La chasse aux contenus est ouverte
SOUS l'effet de la révolution numérique et de la fragmentation des médias et des supports, la marque devient sur Internet un média à part entière. De l'alimentaire au transport, en passant par les jouets ou l'informatique, toutes acquièrent un statut d'expert en contenu.
Je m'abonneQuel point commun y a-t-il entre la SNCF, Leroy Merlin ou Monoprix? Avec l'essor du Web, toutes ces marques ont, dans le but de créer du lien avec leurs consommateurs, élaboré des contenus en ligne de qualité afin de montrer qu'elles étaient expertes dans leurs secteurs d'activité. Car si le contenu de marque - ou Brand Content - existe depuis longtemps (Blédina et Pampers ont offert très tôt du contenu autour des bébés), la généralisation des nouveaux modes d'utilisation d'Internet a contraint les marques à se repositionner sur la Toile et à se servir de ce média pour créer une relation privilégiée avec leurs clients. Notamment à travers du contenu. L'idée n'est pas nouvelle et, le fait que la communication ne passe donc plus seulement par l'imaginaire mais par du service ou de la praticité, voire de l'information, a fait son chemin. De nombreux sites de marque illustrent la tendance. En une décennie, Leroy Merlin ainsi créé successivement le programme court «Du côté de chez vous», un mensuel et une chaîne thématique avant de lancer un site dédié. Aujourd'hui, www.ducotedechezvous.com, réalisé par l'agence Textuel, peut se targuer d'être un vrai site de contenu de marque, avec un positionnement éditorial bien spécifique, qui met en avant des tendances, propose des analyses et des fiches pratiques. .. «Il nourrit la relation, ce qui est d'ailleurs Vun des objectifs principaux de tous les sites de marque», glisse Gilles About, fondateur de Textuel. Entièrement éditorial, le site de Leroy Merlin s'inscrit pleinement dans la démarche de l'enseigne qui vise à proposer une véritable conception de l'habitat.
Le site Du côté de chez Vous n'est pas un cas isolé. Et bon nombre de marques n'ont, en effet, plus rien à envier aux médias traditionnels. Dans leur dernier ouvrage, Brand Content (éditions Dunod, lire page 81), Daniel Bô et Matthieu Guevel, respectivement p-dg et directeur d'études marketing de Quali-Quanti, expliquent ainsi que «le contenu de marque n'est pas seulement un outil marketing ou de communication. Il implique une véritable culture, l'acquisition de nouveaux réflexes qui ne sont pas exactement ceux de la communication publicitaire traditionnelle.»
Mais attention, selon les auteurs, «les marques ne sont pas des éditeurs comme les autres. Bien qu'elles puissent fabriquer des contenus, elles sont néanmoins animées par des intentions commerciales». Et si de nombreux sites de contenus de marque sont élaborés par d'anciens journalistes ou des pigistes, le but n'est pas exclusivement d'informer mais bien de proposer du service, des fiches pratiques, des tendances... Un avis que partage Frederick Bénichou, dga d'Isobar: «Plusieurs marques se sont essayées au contenu éditorial. Mais leur valeur ajoutée sur le Web est de créer de Vémotion et de l'expérience.» A condition, selon Daniel Bô, de maintenir une vraie qualité éditoriale. Pour ce dernier, «compte tenu des exigences de clarté, de mots-clés, de lisibilité des textes des moteurs de recherche, dans une communication de contenu, la qualité éditoriale est la première condition de réussite. Elle n'est pas toujours suffisante, mais elle est nécessaire.»
Gilles About (Textuel): «L'un des principaux objectifs des sites de marque est de créer du lien.»
Nécessaire car bien évidemment, seuls les contenus de qualité auront accès à la visibilité, compte tenu de leur augmentation et de leur spécificité. «Sur le Web, le discours de marque est oblige de construire, non plus un territoire mais un monde«, soulignait déjà, en 2000, l'étude de QualiQuanti,»Marques & Internet, quelle présence pour les marques sur le Web?». Selon l'étude, «la souveraineté de la marque n'est plus uniquement sur son produit, mais elle devient une souveraineté sur un ensemble de pratiques liées au produit. La communication ne passe plus par l'imaginaire mais par la connexion avec Ides repères pratiques.«Et Daniel Bô d'illustrer: «Lorsque Uncle Ben's propose tout un système a idées pratiques pour cuisiner, il rayonne autour du riz et s approprie la cuisine tout entière.»
