Happy Attitude : bonheurs passagers, bien-être éternel ?
Aujourd'hui, plus aucune limite ne s'oppose à ce besoin de bien-être vers lequel nous tendons naturellement. Nous n'avons plus d'excuses pour mener à bien notre projet de vie, pour nous épanouir et rayonner de bonheur. Il manque simplement le mode d'emploi pour trouver la bonne Happy Attitude.
au siècle dernier, Etienne Chatilliez nous enchantait en affirmant que Le
bonheur est dans le pré. Au XXIe, il est omniprésent. Les émissions de
télévision sont ponctuées d'expressions telle que “c'est que du bonheur !” ,
apportant le degré d'émotion nécessaire au succès populaire. La cosmétique, en
pleine vague de bien-être, adopte les termes évocateurs de “Happylogie”
(Guerlain), “Happyderm” (L'Oréal) et “Chance” (Chanel). Dans le secteur des
nouvelles technologies, Wanadoo ou HP affichent un bonheur volontaire destiné à
la “positive génération”. Mais être heureux en permanence n'est pas
envisageable. Le bonheur s'applique donc par petites touches : couleurs vives,
motifs fleuris, formes pleines d'humour, gestes ludiques, qui apportent au
quotidien un vent de fraîcheur et de gaîté. Ces instants insufflent des
émotions, sans grande remise en question de notre vie. Dans l'univers de la
maison, des marques hyper colorées, comme Koziol ou Pylônes, éditent des objets
fonctionnels et ludiques. Le grille-pain en forme de vache, les pinces à linges
en forme d'hirondelles…, ces objets pleins d'humour ne sont plus réservés aux
seuls enfants. Régime, corvées, petites et grandes peurs - sujets fâcheux et
contraignants - sont transformés par cette vague de légèreté. L'eau plate fait
du bien à la silhouette, mais elle n'est pas très ludique. Qu'à cela ne tienne,
les eaux aromatisées et colorées viennent rendre la pratique tellement plus
agréable. Même la vaisselle devient un moment de pur bonheur avec les éponges
parfumées à la menthe et aux agrumes (Pilouface de Scotchbrite). Et la purée
servie dans une petite cuillère en forme d'avion (Babyplane de Stilic) s'avale
toute seule. Derrière le geste ludique, la contrainte disparaît.
S'évader du quotidien
Le phénomène “Happy” explique
également la métamorphose des centres commerciaux et lieux de vente. La durée
moyenne des courses en hypermarché est passée de 90 minutes en 1988 à 30
minutes aujourd'hui. Moins disposé à errer dans les rayons, le consommateur
préfère consacrer ce temps à des actions génératrices de plaisir : flâner,
chercher des idées de décoration, se laisser tenter par les nombreux loisirs
créatifs. Les courses hebdomadaires se transforment en sortie ludique dans des
centres commerciaux agencés comme de véritables parcs à thème (Carré Sénart
conçu autour de celui du cheval). Faire référence aux loisirs ou aux vacances
permet de casser la banalité du quotidien et de s'évader. Le magasin de
décoration LifeStore de Marks & Spencer en Angleterre raconte neuf moments de
vie (se reposer, fêter, cuisiner, etc.) dans une vraie maison. La tendance est
à des surfaces de vente plus restreintes, avec un choix plus limité mais plus
ciblé, agencées de façon distrayante. La chaîne de supermarchés Trader Joe's
aux Etats-Unis propose un modèle situé entre l'épicerie hard-discount et le
gourmet-store. Un choix réduit de produits (moins de 3 000) et des références
sélectionnées, afin de coller aux envies du client : un mix bien dosé avec du
bio, du terroir, de l'exotisme, des MDD, de la qualité au plus bas prix - le
tout dans une ambiance bon enfant. Face à une société tourmentée, une vie
difficile, des responsabilités toujours plus stressantes, l'homme cherche à
fuir la réalité et à se créer une petite bulle égoïste, un noyau de bien-être
et de plaisir. Pour lui permettre d'aborder la vie avec insouciance, d'éprouver
des émotions douces, sans conséquences. Et pour se sentir exister.