante ne concerne pas que la presse grand public. Depuis près de trois ans, elle s'est également étendue à la presse professionnelle. Notamment dans les secteurs de l'automobile et du bâtiment, avec le lancement du groupe Gratuit Pros. Ses fondateurs,'Philippe Paulic et Bertrand Tarisien, ont décidé de le faire savoir au marché en communiquant dans les médias spécialisés ainsi que sur les écrans de la chaîne Du Côté de chez vous, en mai et juin derniers. Sur un ton volontairement décalé, la campagne présente Auto Gratuit Pros et Bati Gratuit Pros, deux mensuels lancés respectivement en octobre 2005 et en novembre 2007, dont la particularité est de s'adresser à tous les professionnels de ces secteurs. «Ils sont totalement transversaux, avec un coeur de cible middle-management car il y a trop d'oubliés de l'info dans la presse professionnelle», explique Bertrand Tarisien, ex-éditeur du pôle auto pro d'Emap. «Notre objectif est de développer les compétences en offrant l'accessibilité à l'info», ajoute Philippe Paulic, qui a notamment participé à la création du mensuel Linéaire Auto.
Auto Gratuit Pros (93538 exemplaires en diffusion moyenne certifiée OJD) est destiné aux professionnels de la filière «commerce et réparation auto et est mis à disposition dans plus de 2000 points de vente. D'après ses fondateurs, il devrait atteindre l'objectif des 125000 exemplaires en 2008. Bâti Gratuit Pros est, quant à lui, diffusé à 150000 exemplaires distribués dans 200 points de vente d'enseignes de négoce et de distribution. L'un et l'autre font l'objet de cinq éditions régionales. Les créateurs du groupe Gratuit Pros affichent de grandes ambitions à court terme: deux nouveaux titres spécialisés devraient voir le jour cette année, deux autres en 2009 et trois en 2010. Philippe Paulic et Bertrand Tarisien ont cependant pris leurs précautions en s'appuyant sur un partenariat avec ParuVendu, qui va de la fabrication à la régie commerciale.
Développements sur le Web
Les quotidiens gratuits, eux, ne cherchent pas encore à étendre leur diffusion. «Il nous faut - assurer la viabilité du modèle économique avant d'envisager de nouveaux développements, glisse Julie Costes. L'édition de Strasbourg, par exemple, est toujours en construction.» Pour le titre comme pour ses concurrents, le développement de la marque passe en revanche par le Web. Le site internet 20minutes.fr, qui revendiquait 2 671000 visiteurs uniques en mars, a pour l'instant pris une longueur d'avance sur ce terrain. «L'audience n'est plus déséquilibrée et concentrée le matin, comme auparavant. Nous sommes maintenant en concurrence directe avec les sites des payants, affirme Hélène Fromen, directrice des nouveaux médias. Forts d'une équipe dédiée qui a été renforcée, et d'un ton volontairement décomplexé, destiné à faire réagir les internautes, nous bénéficions d'une audience solide. Un internaute consomme en moyenne 20 pages et passe plus de 10 minutes sur le site.» S'appuyant sur cette tendance favorable, 20minutes.fr est également décliné sur l'Internet mobile depuis quelques semaines. Le site est accessible gratuitement sur tous les téléphones mobiles et sur iPhone, en tapant directement 20minutes.fr ou via Gallery pour les trois opérateurs mobiles. Le grand public a eu connaissance de ces évolutions grâce à une campagne de communication signée La Chose, en mai. Reste maintenant à rentabiliser ces développements, mission confiée à l'équipe commerciale dédiée qui vient précisément d'être renforcée. Pas de projet précis d'Internet mobile à l'horizon chez Métro, même si Michael Bitan affiche sa volonté d'être présent sur tous les fronts. Pour l'heure, la priorité est d'affiner la nouvelle version du site, lancée en mars. «L'objectif est de le faire évoluer de manière différente au fur et à mesure de la journée, en proposant de l'info le matin, plus de divertissement à midi et davantage de rubriques participatives le soir», explique Michael Bitan. Dans ce nécessaire développement sur le Web, les gratuits se retrouvent à mener le même combat que les payants. «Avec les médias numériques, la presse, plus que tous les autres médias, doit se justifier, estime Sophie Renaud. Les gratuits doivent donc montrer leur pertinence de marque grâce à un contenu éditorial de qualité.»