L'image de marque au fond d'un verre de vin
L'image de marque existe-t-elle ? en croire le développement des non-marques et l'engouement des consommateurs pour le low cost, on pourrait presque en douter. Heureusement, les sciences cognitives viennent à la rescousse des marketeurs.
Depuis que les (certains) instituts nous parlent des sciences cognitives,
on aurait bien aimé en apprendre un peu plus concernant l'image de marque et sa
localisation. Heureusement, le CNRS nous fournit quelques pistes au travers
d'une étude sur le vin très scientifiquement réalisée auprès de 54 étudiants en
oenologie, réunis en un jury d'experts (1). Ce jury devait caractériser les
“descripteurs olfactifs” de deux verres de vin, l'un rouge et l'autre blanc.
Résultat : arômes de cassis, pruneau, mûre pour le premier, miel, noisette,
coing pour le second. Rien que de très classique. Et les chercheurs de
renouveler l'essai avec deux autres verres pour des conclusions évidemment
identiques. Sauf qu'il s'agissait ici de deux verres de vin… blanc, l'un
simplement coloré à l'aide d'anthocyanes - des colorants naturels sans saveur
ni odeur. “Une fois coloré en rouge, le vin blanc a été décrit avec les mêmes
descripteurs que ceux attribués au vin rouge au cours de la première
séance”,commente l'auteur de l'article, en soulignant que “la perception
olfactive et gustative d'un vin ne dépend pas uniquement du contenu de la
bouteille”.
Mémoires à court et long termes
Nos perceptions se forment au sein de notre mémoire à court terme. En simplifiant, dans l'hippocampe, là où aboutissent les nerfs olfactifs, optique, etc. Notre cerveau brasse des quantités gigantesques d'informations, en temps réel : saluer un ami dans la rue présuppose l'avoir reconnu - donc avoir comparé des informations récentes à d'autres plus anciennes (inscrites dans notre mémoire à long terme, ou MLT). Théoriquement, comparer le visage nouveau à l'ensemble de ceux stockés en MLT. Bien trop long. Pour les moins connus, notre cerveau ne retiendra que ceux déjà rencontrés dans un même contexte : ville, quartier, etc. Avec le risque d'éliminer d'entrée quelqu'un ne participant pas de cet environnement. Doù notre incapacité à mettre un nom sur des têtes dont nous “ne nous attendions vraiment pas à les voir là”. D'où l'erreur de nos oenologues qui, trompés par la couleur, ont puisé dans une base de connaissances inadéquate. L'image de marque n'est qu'une base de connaissances parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients. Avantage : face à la multitude des objets qui s'offrent à moi, j'emmagasine les connaissances qui m'aideront ultérieurement à effectuer des choix adéquats. Telle est la fonction traditionnellement dévolue à la MLT par le marketing et de la communication.Sauf que ce n'est ni la seule, ni même la première : d'un point de vue cogniticien, l'image de marque contribue… à la perception. En identifiant une marque, je mobilise la base de connaissances correspondante, ce qui va m'économiser bien des efforts et du temps. quête d'un graveur DVD haute définition, je ne m'arrêterais pas en magasin devant les appareils de marques que je jugerais incapables d'en fabriquer. Pire : je déclarerais même à l'enquêteur qui m'interrogerait ensuite que la mention “haute définition” ne figure pas sur l'étiquette… alors qu'elle y est en première position ! D'où la difficulté des publicitaires à modifier une image de marque, non que leur discours s'en vienne contredire des présupposés, mais simplement parce que les perceptions sont déjà formées dans la MLT et que toute nouvelle exposition ne fait que les raviver. Méthodologiquement, comment prétester de telles communications, nécessairement inefficaces lors de leurs premiers passages, tant que le cerveau n'a pas décelé de contradictions ? En se limitant à certaines cibles ? En multipliant les expositions préalables ? Autant de risques de biais. Mais est-ce pire que de rejeter d'entrée un message trop dérangeant ? Les sciences cognitives nous rassurent : l'existence de l'image de marque n'est plus à prouver. En revanche, la complexité des mécanismes devrait inviter les instituts à revisiter certaines approches méthodologiques. Reste à savoir si son contenu peut se révéler de quelque utilité pour le marketing. C'est au fond d'une assiette de soupe que les cogniticiens nous permettront de résoudre la question, dans un prochain numéro.