Industriels-Distributeurs : histoire d'une incompréhension
Ils se parlent. Souvent. Très souvent. Leurs intérêts sont communs : vendre
davantage, mieux, et en valorisant une offre de plus en plus innovante et de
plus en plus complexe. Pourtant, force est de constater, comme l'actualité nous
le relate le plus souvent, que les relations industriels-distributeurs sont
âpres et qu'elles aboutissent parfois à des impasses dues à un manque de
compréhension mutuelle. Les industriels doivent faire face à des distributeurs
exigeants, préoccupés par la montée du hard discount, par celle des premiers
prix, par l'arrivée annoncée de Wal Mart en France… Les distributeurs doivent
simplifier une offre pléthorique, dépasser le statut d'enseignes “courroie de
distribution” et s'imposer comme des marques-enseignes par le biais d'un
marketing plus mature.
Vers un nouvel équilibre ?
Il
est nécessaire de dépasser cette impasse culturelle car l'enjeu est de taille
pour les deux parties : la croissance des distributeurs et celle des
industriels sont liées de manière indéfectible sur le long terme. Un des points
de blocage réside dans le fait qu'ils partagent essentiellement des données
descriptives de comportement des consommateurs recueillies au travers de
panels, mais manquent cruellement de données explicatives, “d'insight shopper”.
Même si la compréhension du consommateur apparaît nécessaire, l'analyse
approfondie du moment où le consommateur devient un “shopper” (chaland), puis
un acheteur, est trop souvent perçue comme secondaire. Or, c'est à ce moment
précis que les arbitrages s'opèrent, que la préférence de marque se transforme
en achat. “L'instant magasin” est clé et il est temps de rééquilibrer la
balance en mettant en œuvre des programmes d'études shopper permettant de
recueillir de nouveaux “insights” opérationnels. Trois exemples illustrent en
quoi une meilleure compréhension du shopper peut contribuer à éclairer les
choix des industriels et des distributeurs.
Comment se construit la préférence des enseignes ?
Comprendre ce qui motive le choix d'une
enseigne plutôt qu'une autre, et en quoi telle ou telle catégorie participe de
ce choix est clé à la fois pour les distributeurs et les industriels. Pour y
parvenir, Research International a adapté son modèle Equity Engine afin
d'évaluer “l'Equity” des enseignes, les éléments clés sur lesquels cette Equity
repose (dimensions de performance et dimensions émotionnelles liées à la valeur
sociale, le prestige, la confiance, l'héritage) et de mesurer leur image-prix
relative (bien au-delà du prix qui est statistiquement compétitif!). Ce type de
modèle analyse de façon dynamique les phénomènes de préférence de format de
magasins, d'enseignes et la contribution des différentes catégories à cette
dynamique de préférence.
Quels leviers de développement des ventes en magasin ?
Pour identifier les leviers de développement d'une
catégorie donnée, il est souvent nécessaire d'aller au-delà des segmentations
classiques déterminant le poids des consommateurs sensibles à la marque, au
prix, à la promotion… De manière plus fine, l'expérience de Research
International démontre l'intérêt de distinguer les shoppers dits “actifs”, qui
vont aller à la chasse pour trouver la meilleure offre, quitte à changer de
magasin, des shoppers dits “passifs”, qui vont choisir une marque par habitude
ou qui vont systématiquement acheter le prix le plus bas dans leur magasin
habituel. Ce type de décryptage se révèle très opérationnel pour les
distributeurs. De même, il n'est pas souhaitable d'utiliser les mêmes leviers
marketing sur toutes les catégories. Des études récentes démontrent qu'il
existe un ratio de 1 à 9 entre le temps passé dans le rayon surgelés et le
temps passé dans le rayon hygiène-beauté. Dans le premier cas, l'enjeu sera de
faire venir les shoppers dans le rayon surgelés… Dans le deuxième cas, il
s'agira essentiellement de stimuler l'impulsion.
Comment gérer le paradoxe du choix ?
Les distributeurs sont sous pression. Le
nombre de références proposées par les industriels augmente beaucoup plus
rapidement que la taille des linéaires. D'où une offre pléthorique qu'il
devient urgent de simplifier. Mais comment donner toute sa place à l'innovation
- génératrice de valeur - tout en simplifiant la lisibilité de l'offre pour
les consommateurs? Comme chacun le sait, “choisir, c'est renoncer”… mais à quel
produit renoncer ? Pendant longtemps, en matière d'optimisation de gammes, la
règle consistait à garder les “grandes” marques aux meilleures rotations et à
éliminer les “petites”. La base de données de notre modèle “Range Optimisation”
révèle que ce n'est pas aussi simple. En effet, une petite marque,
correspondant à une unité de besoin spécifique ou si elle touche une cible
“d'accros”, peut ne pas être interchangeable. Ainsi, c'est ce niveau
d'interchangeabilité qui doit guider le choix des références à conserver. Pour
identifier cette combinaison de références optimale au sein d'une catégorie,
nous mettons en œuvre une micromodélisation qui évalue la réaction individuelle
des shoppers au cas où ils ne trouveraient pas leur produit habituel en rayon.
Seraient-ils susceptibles de changer leurs habitudes pour acheter une autre
marque, et si oui avec quel volume d'achat et quelle satisfaction ? L'objectif
final est de déterminer le chiffre d'affaires et le profit additionnels que la
catégorie est capable de générer avec un nombre de références optimisé. Sur ce
terrain-là, il y a fort à parier qu'industriels et distributeurs se
comprendront ! Nous avons mené une étude sur le rayon des déodorants pour
Sainsbury au Royaume-Uni. Partant d'un univers de cent trois références
impossibles à rentrer en rayon, nous devions identifier la gamme de trente
références maximisant les volumes. Si Sainsbury avait choisi de conserver le
top 30 des meilleures ventes en volume, 89 % des volumes générés par la gamme à
cent trois références aurait été préservé. En faisant tourner l'algorithme de
notre modèle “Range Optimisation”, nous avons trouvé une solution permettant
d'atteindre 94 % des volumes de la gamme initiale avec trente références. Comme
l'indique le sociologue Barry Schwartz dans son ouvrage “The Paradox of
Choice”, trop de choix peut conduire à une paralysie du consommateur.
L'optimisation des gammes peut aller bien au-delà d'un simple exercice de
limitation du nombre de références ; cela peut devenir un moyen, pour le
distributeur et l'industriel, de gagner des consommateurs ! A travers ces
trois problématiques clés, il apparaît clairement qu'une meilleure
compréhension entre industriels et distributeurs sera facilitée par la prise en
compte première du shopper et de ses attentes, et par l'analyse de l'adéquation
des catégories, des marques et des offres à ces attentes. Toute approche
shopper doit débuter par la compréhension des choix d'enseignes et de marques
qui conditionnent l'acte d'achat avant la venue en magasin, puis être complétée
par l'analyse du comportement d'achat in situ ; dans cet ordre et non
l'inverse. En tout état de cause, les facteurs clés de succès de toute étude
shopper sont : une prise en compte des contraintes distributeurs en amont, des
objectifs partagés et un souci constant d'opérationnalité.