L'espiègle cuisinière du goût des mots
Ecrivain-cuisinière, collaboratrice des grands chefs, Frédérick Grasser-Hermé n'en finit pas de déconcerter par son éclectisme le ban et l'arrière ban de la gastronomie profonde. Son dernier ouvrage "Mon chien fait recettes" ne risque pas de calmer les passions. Mais si l'on souhaite anticiper sur les comportements vis-à-vis de la nourriture, mieux vaut s'adresser à elle qu'à ceux qui aboient.
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On ne sait pas si on doit dire d'elle qu'elle cuisine comme elle écrit ou
qu'elle écrit comme elle cuisine, tout en se demandant si l'écriture est une
cuisine ou la cuisine, une écriture. Tel est-il qu'on la traite volontiers
d'iconoclaste, de déjantée, de provocatrice... Car les talents de Frédérick
Grasser-Hermé dérangent. Non contente d'être la femme de Pierre Hermé, le plus
grand pâtissier-créateur, son tempérament d'artiste l'a entraînée à devenir à
la fois écrivain et cuisinière. Après avoir sévi dans la presse et la
publicité, elle a jeté sur son dévolu sur Alain Ducasse et décidé de collaborer
avec lui. En est né "La Cuisinière du cuisinier"*, un ouvrage déjà plein de
verve et d'humour qui allie recettes singulières et commentaires drôlatiques.
Puis, est venu le tour de "Délices d'initiés"** qui a laissé un arrière-goût
sulfureux dans la bouche des bigots de la gastronomie. En effet, Fréderick
Grasser-Hermé y composait un hymne gustatif inattendu à la gloire de la grande
consommation. Elle mariait surgelé, appertisé, deshydraté, concentré et frais.
A l'aide de trente et un produits emblématiques de supermarché, elle avait
concocté une centaine de recettes inédites. Genre pain d'épices au ketchup,
poulet au Coca-cola, beignets sucrés aux flocons Mousline... Elles étaient
accompagnées de commentaires et de réflexions hilarantes. Elle avait ainsi
offert un viatique culinaire tout neuf au Nutella, à la Savora, au pâté Hénaff,
etc. Entre temps, on ne lui en voudra pas de s'être un peu égarée dans la
tendance "fooding" mouvement designo-anorexico-mondain. Car aujourd'hui, elle
nous réjouit de nouveau avec "Mon chien fait recettes"**. Façon exercices de
style que ne renierait pas Raymond Queneau, entre San Antonio et Rabelais, ses
recettes prennent des tournures de petits contes philosophiques. Marketing
Magazine en a profité pour poser quelques questions à cette reporter des
saveurs contemporaines.
Quelle est votre cuisine attitude ?
Je n'aime pas le chichiteux et l'académique. La vraie modernité
pour moi, consiste à désacraliser la cuisine. C'est aussi savoir mélanger le
luxe et l'ordinaire dans la simplicité ce qui demande une grande culture
culinaire. Lorsqu'on sait distinguer les meilleures qualités des produits,
lorsqu'on apprécie au premier coup d'oeil la plus extrême fraîcheur, je ne vois
pas pourquoi il serait dégradant d'utiliser des produits de grande
consommation. C'est le manque de repères qui suscite cette méfiance. Il ne faut
pas négliger les produits que l'on côtoie au quotidien. Et je n'ai pas honte de
dire que j'adore les constructions gustatives artificielles des ingénieurs en
agroalimentaire. (rires)
Selon vous, comment vont évoluer nos comportements alimentaires ?
Je pense que l'on va cuisiner avec
plus de fantaisie. Déjà nos goûts sont devenus plus internationaux. Nous
utilisons des produits danois, américains, italiens, anglais... Et nous ne
connaissons pas le quart de ce qui existe dans le monde. Nous allons aussi nous
nourrir plus sainement. Notre consommation s'oriente vers "le facile à
préparer" avec des produits prédécoupés amalgamés, assaisonnés pour le
quotidien. Et des repas plus recherchés, plus rares et inventifs pour le
plaisir. Je crois à l'avenir de la fusion food qu'il ne faut pas confondre avec
la confusion food (rires). Le rôle de la technique va aussi devenir de plus en
important et permettre des découvertes dans la transformation de la matière.
Comment vous est venue l'idée de "Mon chien fait recettes" ?
C'est un clin d'oeil à la dog attitude.*** A force d'observer,
dans les dîners, des chiens en arrêt devant chaque bouchée absorbée par leur
maître et lorgnant sur le contenu de leur assiette, j'ai eu envie d'écrire des
récits culinaires qui mélangent de la fiction et des anecdotes. Je voulais
aussi continuer à transformer des livres de cuisine en exercices de style
humoristiques. Mais l'idée, je le précise à l'intention des saintes Nitouche,
n'est pas de partager son repas avec Médor, mais avec ses amis (rires).