La fusion des idées, pas la confusion food Les agencements avancent quand les tendances tardent
Marie-Gérard de la Grenadière, conseille des patrons internationaux de l'agroalimentaire. Fondatrice de Rhizomes & co. Elle nous éclaire sur ces "agencements" qui dessinent les architectures souples du futur.
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« Le mot "tendance" est totalement suranné. Ces couper-coller tiennent
surtout de l'astuce et du gag. Ils servent une pensée exténuée ou des
réflexions en panne. Pour ma part, je m'attache plutôt à distinguer les
courants de fond à l'oeuvre dans la société. Je les nomme, dans l'esprit de
Gilles Deleuze, "agencements", de goûts, de comportements, de pulsions... Ainsi
j'appelle "tutti terroirs", la version française de la fusion food. C'est
l'esprit de la modernité. Elle amène de nouvelles architectures gustatives
éclairées par la culture classique et régionale. Mais la fusion food n'est pas
la confusion avec d'improbables ratatouillages à l'Américaine. "Nourritures
mirandoliennes" est inspiré du nom de l'érudit Pic de la Mirandole. Il qualifie
ce nouvel esprit éclectique capable d'apprécier différentes saveurs.
"Media-brancholâtre" désigne le Fooding et autre fourre-tout qui s'inventent au
jour le jour. Nous aurons bientôt sans doute le Drinking, ou le pique-niquing
(rires). Mais il faut en tenir compte, car ce courant a son importance.
"Candidemental" s'applique à ce que l'on appelle injustement la cuisine
régressive. Les persistances d'enfance et chaque consommateur sont bien plus
fortes qu'on ne le pense. J'ajouterai juste que la psychanalyse nous a montré
la voie en nous prévenant des liens affectifs et sexuels que nous entretenons
avec la nourriture. Et pour anticiper des agencements futurs, il faut nous
départir de notre vieil esprit binaire qui repose sur une opposition homme
femme qui est de moins en moins à l'ordre du jour. Je suis surtout attentive
aux grands frémissements qui agitent la société et vis-à-vis desquels les
médias, la politique, le marketing et la publicité ne font que creuser leur
retard. Nous devons inventer d'autres façons de penser et de commercer.
Aujourd'hui, il faut compter avec la force croissante de l'individualisation.
Déjà, les familles sont de plus en plus recomposées et il existe des
hétérosexualités, des homosexualités, des bisexualités tantôt archaïques,
tantôt novatrices, tantôt transculturelles, tantôt transreligieuses. La
pluralité des modèles est en train de s'installer. Ce n'est plus la cuisine de
Tante Marie mais une sacrée fusion food dont nul ne connaît toutes les
recettes.»