L'Armagnac prend la parole sans mâcher ses mots
Comment, malgré la loi Evin, réaliser une campagne collective vantant les
qualités intrinsèques d'un alcool ? C'est à cette question que le Bureau
National Interprofessionnel de l'Armagnac (B.N.I.A) commençait à réfléchir il y
a un plus d'un an. Au même titre que la plupart des eaux de vie, l'Armagnac
voit sa consommation baisser chaque année. Pire, ses consommateurs vieillissent
et les nouvelles générations n'ont pas reçu l'éducation gustative leur
permettant d'apprécier les subtilités de ce breuvage. Bref, à l'image du
Cognac, l'Armagnac est confronté à un véritable problème générationnel.
D'autant que longtemps, ses producteurs n'ont rien fait pour clarifier le
marché. Trois Etoiles, VSOP, XO, à moins d'être un professionnel du décryptage,
la multiplication des dénominations commerciales ne simplifiait pas le choix
des béotiens. En 1999, dans le cadre d'un plan triennal de redéploiement, tous
les professionnels de la filière décident de faire évoluer ces dénominations
vers un langage plus simple et plus clair. Peu à peu les maisons d'Armagnac
vont, ainsi, se tourner vers une segmentation en deux catégories : l'Armagnac
pour les assemblages de moins de cinq ans de vieillissement, le Vieil Armagnac
pour les plus de six ans. Les millésimes, une seule année de récolte et 10 ans
minimum de vieillissement, sont en revanche maintenus. Enfin pour séduire de
nouvelles cibles, la Blanche d'Armagnac, c'est-à-dire un Armagnac tout juste
sorti de l'alambic, a été créée. Cette petite révolution culturelle réalisée,
il restait au B.N.I.A à repartir à la conquête des consommateurs, en
modernisant l'image de l'Armagnac dans sa globalité.
Une réponse à la malbouffe
Après compétition, l'agence Enjoy gagne le budget en
1999. « Notre objectif a été de repositionner le produit sur des critères
objectifs, déclare Christophe Lafarge, directeur associé. L'Armagnac a
longtemps été consommé pour ses vertus thérapeutiques. Le Gers est le
département de France où l'on vit le plus vieux, c'est aussi celui où le taux
d'alcoolémie est le plus bas. A partir de ces données, nous avions, dans un
premier temps, bâti une campagne sur une réponse santé du produit. Nous
voulions le présenter en quelque sorte comme un alicament naturel. Le BVP a
statué contre cette campagne qui à l'interne avait donné lieu à un débat ». La
loi Evin interdisant de mettre en avant cette argumentation, l'agence a revu sa
copie créative tout en s'attachant aux fondamentaux contenus dans le patrimoine
de cette eau-de-vie. L'actualité du moment, vache folle, farines animales,
sécurité alimentaire et OGM, lui ouvrant une voie royale pour s'inscrire dans
un débat qui est loin d'être clos. « L'axe stratégique reste le même, nous
voulons dire que l'Armagnac est un produit vrai, sain, qui depuis des
générations est produit de la même façon », poursuit Christophe Lafarge. Là où
les grandes marques de Cognac, notamment, jouent le glamour, le luxe à
l'extrême, le B.N.I.A et son agence ont préféré un décalé sobre qui exprime les
valeurs du produit. Ni cigare, ni cuir, ni créature ensorceleuse, mais trois
affirmations, la sécurité, l'authenticité, la naturalité qui convergent vers la
réelle attente des consommateurs : la santé. « Nous avons oublié le cadre de la
consommation pour parler du produit. C'est peut-être la façon la plus actuelle
de le faire », poursuit Christophe Lafarge. Déclinée en simple page dans la
presse news et la presse culinaire, la campagne pourrait faire l'objet d'un
d'affichage en décembre. Quant au B.N.I.A, dont le budget communication est
limité, deux millions de francs pour cette vague, il attend de professionnels
de la filière « qu'ils poursuivent cette action, à travers des campagnes de
marque », indique Sébastien Lacroix, son directeur. En attendant, en sortant
des sentiers battus de la communication des alcools, l'image de l'Armagnac se
donne d'ores et déjà un sacré coup de modernité.