La convergence des médias, de la théorie à la pratique
Comment utiliser efficacement les médias les uns avec les autres au-delà de la seule vente d'espace ? A cette question qui sonne comme le B-A-BA de la profession, le développement d'Internet, l'assise prise par les chaînes thématiques ou les nouveaux outils comme la publicité interactive apportent aujourd'hui une nouvelle caisse de résonance. Côté régies, on tente d'y répondre en se dotant de nouvelles structures axées sur une approche transversale. Quitte à s'approcher très près des plate-bandes des centrales.
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Il est urgent d'aller vite, mais prudemment. Tel est, grosso modo, ce qui
ressort de l'analyse de la stratégie des acteurs du marché publicitaire quand
on évoque la question de la convergence des médias. Une idée totalement dans
l'air du temps mais qui n'est pas forcément appréhendée de la même manière
selon l'endroit où l'on se situe dans le paysage publicitaire. « La
complémentarité des médias, c'est notre boulot de tous les jours, déclare
Martine Picard, chef de groupe médias chez Euro-RSCG BETC. Il y a effectivement
une mode actuellement dans le domaine des offres commerciales mais qui s'avère
souvent un moyen d'optimiser un support média phare. » Du côté des grosses
régies, qui ont aujourd'hui à gérer un portefeuille non plus monomédia mais
étendu aux chaînes de complément et au Web, la convergence commence à être
acquise comme un passage obligé qui nécessite une remise à plat des structures
existantes. « C'est effectivement un thème qui occupe beaucoup les régies en ce
moment, constate Philippe Pignol, directeur général d'Europe Régies TV. C'est
d'ailleurs également le cas chez nous, mais nous avons choisi de commencer par
demander aux clients et aux agences ce qu'ils souhaitent plutôt que de sortir
un produit qui ne sert à rien ou qui soit juste axé sur la seule remise. » Si
les principaux groupes ont plutôt bien réussi à mettre au point la convergence
des contenus entre les médias principaux et leur site internet ou leur chaîne
thématique, la convergence des actions publicitaires s'avère nettement plus
complexe à réaliser. « Les modes d'utilisation de chacun des médias sont très
différents, c'est pourquoi il faut être prudent », estime Frédrique
Micouleau-Freymond, directrice marketing de TF1 Publicité. Chacun a encore à
l'esprit des opérations réalisées il y a quelques années comme celles montées,
par exemple, par Europe 1 et Giraudy ou RTL avec Avenir ou L'Equipe. « Il n'est
pas si simple que cela de mettre en parallèle plusieurs médias, reconnaît
François Dufresne, directeur général adjoint d'IP France, régie de RTL Group.
Ces opérations nous ont rapporté un vrai succès d'estime dans le sens de leur
pertinence stratégique. En revanche, elles n'ont pas généré un chiffre
d'affaires important car elles n'apportaient pas de valeur ajoutée suffisante
pour les intermédiaires, du type centrales, qui savent déjà faire ça. Pour ne
pas faire de la vente d'espace classique, il faut apporter une puissance énorme
ou un produit à discours en affinité forte. » Aux besoins nouveaux, structures
nouvelles. Difficile alors de parler de convergence quant à l'intérieur même
des régies chaque département média fonctionne de manière séparée.
VERS LA CRÉATION DE STRUCTURES TRANSVERSALES
C'est
pourquoi on assiste aujourd'hui à l'émergence de cellules destinées à servir de
tête de pont entre les différents secteurs. C'est notamment le cas chez Europe
Régie, qui vient d'ailleurs de faire un nouveau pas vers une intégration dans
Lagardère Média en se rebaptisant "Lagardère Active Publicité". « Nous sommes
en cours de recrutement d'un planneur stratégique qui aura pour mission de
réfléchir aux ponts possibles entre les différents médias, confirme Eric Elan,
directeur marketing de la régie. C'est ce que font déjà les agences médias dans
leur recommandation mais cela va dans le sens de notre volonté d'aller vers le
conseil. » Mêmes causes, mêmes effets de l'autre côté de l'avenue Montaigne,
chez IP France. Un certain nombre de chargés d'études composent, en effet,
depuis peu une cellule « chargée de fédérer les différentes sociétés du groupe
auprès des annonceurs », note François Dufresne. Et d'ajouter, « nous ne sommes
pas uniquement des vendeurs de soupe. Nous avons une dimension conseil pour
apporter un service différent allant vers du partenariat de contenu, la mise en
oeuvre de bases de données etc. » Curieusement, c'est Interdeco, régie au
départ la moins multimédia, qui a initié la mise en oeuvre de ce type de
structure. Elle a, en effet, créé à la rentrée dernière une fonction de
planning stratégique. Placée sous l'égide d'Anne Philip, elle a pour mission
d'initier, au-delà de la vente d'espace classique en presse magazine, de
nouvelles solutions de communication et de développer des offres plurimédias
transversales, autour de cibles reconnues, associant la presse magazine et ce
qu'Anne Philip appelle "les nouveaux médias de segmentation". « Nous avons
travaillé en synergie avec la structure Internet d'Hachette Filipacchi
Interactive, explique t-elle. Cette nécessaire convergence des médias répond
aux nouveaux objectifs marketing et publicitaires des annonceurs confrontés à
l'infidélité des consommateurs qui s'orientent pour cela de plus en plus vers
une communication one-to-one. » La première réalisation de cette structure
consiste à reformater l'offre Point Mag, package presse-Web lancé en septembre
qui associe huit marques de presse gérées par Interdeco (Elle, Le Point, Paris
Match, Télé 7 Jours, Première, Photo, Auto Moto et Pariscope). Le département
Trade Media, rebaptisé Interdeco Marketing Service, est également rattaché au
planning stratégique pour réaliser des opérations allant jusqu'au terrain. Un
certain nombre d'actions ont déjà été réalisées autour du magazine Elle et de
son site pour des marques comme Agevit, Neutrogena ou Evian, cette dernière
étant allée jusqu'à l'encartage d'un mini-Elle dans les packs vendus en
magasins.