Car voilà, la création de contenu de marques oblige l'ensemble de l'entreprise à réfléchir à un vrai positionnement éditorial, comme elle le fait déjà pour la conception des produits ou de services qu'elle vend. C'est ce qu'a entrepris, il y a deux ans, Régine Combremont, responsable de la stratégie digitale à la SNCF. «La souplesse du média fait que l'on n'utilise plus uniquement la publicité ou la communication institutionnelle», explique-t-elle. Pour cette dernière, Internet est bien le support idéal pour raconter l'effervescence de la SNCF et faire découvrir la société «sans se limiter à la «consommer»». Le site qui propose des articles, des tendances, des analyses mais aussi des vidéos a été créé il y a deux ans. Il enregistre aujourd'hui 250000 visites par jour. Même préoccupation chez Darty qui a d'ailleurs lancé un site de contenu avant même d'y ajouter une dimension marchande. «Notre mission est clairement d informer nos clients avant leur prise de décision et de les accompagner après qu'ils ont effectué leurs achats» souligne Jean-Philippe Marazzani, directeur général de Darty.com. Pour ce faire, le site emploie un responsable éditorial et une équipe de cinq rédacteurs, journalistes de formation, «qui savent écrire sur le Net et sont passionnes par Le produit». Pour ce dernier, le contenu doit certes être très riche mais surtout refléter l'ADN du groupe et son positionnement.
Concevoir une vraie politique éditoriale
Comme la SNCF ou Darty, les marques ont ainsi compris qu'elles devaient s'approprier des valeurs propres, voire un positionnement éditorial pour se différencier sur la Toile et, bien sûr, créer un lien fort avec leurs clients. Contrairement à la publicité, «le contenu d'un site crée de la préférence de marque et de l'émotion positive», analyse Daniel Bô. On l'a vu avec le discours tenu par Danone sur la santé et l'alimentation, accompagné, dès 1991, par la création de son Institut pour la santé. Idem pour McDonald's sur la nutrition, l'environnement ou plus récemment sur le développement durable. Chaque marque surfe ainsi sur son positionnement et son ADN. Ainsi, au lieu de parler de ses malles, Louis Vuitton égrène sa philosophie du voyage. Et Monoprix, qui poursuit l'enrichissement de son concept de City-marché avec des magasins toujours plus pratiques vient de lancer un site communautaire baptisé Fresh'n'Fashion. Ce portail internet éditorial se veut un laboratoire d'idées. Destiné aux femmes urbaines de 25 à 40 ans, il propose des informations dans l'air du temps, des conseils bien-être, comme pourrait le faire un magazine féminin en ligne... «Ce portail est un vrai site participatif», note Julien Zakoian, chef du département Internet et e-commerce de Monoprix. Pour ce dernier, l'intérêt de Fresh'n'Fashion est de renforcer et dynamiser les liens de l'enseigne avec ses clients. Pour ce faire, 600 nouveaux textes sont attendus chaque année. Soit 300 billets d'humeur réalisés par des biogueuses, triées sur le volet et 20 nouveaux articles écrits chaque semaine par des journalistes, supervisés par une rédactrice en chef. «Source d'inspiration, Fresh'n'Fashion porte les tendances et les décortique avec un regard neuf, détaille Julien Zakoian. Il permet a Monoprix d être encore plus proche et a l'écoute des attentes des clientes.» Même objectif chez Fnac Eveil & Jeux. «Notre métier d'origine se transforme à vue à l'oeil», explique Margaret Milan, sa fondatrice. Avant d'ajouter: «Nous avons constaté un besoin d'échange et de dialogue.» Partant de ce constat, l'enseigne a planché sur la création d'une agora regroupant des parents mais aussi des experts de l'enfance et des professionnels. «Nous avons ainsi créé un site à lire et à écrire où chacun apporte sa pierre à l'édifice» poursuit Margaret Milan. Langage, soleil et peaux, jeux vidéo ou encore aménagement de la chambre de bébé: chaque semaine, un thème est traité et analysé par les parents et les experts tout en restant en phase avec le positionnement de marque. Après neuf mois de travail, le site est opérationnel depuis juin dernier et compte déjà 500 articles réalisés par cinq personnes en interne. Si cette plateforme permet à la marque de créer une vraie relation avec sa communauté formée de parents et de clients de Fnac Eveil & Jeux, elle a aussi pour vocation de renforcer le trafic vers le site marchand. Car comme l'explique Régine Combremont, «la frontière entre le commercial et le corporate va être déplus en plus ténue, voire gommée». Pour cette dernière, il faut que la marque ait désormais une valeur d'usage tout en créant du lien.
