La nouvelle génération de consumer magazines
Evian qui propose «The Source», une plateforme internationale de contenus conçue comme un média social de nouvelle génération. Citroën qui lance un écosystème digital à mi-chemin entre le site corporate, le blog et les réseaux sociaux... Les supports de brand content que sont les consumer magazines explorent les nouvelles voies offertes par le digital. Certes, les «consumers» des versions papier constituent toujours l'exercice privilégié des marques pour instaurer une proximité, voire une intimité, avec les consommateurs. Certains n'ont d'ailleurs plus grand chose à envier aux vrais magazines. « Un consumer magazine bien fait peut être considéré comme un magazine à part entière », estime Daniel Bô, p-dg de Quali Quanti, institut d'études marketing. C'est le cas d'Happy Life, le magazine lifestyle du Club Med (310 000 exemplaires). Ou encore celui du trimestriel de l'enseigne de prêt-à-porter H&M. En 84 pages à dos carré, imprimé sur un papier brillant et épais, il s'inspire des codes de certains magazines féminins tels que Cosmopolitan ou Be ; il adopte un ton résolument «cool», complice de son lectorat, jeune et branché, qui dispose d'un budget modeste. H&M magazine offre des décryptages de tendances, des propositions de look, un guide pratique beauté, des interviews de top modèles, des idées de voyages, culture, etc.
Nathalie Legarlantezec (McDonald's France):
« Ces supports ne font référence ni à notre marque, ni à notre business.»
Autre exemple de brand content résolument grand public dans son approche, les consumers mag de Mc Do: Air le Mag et Air for Kids sont diffusés à 635 000 exemplaires dans les restaurants mais aussi disponibles en téléchargement et sur une appli iPad. Le premier s'adresse aux 15-35 ans et traite de sujets autour des loisirs (cinéma, DVD, people), de la société et de l'emploi. Le second, dédié aux parents, propose des idées de sorties pour les enfants, sur cinq grandes régions (Ile-de-France, Nord-ouest, Nord-est, Sud-Est, Sud-Ouest) . « Ces supports ne font référence ni à notre marque ni à notre business, car nous estimons que les clients nous ont déjà choisis et qu'ils viennent pour passer un bon moment, souligne Nathalie Legarlantezec, directrice de la marque McDonald's France. Le seul rôle de notre magazine consiste à suggérer des idées de sorties, dans un lieu synonyme de loisirs, comme Mc Donald's. »
Vers une plus grande personnalisation des contenus
Mais désormais, les annonceurs ne peuvent plus faire l'impasse sur les outils de communication éditoriale offerts par Internet. « Grâce aux sites, blogs, newsletters, clubs, applications mobiles et tablettes... , les marques peuvent développer des contenus plus ciblés. Et l'explosion des médias sociaux permet de répondre au refus des consommateurs d'être traités en masse: ils ne veulent pas être des numéros parmi tant d'autres », note Edouard Rencker, président de Makheia Group, agence de contenu éditorial. La puissance du Web ne réside pas seulement dans sa facilité à personnaliser, elle permet aussi aux marques d'interagir avec les consommateurs. « Sur le plan éditorial, les annonceurs peuvent rebondir sur cette capacité du public à collaborer au contenu ou à écrire sur des sujets sur lesquels ils sont légitimes », souligne Laurence Vignon, vice-présidente de Textuel La Mine, agence de communication éditoriale.
« Avec le digital, le brand content revient sur le devant de la scène »
3 questions à... Thomas Jamet président de Moxie, agence de création / entertainment / social media / innovation du groupe ZenithOptimedia (Publicis Groupe).
MM: Comment le concept de brand content est né?
Thomas Jamet: Le brand content n'a rien de nouveau. Depuis le début de la publicité, dans les années trente-quarante, le brand content consistait à proposer des soap operas. Procter & Gamble a été l'un des premiers annonceurs à mélanger le contenu à ses produits pour plaire à des consommateurs. Dans le but de capter l'attention des ménagères américaines, pendant leurs activités de ménage, le groupe a conçu des émissions de fiction pour placer son produit dans des situations du quotidien. Ainsi, la cliente qui effectuait ses activités, regardait le programme avec des thématiques à l'eau de rose, sponsorisé par Procter & Gamble. Le guide Michelin est l'un des premiers exemples de brand content print. Dans l'objectif de fidéliser sa clientèle, la marque de pneus a offert un service en rapport avec l'activité du voyage: un guide des meilleures tables.
L'arrivée du digital a-t-elle changé la donne?
Etant donné que le contenu à la télévision ou dans un magazine print se révèle très coûteux, le digital et les réseaux sociaux ont permis au brand content de revenir sur le devant de la scène. Dans cette nouvelle ère du brand content, la forme et le fond ont totalement changé et l'interactivité permet aux marques d'entretenir une nouvelle relation avec les consommateurs. On observe, par ailleurs, une hybridation entre le contenu, l'éditorial et la publicité. Pour autant, chaque média peut jouer un rôle dans une logique multicanal. D'ailleurs, aucun canal n'a finalement tué l'autre. La télévision se connecte au Web, le print se met en relation avec les réseaux sociaux, etc. Ce mélange des genres permet une grande créativité en matière éditoriale.
Le consumer magazine doit-il adopter certains principes?
