La fin du modèle TGV ?
Le TGV, fleuron de l'industrie française, est-il un concept dépassé ? Oui, car aujourd'hui, ce train ne propose aucun service ni aménagement originaux. Et si la solution passait par la réinvention de la "voiture service" ?
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Soyons clairs. Laisser penser que le TGV est un moyen de transport dépassé
peut apparaître comme une véritable provocation. Tous les chiffres indiquent en
effet que, depuis une vingtaine d'années, le TGV est un vrai succès. En 2001,
il a vu son trafic croître de 7,7 %, grâce notamment au TGV Méditerranée. Et
sur certaines destinations, il entre en concurrence directe avec l'avion. De
plus, toutes les villes se battent pour bénéficier d'une desserte à grande
vitesse.
Une promesse non tenue
Alors pourquoi se
demander si aujourd'hui, le TGV ne fait pas déjà partie du passé ? Tout
simplement parce que la publicité développée par la SNCF depuis deux ans sur le
thème "Prenez le temps d'aller vite" met en évidence de façon flagrante - et
assez paradoxale - la banalité du TGV en matière de services et d'espaces
originaux. S'il est vrai que le train, contrairement à l'avion ou à la voiture,
offre à chacun une vraie liberté de mouvement et de gestion de ses activités
pendant la durée du voyage, le TGV n'est pas plus convivial ni "serviciel" que
n'importe quel autre train.
Des espaces pauvres
En
effet, aujourd'hui, un TGV, c'est quoi ? En termes d'espace, cela se résume à
une succession de sièges en enfilade (que ce soit sous forme Pullman ou
compartiment, ne change pas grand chose), avec au milieu de la rame un espace
"bar". Bref, une configuration pas vraiment innovante et qui ne fait que
reproduire le schéma du train Corail défini au début des années 70 par Roger
Tallon. Certes, des progrès ont été accomplis depuis les premières rames
orange, la SNCF ayant très vite découvert que le gain de vitesse offert par le
TGV était effacé par le manque de confort à bord. Mais, globalement, rien de
très nouveau n'est sorti depuis le TGV Atlantique. On est donc très loin de la
qualité des espaces offerts dans d'autres pays. Un certain nombre de trains
canadiens proposent ainsi aux voyageurs d'organiser leur propre espace grâce à
des sièges que chacun peut retourner de façon très simple. L'ICE allemand
propose, lui, en première classe, des siéges différenciés (siége quasiment
transformable en couchette ou pivotant dans les compartimenté...). De plus, ils
sont équipés d'une prise pour brancher un ordinateur (certains étant même
équipés de mini-écrans télé comme dans les avions).
Fascination de la vitesse
Ce retard dans la conception des espaces est, en
partie, la conséquence de cette fascination pour le toujours plus vite qui a
longtemps caractérisé la stratégie de la SNCF, et qui lui a fait oublier qu'un
train servait avant tout à transporter des passagers et non pas, seulement, à
battre des records du monde vitesse. Il est d'ailleurs significatif que les
responsables de la SNCF se soient sentis obligés de doter leurs nouveaux trains
régionaux du même nez que celui du TG... alors que ceux-ci ne roulent qu'à 120
km/h. Un peu comme si Airbus avait équipé ses avions du nez de Concorde.
Aujourd'hui, les choses commencent à changer. La SNCF vient ainsi de donner un
coup de jeune aux trains de nuit qui pourraient devenir, dans les années à
venir, une véritable alternative au classique duo avion/hôtel avec de
véritables voitures-hôtel à l'image des grands trains chinois.
Des services inexistants
Côté services, l'offre du TGV se limite
toujours à la seul voiture bar qui n'offre que de l'alimentaire basique et une
poignée de malheureux quotidiens ou magazines. Bref, si vous n'avez pas pris le
temps de faire vos emplettes avant d'embarquer, n'espérez pas trouver dans les
wagons quoique ce soit pour vous distraire ou, de façon plus pragmatique, pour
changer votre bébé. Nous arrêterons là cette cruelle description, notre propos
n'étant pas tant de critiquer ce train, que de faire ressortir le retard pris
en matière de services et de confort dans les trains français qu'ils soient
grandes lignes ou régionaux. Un seul exemple pour illustrer notre propos :
alors que les Suisses peuvent trouver depuis deux ans des épiceries dans leurs
trains (voir encadré), on ne compte toujours aucun distributeur automatique de
café chaud dans les trains de la banlieue parisienne.
Changer d'univers de référence
Nous évoquions, le mois dernier dans cette
même rubrique, la façon dont Airbus avait su renouveler sa réflexion sur
l'aménagement des avions en se référant à l'univers du paquebot pour son futur
très gros porteur A 380 (voir Marketing Magazine, n° 73). Nous avions déjà
évoqué, toujours dans cette rubrique, comment la découverte par les
constructeurs automobiles que le rêve n'était plus seulement dans le moteur
mais dans l'habitacle, avait donné naissance aux monospaces. Aujourd'hui, cette
mutation de la réflexion sur les espaces du transport devrait pouvoir toucher
le TGV afin d'en faire un véritable espace de services et de confort.
Réinventer la "voiture service"
Et les exemples et les
pistes de réflexion ne manquent pa... Nous voudrions ici n'en évoquer qu'une
seule en nous référant à la fois à la voiture épicerie de la Coop Suisse et aux
mythiques voitures panoramiques des trains américains des années 40 (voir
illustrations). Deux exemples a priori très éloignés l'un de l'autre, mais qui
ont en commun de créer un nouveau regard sur le train en offrant des espaces et
des services que seul ce moyen de transport peut offrir. On peut très bien
imaginer que, demain, chaque rame du TGV accueille cette voiture service qui
pourrait prendre aussi bien la forme d'une librairie, d'un restaurant, d'une
garderie d'enfants, d'un salon de coiffure ou d'une salle de sport avec des
douches. A l'imaginaire de la vitesse, viendrait alors se substituer l'univers
du service et du bien-être. Utopie ? Peut être, mais on peut toujours rappeler
que le fast-food a donné naissance, il y a quelques années, au slow-food, et
qu'au niveau mondial les résultats de McDonald's sont loin d'être aussi
brillants qu'ils l'ont été. Alors McDo et SNCF, même combat marketing ? Sur le
plan des imaginaires de consommation, peut-être.
VOITURE SERVICE : UNE ÉPICERIE SUR RAIL
Le temps du transport est encore trop souvent un temps mort qui pourrait être valorisé pour accomplir des tâches quotidiennes, et notamment les courses alimentaires. C'est en partant de ce principe tout simple, que la Coop suisse a signé un accord avec la CFF (la SNCF helvète) pour installer un mini-supermarché dans les rames circulant entre Berne et Zurich. Le Railshop Coop, c'est son nom, occupe un wagon entier installé au milieu du train et propose plus de 850 articles de consommation courante. On y trouve aussi bien des produits alimentaires (épicerie, fruits, légumes, plats cuisinés, snack...), que des produits d'entretien ou des biens culturels (livres, cassettes vidéo...). Actuellement, le panier moyen tourne autour 15 francs suisses, et ne cesse d'augmenter, les voyageurs s'habituant peu à peu à cette nouvelle offre. Si les produits cosmétiques et d'entretien sont peu demandés, les fruits et légumes connaissent un véritable succès.