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Guerre commerciale : de l'intérêt du marketing défensif

Le marketing se doit-il d'être toujours offensif, agressif ? Non, répondent les consultants de Simon-Kucher & Partners. Dans le cas, on ne peut plus classique, d'attaques concurrentielles pouvant engendrer des baisses de prix néfastes pour tous, une stratégie de marketing défensif peut constituer une solution intéressante. Explications et conditions de la réussite.

Publié par La rédaction le
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Qu'il s'agisse de biens industriels, de biens de consommation ou de services, il ne se passe pas de jour sans que la presse ne mentionne une concurrence acharnée, la pression croissante sur les prix, voire une ruineuse guerre des prix. Elles sont souvent pointées du doigt lorsque les objectifs de résultat ou de rentabilité ne sont pas atteints. De fait, les prix de nombreux types de produits stagnent ou baissent. Cela ne concerne pas seulement les ordinateurs personnels ou les téléphones mobiles, dont les prix chutent régulièrement parce qu'ils se déclassent vite. Les transports, la chimie, le marché des pièces détachées, certains segments de l'industrie automobile sont aussi concernés.

Le cercle vicieux de la baisse des prix


La pression sur les prix et les baisses observées résultent presque toujours d'attaques concurrentielles que l'on peut classer en deux catégories : - attaque d'un nouveau concurrent à la suite d'une innovation stratégique, - attaque des acteurs du marché déjà établis. Dans le premier cas, le nouvel entrant développe une innovation stratégique qui permet de satisfaire les besoins des clients de manière totalement nouvelle ou à un coût nettement moindre. Cette perte classique de clients face aux nouveaux entrants a déjà fait l'objet d'une abondante littérature. Nous nous concentrerons sur le deuxième type d'attaque concurrentielle. Dans ce type de situation, les acteurs du marché déjà établis utilisent les armes traditionnelles pour élargir leurs parts de marché : ils réduisent les coûts pour offrir un prix inférieur et gagner de nouveaux clients, ou vont jusqu'à sacrifier une partie de leur rentabilité en baissant les prix sans réductions de coût correspondantes. L'exemple suivant met en évidence une situation typique dans laquelle un marketing défensif est une solution intéressante. Une entreprise du secteur des biens industriels, leader sur son marché, mène depuis plusieurs dizaines d'années une politique concurrentielle astucieuse en passant un accord tacite avec son principal concurrent (de parts de marché comparables) pour éviter une guerre des prix. Mises à part quelques attaques mineures, les deux entreprises évitent de s'affronter. Au début des années 90 sont simultanément apparus : - de nouveaux entrants étrangers, mais provenant du même secteur, - de nouveaux concurrents du même pays, mais provenant de secteurs différents. Les concurrents de petite taille ont proposé des produits très simplifiés à des prix nettement inférieurs. Une proportion grandissante de clients s'est ainsi rendue compte qu'elle payait depuis des années des prix trop élevés pour ce qu'elle recherchait. Les deux fournisseurs traditionnels ne perdaient que peu de parts de marché sous l'effet répété de ces "coups de canif", mais la direction s'inquiétait fortement de cette tendance. Un cercle vicieux s'est alors mis en place : l'un des gros fournisseurs a senti sa place de leader menacée et a pris des mesures agressives (baisses de prix notamment) pour regagner des clients. L'autre concurrent, voyant ses clients et ses gains fondre comme neige au soleil, a suivi le mouvement et baissé ses prix à son tour. La suite est connue : une érosion continuelle des prix, dont la stabilité permettait d'assurer une bonne rentabilité.

Le dilemme du prisonnier


L'apparition d'une concurrence de plus en plus acharnée et d'une guerre des prix se résume très souvent à l'existence d'un "dilemme du prisonnier". Dans cette situation de la théorie des jeux, deux criminels sont emprisonnés et interrogés séparément. Si l'un des deux avoue son forfait alors que l'autre nie, il est libéré tandis que son complice purge une longue peine de prison. Si les deux avouent, ils sont condamnés chacun à une peine de prison modérée. Si aucun des deux n'avoue, les deux acquittent une amende et sont libérés. Bien qu'ils aient intérêt à nier tous deux leur forfait, chacun d'entre eux est logiquement amené à avouer pour tenter de minimiser sa peine. Appliqué au marché concurrentiel, le dilemme des prisonniers signifie que les deux entreprises croient servir leur intérêt et prendre l'avantage en adoptant une politique marketing agressive. Chacune s'engage pourtant malgré elle dans une spirale descendante des prix qui lui est défavorable. Une analyse plus approfondie montre que les deux entreprises concernées commettent en réalité une erreur d'estimation. La baisse des prix ne permet pas vraiment d'attirer de nouveaux clients : même sur les marchés à forte élasticité prix, les clients ne voient aucun avantage à changer de fournisseur, car chacun réagit automatiquement aux réductions de prix de son rival. Une fois le processus compris, le dilemme disparaît puisque les acteurs reconnaissent que leur intérêt commun est de maintenir leur prix. Cela suppose cependant une vision commune de la situation de marché et quelques signaux rassurants sur les intentions de ses concurrents.

Stratégie de marketing défensif


Par quelles mesures peut-on éviter de sombrer dans une telle spirale descendante ? Comment le leader du marché peut-il éviter le déclenchement d'une guerre des prix, ou tout au moins en limiter les effets négatifs ? D'après notre expérience, la mise en place d'une stratégie marketing défensive est l'une des seules solutions, qui suppose en général que l'on renonce aux stratégies classiques de croissance agressive.