Les annonceurs doivent comprendre qu'ils ne parlent plus à des consommateurs mais à une audience. Pour cela, ils abordent les centres d'intérêt de ce public, et ne racontent pas seulement la vie de la marque. Le consumer magazine doit répondre aux principes du brand content: partir de l'ADN de la marque, s'intéresser aux centres d'intérêt du public, et proposer une information qui apporte un service, du divertissement ou de la pédagogie. Bon nombre de marques mélangent tous ces genres.
En proposant du contenu de qualité, les annonceurs ne tendent-ils pas à devenir des médias?
La logique, qui consiste à percevoir les consommateurs comme un public, marque ce changement. Dans cette évolution, le directeur marketing devient directeur des programmes. Aux Etats-Unis, par exemple, certaines entreprises ont même créé un poste uniquement dédié à la programmation du brand content et à la monétisation des contenus. En France, certaines marques commercialisent leur magazine. L'enseigne le fait à la fois, en vendant de la publicité et en le faisant payer aux clients qui n'ont pas la carte de fidélité.
Un impératif: apporter une vraie valeur ajoutée
« Dans un environnement saturé, l'attention du consommateur hypersollicité ne s 'obtient qu'à une condition: il doit trouver un intérêt à la communication », souligne cependant Mathieu Guével, directeur d'études de l'institut d'études marketing Quali Quanti dans l'ouvrage Du Brand Content à la Brand Culture. Attention donc à offrir une vraie valeur ajoutée par ce canal, que le consumer mag soit décliné sur le print, sur le Web, ou en duo print-web. En lien avec leur univers, les contenus proposés par les entreprises doivent répondre aux attentes et aux besoins des clients-lecteurs. « Le magazine doit apporter une valeur d'image à la marque et une valeur d 'usage au consommateur: une réponse qui aide à choisir, à se repérer dans l'offre, à consommer », résume Laurence Vignon (Textuel La Mine). Depuis déjà plus de dix ans, Leroy Merlin relève ce challenge. Son bimestriel Du côté de chez vous est un vrai magazine de déco avec plusieurs rubriques sur les tendances, le design, l'architecture, la décoration ainsi que des articles très pratiques. Avec ce contenu très dense, l'enseigne de bricolage et de décoration répond aux attentes de ses clients. Elle réussit le tour de force de mettre en scène ses produits, sans transformer son magazine en catalogue. L'entreprise ne parle que des sujets qui lui sont légitimes. Quelle que soit la marque, celle-ci doit s'attaquer à des thèmes qu'elle maîtrise car c'est précisément là que les consommateurs l'attendent. Du reste, que ce soit en interne ou via une agence de communication, les marques se montrent de plus en plus exigeantes au plan éditorial, sollicitant directeurs artistiques, journalistes, photographes professionnels... Elles veulent un contenu de qualité avec un angle, une vision éditoriale, et divers traitements (interviews, brève, enquête, reportage, etc.). Que ce soit pour les versions papier, et demain, pour les versions numériques.
Trois exemples de déclinaisons digitales
- Audi
En 2010, le constructeur automobile Audi en 2010, a troqué le print contre un consumer magazine 100 % digital. Sur www.audimagazine.fr, les clients et prospects du constructeur automobile retrouvent des sujets sur les nouveaux modèles, le design, le sport et les événements liés à la marque. Cette version web permet aussi de diffuser du contenu animé (vidéos et photos). Pour ses clients qui bénéficient du programme de fidélité My Audi, la marque propose un contenu personnalisé. En s'identifiant, les clients renseignent leur type de véhicule et bénéficient d'un espace personnel qui donne accès à des chaînes de sport, de cinéma, de musique et d'automobile.
- Red Bull
Depuis fin 2011, la marque de boisson énergisante propose, chaque deuxième mercredi du mois, un supplément gratuit aux lecteurs de L'Equipe. Ce mensuel, intitulé The Red Bulletin, couvre tous les sujets en rapport avec la marque: sport, people, art et culture. Red Bull a déployé son support sur un site internet et dans une application iPad. Grâce à ces différents canaux, les articles se présentent différemment et s'enrichissent de vidéos, de concours inter-actifs, de contenus exclusifs, etc. Pour parfaire le dispositif, Red Bul a ajouté un bouton de partage Twitter, mais aussi Facebook, qui renvoie vers la page fan dédiée à Red Bulletin.
- Philips
Avec son magazine digital Menday, Philips présente les dernières tendances en matière de mode, beauté, high-tech, loisirs et voyages. Accessible sur Yahoo! Sport, la plateforme s'articule autour de cinq rubriques: Hors Piste, Connectés, Beau-Beau, Dress-Code et Nomade. « Le contenu lifestyle, 100 % dédié aux hommes, soutient notre volonté de conquérir une clientèle plus jeune, plus particulièrement pour les produits de rasage », explique Céline Haffner, chef de produits Skincare de Philips. Pour rajeunir le rasoir électrique, le magazine aborde des sujets sur l'univers de la barbe, et se fait le relais du blog consacré à ce domaine. Grâce à Menday, la marque crée du trafic et de la viralité entre ses différentes plateformes et sa page Facebook dédiée. « Notre cible se connecte au réseau social au moins une fois par jour. Elle dépose des commentaires, des avis, et échange des conseils avec d'autres internautes, un levier important dans le processus d'achat », commente Céline Haffner. En janvier dernier, Menday a enregistré plus de 500 000 visiteurs uniques.