Daniel Bô (QualiQuanti): «Le contenu d'un site crée de la préférence de marque et de rémotion positive.»
Margaret Milan (Fnac Eveil & Jeux): «Nous avons créé un site à lire et à écrire où chacun apporte sa pierre à Pédifice.»
Cohérence des contenus
Tisser des liens privilégiés... tel est, en somme, l'ambition des marques qui investissent la Toile. Accenture a ainsi développé MyDSI-tv, destinée aux directeurs informatiques. «Nous leur avons dédié cet espace pour qu'ils puissent prendre la parole, présenter leurs meilleures pratiques. Cette chaîne internet est à eux mais aussi à ceux que les technologies de l'information passionnent», annonce le site web. «Accenture a très bien joué. Le groupe est devenu la référence auprès des DSI et a créé une vraie relation autour des contenus», commente Daniel Bô. Encore faut-il que chaque marque s'interroge sérieusement sur sa politique éditoriale et apporte sa différence. «Le contenu de notre site, même s'il est très varié, correspond à nos domaines de compétences. Sur sncf com, nous allons parler de mobilité ou de lecture car ce sont des préoccupations inhérentes à notre activité», glisse Régine Combremont. Orange l'a également bien compris en lançant avant l'été sa nouvelle Web TV baptisée «Orange-innovation TV». Le portail a pour objectif d'informer et de faire rêver sur la révolution numérique «pour que personne n'ait peur de s'en servir». Il propose une nouvelle ergonomie pour une grille adaptée à chaque public, débutant ou averti, et des émissions diffusant une culture scientifique élémentaire, qui se veulent de «véritables séances de coaching pour réussir sa révolution numérique». «Orange a tout compris et accompagne, grâce à cette Web TV, les internautes au quotidien», commente Matthieu Guevel. Pour ce spécialiste des contenus, il est donc impératif que chacune, à l'instar des médias traditionnels, réfléchisse à une politique éditoriale et un contenu pédagogique. «Le positionnement de marque ou de produit est un concept marketing bien connu. Maintenant, il s'agit dépasser à un positionnement média» ajoute-t-il. Régine Combremont l'a intégré dès le début. D'ailleurs, l'organisation éditoriale du site SNCF ressemble étrangement à celle d'un média traditionnel. Si c'est l'agence interactive Duke qui a réalisé le site, un vrai comité éditorial a été créé en interne, «où l'on parle des papiers qui vont passer et des différents angles» révèle cette dernière. Pour enrichir le contenu, trois pigistes réguliers ont été formés à l'écriture en ligne, «parce que l'on n'écrit pas de la même façon sur le print et sur le Net» justifie la responsable digitale. Cette pro du Web a souhaité que l'équipe soit aussi rapide qu'une rédaction pour «qu'en cas de crise, l'information soit traitée instantanément». Du coup, les points presse de la SNCF sont désormais filmés et postés sur le site. Certes, l'ensemble des marques n'est pas encore arrivé à un point aussi avancé, mais elles sont toutes parties pour surfer sur l'offre de contenu on line et y voir l'occasion de relancer la machine en recréant du lien. A la seule condition, que l'entreprise se penche sur des contenus cohérents, exercice dont plus aucune marque ne peut taire l'économie. Expertise du consommateur, désormais, internaute oblige...
Julien Zakoian (Monoprix): «Fresh'n'Fashion dispose d'un vrai positionnement éditorial. Il porte les tendances et les décortique avec un regard neuf.»
Régine Combremont (SNCF): «Internet est le support idéal pour raconter l'effervescence de la SNCF et faire découvrir la société.»
Les marques deviennent éditrices de contenu sans cesser le service de type pratique ou d'information.