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Homme et technologie Une nécessaire adaptation mutuelle

Après avoir vu dans l'avènement des nouvelles technologies la promesse d'un monde meilleur, l'homme redécouvre que toute médaille a son revers. Inquiet pour ses libertés individuelles, il est en quête d'une technologie plus humaine.

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La technologie a pour vocation première de simplifier la vie de l'homme. A priori, elle est à son service. Pourtant, depuis la nuit des temps, l'homme entretient avec elle un rapport ambigu. Fasciné par les progrès et la modernité qu'elle symbolise, effrayé par ses possibles dérives. « La technologie a un caractère magique. C'est beau, disent les gens mais en même temps, ils en ont peur. Tant qu'il n'y a pas eu d'expérience, ils projettent sur elle des scénarios du futur, des scénarios de science-fiction », analyse Christophe Rebours, fondateur de l'agence de design In process. Et si plus personne ne souhaite revenir à l'âge de pierre, un temps d'adaption mutuelle est nécessaire pour que l'homme retrouve le sentiment de dominer la technologie.

Avec l'arrivée des nouvelles technologies, ce temps d'adaptation est devenu de plus en plus court. Et peu à peu l'homme a le sentiment de perdre la main, d'être asservi par la machine. « La technologie s'invite partout, dans notre environnement, dans intimité, elle devient intrusive. Et la probabilité est forte que chacun de nous voit plus de dix révolutions technologiques quand nos ancêtres en voyaient à peine une dans leur vie », remarque Dominique Weizman, directrice générale de Dezineo, bureau de style et de veille spécialisé dans le design.

Séduits par la modernité mais refusant la course effrénée à la performance, certains consommateurs, à commencer par les bobos californiens, s'engagent sur des voies alternatives et opposent au high tech, le slow ou low-tech. Une technologie à visage humain, porteuse de sens, qui resterait à l'écoute de l'homme. Une technologie responsable et respectueuse de son environnement.

Simple et invisible


« Le low-tech ne rejette pas la technologie mais il se concentre sur l'essentiel, sur ce qui fait sens. Ses adeptes sont à la recherche d'une technologie zen dont la principale caractéristique est la simplicité », commente Pierre d'Huy, directeur associé d'Experts Consulting. Et d'expliquer par cette quête post-moderne le succès de Vertu, système de communication mobile lancé par la division luxe de Nokia. Un objet, créé par le designer Frank Nuovo, dont la principale caractéristique, outre son prix exhorbitant (6 000 à 24 000 euros), est d'être un portable et rien d'autre. « Après avoir fait le tour de la question, on retourne à l'essentiel, un produit - une fonction », poursuit Pierre d'Huy.

Si, pour quelques stars hollywodiennes, le low-tech devient une manière de se différencier du commun des mortels, un snobisme suprême, la tendance est cependant plus profonde. « Incontestablement, nous assistons à une évolution des valeurs, et partant des comportements. La montée en puissance du développement durable ou du mouvement “Volunteer simplicity”, une philosophie de vie axée sur la volonté de simplifier sa vie en minimisant l'impact négatif de la consommation sur la planète, laisse penser que le low-tech est une tendance de fond », estime Eric Seulliet, directeur d'E-mergences, groupe de consultants, spécialisés en prospective et innovation. Tendance que les chercheurs, ingénieurs et autres marketers commencent à prendre en compte.

Si rien ne peut arrêter leur marche en avant, l'objectif aujourd'hui est de rendre les nouvelles technologies utiles, belles, disponibles et simples. De revenir, en termes de conception et de design, à ce que Raymond Loewy appelait le “MAYA stage”. « Le point MAYA, pour “Most Advanced Yet Acceptable” est une sorte de frontière, difficile à définir, à tracer. C'est le point, la limite au-delà desquels on ne peut aller sans prendre le risque d'être rejeté par les utilisateurs », explique Christophe Rebours. Une frontière que Steve Jobs, patron d'Apple, semble avoir trouvée. Du premier ordinateur à l'i-Pod, la firme a bâti sa réputation sur la simplicité des interfaces, sur la beauté du design, sur l'accessibilité de la technologie. « L'époque de la technologie à la Star Treck est derrrière nous. La technologie est certes omniprésente, mais elle devient invisible, elle fait en quelque sorte profil bas.

Un des exemples les plus aboutis de cette approche est probablement le i-Pod. Sa communication ne dit rien sur ses caractéristiques technologiques. On voit l'objet et des silhouettes qui dansent. La technologie entre dans le domaine des bénéfices émotionnels », analyse Lionel Turci, consultant chez Experts Consulting.