Mise en place d'un marketing défensif




1. Identifier les causes de la baisse des prix et de la perte de clients


Dans un premier temps, il s'agit d'analyser en détail les raisons qui sont à l'origine de la pression sur les prix et de la perte de clients. L'expérience montre que cette étape est souvent réalisée de façon superficielle et que le véritable contexte des réactions du marché n'est pas vraiment connu. L'analyse doit prendre en compte tous les acteurs importants du marché : les clients, les distributeurs, les concurrents et l'entreprise elle-même. Il est aussi indispensable d'analyser en détail les raisons de la perte éventuelle de clients. Si elle provient du produit, de la qualité ou du service, la pression sur les prix n'en est qu'une manifestation indirecte. Dans ce cas il faut traiter le véritable problème en améliorant l'offre client.

2. Analyser les objectifs et la stratégie des concurrents


Le deuxième domaine d'investigation concerne les concurrents et la stratégie qu'ils poursuivent : privilégient-ils les parts de marché ou le résultat ? Ont-ils des raisons particulières pour adopter une stratégie agressive ? Ont-ils développé de nouveaux moyens de production qu'ils cherchent à exploiter au maximum ? Qui prend la décision finale dans les entreprises concurrentes : la direction nationale ou une direction centralisée qui fixe des objectifs à remplir pour chacune des filiales ? La réponse à ces questions permet d'avoir une image claire de la situation et des perspectives de chaque concurrent, ce qui représente un élément important pour le développement de la stratégie à suivre.

3. Evaluer l'image de l'entreprise


Dans ce domaine, l'image que les entreprises ont d'elles-mêmes et la représentation qu'en ont les concurrents sont souvent radicalement opposées. Exemple. Depuis son entrée sur un segment du marché de la sécurité, un grand groupe international a clairement conquis la place de leader. Au cours de ces dernières années, il a connu un développement remarquable en portant sa part de marché à 70 % en Europe grâce à des efforts de vente considérables. Dans le même temps, il reprochait à ces concurrents de mener une politique de prix agressive et les tenait pour responsables de la forte érosion des prix. L'analyse a montré cependant que ces mêmes concurrents se sentaient fortement menacés par le groupe international en question et tentaient, à l'aide de tous les moyens marketing disponibles, de maintenir tant bien que mal leurs parts de marché. Par sa stratégie d'expansion agressive, et bien que n'utilisant pas l'arme de la baisse des prix, le leader du marché était donc lui même responsable de la spirale descendante des prix - à cause d'un problème très fréquent d'image sur le marché. La leçon est claire : il est important de se mettre à la place des concurrents et d'essayer d'avoir un jugement aussi neutre que possible de la façon dont votre entreprise, votre stratégie et vos objectifs sont perçus.

4. Les profits comptent plus que le chiffre d'affaires


Le point crucial d'une stratégie marketing défensive est la détermination correcte de ses propres objectifs. Il peut s'agir notamment : - d'augmenter la rentabilité en évitant une guerre de prix, - de donner la priorité à la croissance des parts de marché. Dans le deuxième cas, il faut bien entendu proposer des innovations ou augmenter l'utilité perçue par le client, sans quoi il s'agit d'une stratégie de croissance artificielle qui conduit à une érosion des prix. La direction doit fixer clairement les priorités et les communiquer. Car les deux types d'objectifs ne peuvent exister en même temps, du moins pas sans amélioration de l'offre client ou expansion géographique. A défaut, cela conduit à un manque de clarté auprès des employés et à d'incessants mouvements entre une stratégie de rentabilité et une stratégie de parts de marché.

5. Informer le marché


Si l'on a finalement choisi une stratégie de marketing défensif orientée vers la rentabilité, il est important d'en informer au plus vite le marché. A l'aide d'interviews, d'articles et de présentations lors de conférences, la direction peut rapidement faire connaître son changement de cap aux acteurs principaux de marché.

6. Rationaliser le marketing et les ventes


Communiquer et fixer clairement les objectifs ne suffit pas. Il faut rationaliser l'ensemble du marketing et des ventes et faire accepter la nouvelle stratégie. En particulier, il est nécessaire d'adapter la gestion des équipes commerciales qui date, en général, d'une époque de croissance effrénée. A défaut, la nouvelle stratégie sera menacée avant même d'exister. Cela concerne non seulement les objectifs des ventes mais aussi les systèmes de rémunération et de primes. De la même façon, la plupart des structures de prix doivent être complètement remaniées car l'impact sur la fidélisation des clients est fort, bien que souvent sous-estimée. La mise en place d'une stratégie de marketing défensif permet de stopper, voire d'inverser la chute des bénéfices, lorsque l'activité stagne. L'entreprise peut ainsi se concentrer sur son développement et mieux poursuivre son programme d'innovations. * Georg Tacke est Senior Partner chez Simon-Kucher & Partners Strategy & Marketing Consultants, dont les bureaux sont situés à Cambridge (Massachusetts, USA), Bonn, Munich, Vienne et Paris. Ralph Engelmann et Florent Jacquet sont Consultants à Paris. www.simon-kucher.com

LES SEPT ÉLÉMENTS DE LA STRATÉGIE DE MARKETING DÉFENSIF


1 Identifier les causes de la chute de prix et de la perte de clients. 2 Analyser les objectifs et la stratégie des concurrents. 3 Evaluer l'image de l'entreprise auprès de concurrents et des clients. 4 Fixer les objectifs de l'entreprise en fonction des gains et non des parts de marché. 5 Informer clairement le marché de la stratégie de marketing défensif. 6 Adapter la stratégie de prix et le contrôle des ventes. 7 Accorder la priorité à la fidélisation plutôt qu'à l'acquisition de nouveaux clients.

La rédaction

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