UNE COMPLÉMENTARITÉ PAS FORCÉMENT ÉVIDENTE
Evidente sur le papier, la tâche de ces nouvelles structures est cependant loin
d'être simple. « On peut, par exemple, parler de complémentarité entre une
chaîne thématique et Internet dans le sens où on est dans les deux cas sur une
cible restreinte, analyse Philippe Pignol. En revanche, on se heurte à un
problème différent pour ce qui concerne une grande chaîne nationale et
Internet. Les cibles sont là différentes et, au-delà de cela, les annonceurs
aussi. » « Il ne faut pas perdre de vue les enjeux financiers et la différence
de coûts entre des médias comme la télévision, la radio ou Internet, ajoute
Martine Picard. Pour ce qui concerne Internet, on est plus dans une approche de
marketing direct qui ne va pas coûter cher et pour laquelle les annonceurs
peuvent payer pour voir. » Du côté de TF1 Publicité, régie qui peut mettre en
avant le catalogue le plus complet de la communication de masse au one-to-one,
on avance la même prudence. « On utilise les supports pour faire des offres qui
correspondent aux objectifs marketing de nos clients et on essaye de mettre en
synergie chacune de ces offres, explique Frédérique Micouleau-Freymond. Nous
avons essayé d'anticiper depuis 3-4 ans en développant tous les atouts des
différents supports selon la cible que nos clients souhaitent toucher. » La
régie de la chaîne a, par exemple, organisé cet été des offres couplées entre
les programmes enfants de TF1 et les chaînes thématiques Cartoon Network et
Télétoon. « C'était la première fois que nous montions une opération d'une
manière aussi précise et opportune dans le sens où c'est une période où les
enfants en vacances sont surconsommateurs de télé et que c'est le moment pour
les annonceurs qui sont moins présents à cette époque de les toucher
efficacement, raconte Frédérique Micouleau-Freymond. L'objectif n'était en
aucun cas de faire du discount sur TF1 ou de brader le câble. » Monter des
opérations associant différentes chaînes thématiques n'est pas forcément
évident. « LCI et Odyssée, par exemple, fonctionnent relativement bien en
couplage car elles ont des cibles proches, mais ce n'est jamais la panacée dans
le sens où les chaînes ont, par ailleurs, des programmations différentes »,
constate la directrice du marketing de la régie.
DEVELOPPER LA PUBLICITÉ INTERACTIVE
C'est pourquoi, globalement, au Quai du
Point du Jour, l'heure est plus au sur-mesure qu'aux packages tout faits. «
Nous n'en sommes pas encore vraiment à ce type d'offres car, d'une certaine
manière, ce serait mélanger des choux et des carottes, estime Frédérique
Micouleau-Freymond. Pour Internet, par exemple, si la population internaute va
croissant, elle ne reste pas comparable avec la communication de masse d'une
chaîne comme TF1. Cela se présenterait plus comme une forme de discount que
d'approche réellement marketée. » Pas de package vraiment transversal au
programme mais, en revanche, la mise au point en cours d'une offre couplée à
l'intérieur même des sites internet en fonction de leurs cibles. « Les produits
packagés ne correspondent, en fait, jamais aux attentes, ce sont des trames
qu'il faut ensuite toujours aménager », estime Eric Elan. Du côté de Lagardère
Active Publicité, plutôt que de raisonner en termes de convergence des médias,
on préfère s'axer sur une convergence des supports entre eux (radio,
télévision, etc...). Confortée par un département télé créé il y a un an, la
régie a décidé de s'axer fortement sur l'interactivité que permet ce support. «
Nous allons développer des offres entre les chaînes que nous commercialisons et
des sites interactifs encapsulés ou non », annonce Eric Elan. La régie compte
pour cela s'appuyer sur CanalSat qui est passé l'an dernier dans une véritable
logique de portail multiservice autour de la télévision avec le lancement de la
mosaïque Canalsat Interactif. La régie d'Europe 1 a déjà démarré quelques
opérations dans le cadre du Journal de chez vous, sur TPS et CanalSat ou encore
de la boutique bien-être de Danone sur CanalSat.
