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Icones maudites et flash celebreties

Pascal Blanchard, historien et directeur de l'agence Les Bâtisseurs de Mémoire, a co-coordonné une formidable étude réunissant les travaux de 53 chercheurs. Intitulée "Zoos humains, de la vénus hottentote aux reality shows"*, elle met en perspective le rôle de la spectacularisation de l'Autre dans la construction de l'identité occidentale.

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Comment expliquez-vous l'apparition de zoos humains ?


Il est difficile d'expliquer un phénomène de masse qui a été aussi important que celui de la télé-réalité d'aujourd'hui. Intégrés dans une dynamique historique et anthropologique, dans un faisceau de phénomènes, les zoos humains ne sont pas seulement une simple exhibition. Ils participent à la construction d'une idéologie. Une culture coloniale s'est constituée peu à peu sans vraiment le savoir. Elle s'est ainsi construit une vision du monde et de l'altérité.

Quel était alors le rôle de l'image ?


Il ne faut pas oublier qu'à la fin du XIXe siècle, seulement 10 % de la population sait lire et écrire et moins de la moitié parle français. C'est dire le rôle des images. Mais ce n'est pas toujours l'idéologie qui produit l'image. Celle-ci génère elle-même sa propre idéologie. Un racisme populaire s'est installé par le passage de certaines considérations scientifiques dans le domaine ludique. Une vision raciale du monde apparaît et amuse l'Occident qui n'avait pas cette perception d'une hiérarchie des races. Un enchaînement et une multiplication d'images tracent des frontières entre "eux" et nous. Il y avait ceux qui étaient dans l'enclos et ceux qui étaient au-dehors. Puis, des rapports de marché se sont créés car les visiteurs ont été de plus en plus demandeurs. Il faut savoir que les zoos humains ont connu 60 années de temps forts et attiré plus de 400 millions de visiteurs. Ils ont préfiguré certains aspects des rapports Nord-Sud et dessiné des caractères d'altérité et d'identité.

Quel lien faites-vous entre les zoos humains et la télé-réalité ?


Après l'exhibition de l'Autre pour son exotisme, aujourd'hui, c'est celle de la médiocrité et du stéréotype, comme en témoigne la seconde édition de Loft Story. Je dirais qu'après un déferlement de lointain et d'exotisme, il y a aujourd'hui un goût pour le banal, l'intimement normal. Le rapport de ce type d'émissions avec le zoo humain est de plusieurs ordres. Il s'agit d'une mise en scène contemporaine de l'Autre "normal" dans un espace anormal, parfois exotique. Cette inversion des acteurs normal/anormal, civilisé/sauvage, blanc/noir se double d'une reproduction, à un siècle d'écart, de la nature des lieux d'exhibition. Le processus final reste donc le même. On retrouve aussi l'espace clos et fermé au public. De plus, la dimension du voyeurisme est obligatoirement présente. Ces rapprochements soulignent la permanence d'une typification de l'Autre, alors que les procédés et les vecteurs de diffusion de l'image ont profondément changé. On peut poursuivre la comparaison vis-à-vis de l'identification à la "chose vue". Lors des exhibitions ethnographiques, il s'agissait d'une sorte de construction des identités en miroir de la sauvagerie. Maintenant, nous assistons à des constructions de personnalités sociales en fonction de normes sélectionnées et mises en scène. Hier, les exhibés étaient les "icônes maudites", aujourd'hui, ils deviennent des "flash celebrities". Chaque zoo humain est donc le reflet d'un contexte et d'une époque. Comme au Jardin zoologique d'acclimatation ou lors de l'Exposition coloniale de 1931, on retrouve l'interaction entre trois mondes : celui du spectacle qui mène du Jardin à la télé, celui du pseudo-scientifique, de l'anthropologue au psy de la télé-réalité, celui de la reconstitution d'une réalité avec mise en scène d'un habitat, d'animaux et de spécimens vivants...

Pensez-vous que le populisme à l'oeuvre dans la société entraîne de nouvelles formes de racisme ?


Une société a besoin de stéréotypes pour fonctionner. Il ne s'agit pas forcément de racisme. Mais il est vrai qu'il existe une forte tendance à cataloguer l'Autre par ce qu'il est et non par ce qu'il fait. Je dirais que nous subissons une fusion des idées du colonialisme et du libéralisme et que nous n'avons pas remis en cause les anciens modèles.

Les avatars de zoos humains ont-ils de beaux jours devant eux ?


Imaginons un groupe d'individus de toutes origines sociales et rigoureusement sélectionnés pour leur représentativité, rassemblés dans un lieu clos truffé de caméras. Des psychologues décryptent leurs comportements, l'expliquent au spectateur pour valider l'expérience dans le "réel". Un scénario permet de provoquer des situations "extrêmes". Cela existe depuis 2001 et s'appelle "Human Zoo" aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et "Faune Humaine" au Canada. Philippe Zimbardo, psychologue à l'université de Stanford et président de l'American Psychological Association, cautionne Human Zoo où il ne s'agit ni plus ni moins que de plonger des cobayes humains dans un contexte de contraintes psychologiques très intenses. L'exhibition de l'Autre n'en est pas à son terme... * Aux Editions La Découverte. A lire également de Pascal Blanchard, Eric Deroo et Gilles Manceron, Le Paris Noir. Editions Hazan. Ainsi que de Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, De l'Indigène à l'immigré. Editions Découvertes Gallimard.

Stirésius

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