Renouer avec le réel


Bénéfices émotionnels destinés à faire de l'objet, un compagnon, un camarade. Bénéfices que les industriels de l'électroménager cherchent, aujourd'hui à traduire après la dérive des années 2000. En pleine bulle Internet, tous les grands groupes d'électroménager se sont lancés dans la technologie communicante. Ariston présentait Margherita2000.com, une machine à laver pilotable à distance par GSM et le Web gagnait les portes des réfrigérateurs (Samsung, Frigidaire, Electrolux). S'ils ont fait la joie de la presse, tous ces appareils ont très vite été remisés au hangar des fausses bonnes idées. « Le concept était pourtant intéressant. Le réfrigérateur est l'endroit où la famille se retrouve.Vouloir y installer un ordinateur familial semblait être une bonne idée. Les concepteurs ont simplement oublié qu'il fallait traiter autrement la technologie. Plaquer un écran d'ordinateur sur une porte n'a pas de sens. On aurait pu imaginer une sorte d'ardoise magique ou encore un système de Post'It », indique Christophe Rebours.

Forts de cette leçon, les grandes marques sont revenues à des concepts plus simples. Les petits écrans LCD qui équipent la dernière génération des réfrigérateurs du groupe ElcoBrandt se contentent de délivrer les informations essentielles sur le bon fonctionnement de l'appareil. Quant aux nouvelles technologies développées par les machines à laver, elles visent essentiellement à réduire l'impact de leur utilisation sur l'environnement. Bref, après les délires futuristes, les innovations s'orientent à nouveau vers les bénéfices directement perçus par l'utilisateur. Ce faisant, elles retrouvent du sens.

Cette quête de sens est d'autant plus essentielle, que le développement des nouvelles technologies entraîne l'homme dans un monde de plus en plus virtuel. « Les hommes ont le sentiment d'avoir perdu le contact avec la réalité. Le développement de la polysensualité, du soft touch, de l'encapsulation des odeurs, ou d'une façon plus générale, le recours à des matières qui font appel à tous nos sens, sont une réponse à cette perte de contact », note Monique Large, directeur de projet chez Dezineo. Et Eric Seulliet d'ajouter. « Le high touch compense la technologie par la sensorialité. Le design est plus recherché, une éco-conception est en marche. C'est ce que nous appelons un marketing de la reliance qui se base sur la recherche de liens de connivence et qui est fondé sur une meilleur prise en compte des valeurs et du sens. » Même Internet, pourtant synonyme de high-tech et de monde virtuel, voit se multiplier les tentatives d'humanisation. Communautés, chats, weblogs, sans parler du développent vertigineux des sites de recherches généalogiques, le Web devient un tissu vivant de résistance à la technologie, ou du moins à ses excès. Et c'est probablement là tout le paradoxe de ce nouveau siècle.

Menace sur les libertés


Alors que la technologie améliore la qualité de vie, fait reculer la mortalité, libère du temps, rend les déplacements plus sûr, l'homme du XXIe siècle semble se focaliser sur son côté obscur. Exemple le plus récent de la fascination/répulsion : le développement des Rfid (Radio Fréquency Identification). Ces tags intelligents, bourrés d'informations, permettent de suivre à la trace des marchandises, voire des animaux. Essentiellement utilisés à des fins logistiques - le distributeur Walmart a été le premier à en saisir l'opportunité - ces tags pourraient, dans un futur proche, être insérés dans des produits plus courants. Aux Etats-Unis, Gillette s'y est essayé, provoquant immédiatement une levée de boucliers de la part des associations de consommateurs.

« Le Rfid permet de fluidifier les informations. On peut imaginer, pour demain, des vêtements équipés de ces étiquettes qui communiqueraient avec les appareils électroménagers. Ces derniers adapteraient leur programme aux informations reçues. La contrepartie de cela, c'est la traçabilité, tout le monde nous regarde », raconte Christophe Rebours. Big Brother est de retour et avec lui, les craintes liées aux atteintes à la vie privée.

D'autant que parallèlement se développe la biométrie. Empreintes digitales, iris de l'œil, chaque personne peut être reconnue en fonction de ses caractéristiques physiques. Pour les experts, les réponses à apporter aux interrogations liées au développement de ces technologies relèvent du domaine du politique. « Il est temps de considérer cette question d'un point de vue politique et public. Compter uniquement sur les processus commerciaux et technologiques pour protéger l'intérêt public n'est sans doute pas la voie la plus judicieuse », déclarait ainsi Henry Holtzman, chercheur au MIT (Massachusetts Institute of Technology), et par ailleurs apôtre de la technologie Rfid, dans une interview publiée en février dernier dans la lettre de la Fondation Internet Nouvelle Génération (www.fing.org).

En attendant ces décisions, les forums bruissent. Entre fantasmes schizophréniques et interrogations légitimes, la planète internet soulève les questions pour qu'une prise de conscience collective se mette en œuvre. « Aucune technologie n'est neutre, il y a toujours un revers à la médaille. Cela étant, toute avancée technologique nous a fait craindre le pire », analyse Lionel Turci. Et de rappeler que l'arrivée de nouvelles technologies, du téléphone aux cartes de paiement, a toujours réveillé cette peur d'être dépassé, soumis. Or qui pourrait, aujourd'hui, se passer de ces des objets ? Et plus globalement, qui défendrait l'idée que « c'était mieux avant » ? Au-delà de la défiance naturelle, vis-à-vis de ce qui est nouveau, cette angoisse face aux technologies ne traduit-elle pas plus simplement, dans nos sociétés vieillissantes, la peur de l'avenir ?

Rita Mazzoli

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