DU MASS-MÉDIA À UNE COMMUNICATION ONE-TO-ONE
CanalSatellite et son 1,5 million
d'abonnés comme TPS et son million d'abonnés sont, en effet, des cibles en vue
quand on évoque la convergence des médias. La relation personnalisée
qu'implique la publicité interactive en mariant le côté mass média de la
télévision aux techniques de marketing direct va dans le sens de cette fameuse
communication one-to-one recherchée par le marché. « C'est la plus belle
expression de la convergence des médias », estime Frédrique Micouleau-Freymond.
Depuis 1997 où TF1 Publicité a inauguré cette nouvelle forme de communication
publicitaire pour le lancement de la Renault Kangoo, la régie a réalisé une
vingtaine de campagnes dans des secteurs aussi divers que l'automobile, les
services ou encore l'alimentaire avec Buitoni et les jouets avec Lego. Pour ce
qui concerne l'automobile, les marques ont eu la possibilité, par exemple, de
renvoyer les téléspectateurs jusqu'au concessionnaire et à l'envoi de
documentation sur tel modèle de voiture. « Les clients ont eu des résultats
pour la plupart satisfaisants mais nous n'en sommes qu'au stade de
l'expérimentation, analyse Frédérique Micouleau-Freymond. On sent les
annonceurs intéressés mais également inquiets du retour sur investissement. »
POUR UNE SIMPLIFICATION DU MARCHÉ
Il reste, en effet,
encore à disposer d'outils suffisamment précis pour mesurer à la fois la
fréquentation des services interactifs et la satisfaction des utilisateurs. Un
domaine sur lequel les équipes de TPS comme CanalSat planchent concrètement.
Quel que soit le type d'offres plurimédias choisi, il est clair que beaucoup
reste encore à faire d'un bout à l'autre de la chaîne publicitaire. « Il y a
notamment beaucoup de pédagogie à faire auprès des centrales et des agences
chez qui on a encore trop souvent à s'adresser à des interlocuteurs différents,
remarque Anne Philip. Il y a un véritable travail de fond à mener pour créer
des ponts. » Du côté des agences, globalement toutes dotées de département
one-to-one, on ne l'entend pas forcément de la même oreille. « Les régies
partent de l'offre. Il est dommageable de rentrer par ce qui est possible
plutôt que par ce qui est nécessaire », rétorque, par exemple, Martine Picard.
On pourra se tourner vers Frédérique Micouleau-Freymond pour une analyse qui se
veut plus consensuelle. « La notion de convergence fait se poser des questions
que l'on ne se posait plus jusqu'à l'arrivée d'Internet, par exemple, et qui
concernent la bonne utilisation d'un dispositif média, dit-elle. Je crois,
qu'en fait, il y a avant tout une demande de simplification du marché. » Une
simplification pas forcément simple à mener.
IP lance IP Sport
Pas de convergence des médias sans discours puissant en affinité avec une cible forte. Partant de ce principe, la régie de RTL Group présente ces jours-ci IP-Sport, une structure qui repose sur une cellule spécifique chargée de commercialiser les radios, chaînes thématiques et sites internet de son portefeuille qui s'avèrent en accord avec cet univers. Cette offre concerne RTL, RMC, Sud Radio et Sport O'Fm, cette dernière radio ayant rejoint le giron d'IP depuis le début de l'année. IP Sport regroupe également les chaînes thématiques Pathé Sport et Motors et, sur le Web, les sites RTL.Sport.fr, Sport O'FM.fr et Sporever.fr, le site d'information sportive créé par Patrick Chêne. "L'objectif n'est pas de vendre des campagnes classiques en mettant des médias les uns à côté des autres mais de proposer du sur-mesure aux annonceurs, de créer des opérations clés en main qui aient une vraie valeur ajoutée, explique François Dufresne, directeur général adjoint d'IP France. Il n'y a que comme cela que l'on peut avoir une véritable expression de la convergence." Avec ce nouvel outil, IP France espère rallier à cette cause des secteurs comme l'automobile, les services, la téléphonie, voire l'hygiène-beauté. Des opérations multimédia sur le thème du sport comme celle réalisée récemment pour Siemens sur RTL et Pathé Sport durant le Championnat de France de football ont déjà permis de tester la viabilité du concept avant la création de cette cellule spécifique. François Dufresne y tient : IP Sport ne se résumera pas à proposer du package pour obtenir des remises. "Il y aura bien quelques propositions de base mais il s'agira ensuite de travailler sur des propositions uniques, dit-il. C'est à la fois une expérience et également la matérialisation d'un nouvel état d'esprit qui doit imprégner la maison." Une expérience qui, si elle s'avère positive, pourrait déboucher sur d'autres structures du même type. On peut, en bonne logique, imaginer, par exemple, la mise sur pied d'un IP Musique au regard des médias que la régie commercialise dans ce domaine - les radios RTL 2, Fun Radio, MFM remportée récemment, la chaîne thématique MTV Europe et les sites d'RTL2, Fun Radio, Universal Music et Mobiclick. Une hypothèse qui n'est pour l'instant pas d'actualité. "C'est beaucoup trop tôt pour envisager quelque chose de ce type, nous allons apprendre en marchant", répond François Dufresne.