Gérard Caron: le design au coeur du marketing de demain
DU PACKAGING A L'ARCHITECTURE DU POINT DE VENTE EN PASSANT PAR L'IDENTITE VISUELLE, LE DESIGN EST AU SERVICE DES MARQUES ET DES PRODUITS. GERARD CARON, L'UN DES INVENTEURS DU DESIGN DE MARQUE EN FRANCE, FAIT LE POINT SUR LES TENDANCES ET LES INNOVATIONS D'UN SECTEUR RECONNU COMME UN ATOUT STRATEGIQUE POUR LE PAYS.
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QUELLE EST VOTRE DEFINITION DU DESIGN?
Il y aurait mille façons de définir le design, et aucune ne serait satisfaisante. La mission du design est de faire comprendre un objet ou un produit, de le rendre séduisant, de le faire acheter, et qu'il ne déçoive pas à l'usage. Car le designer travaille sur la forme et sur le fond. Il s'agit d'un métier à mi-chemin entre l'artistique et l'ingénierie, qui s'inscrit dans un contexte commercial. Le métier de designer est aussi lié au capitalisme et à la notion de choix. Il n'y a quasiment pas d'agences dans les pays pauvres.
QUELLES SONT LES TENDANCES EN MATIERE DE PACKAGING?
J'ai la chance extraordinaire de présider les Pentawards, la plus importante compétition mondiale de packaging design. J'ai ainsi pu découvrir un millier de packagings venus d'une cinquantaine de pays. De cette expérience, je déduis plusieurs tendances. Le packaging est enfin considéré comme un média. Nous devons cette prise de conscience aux pays émergents. Leurs consommateurs découvrent les produits: les marques doivent donc les situer et raconter leurs histoires. Or, un packaging quel qu'il soit, coûte beaucoup moins cher qu'une campagne média.
Avec la crise, les annonceurs se focalisent sur les fondamentaux: le point de vente, le rayonnage et le packaging. Les marques très connues - Coca-Cola, le Petit Ecolier, Heineken ou Bic - revisitent leurs classiques. Elles réactualisent leurs packagings et jouent avec pour attirer de nouveau l'attention de consommateurs complices. Par ailleurs, les produits sont aujourd'hui présentés de façon plus réaliste et démonstrative. Le verso devient presque un recto tant la marque cherche à rassurer le consommateur quant à la qualité. La volonté de simplifier la communication, déjà traduite dans le commerce de détail par la sobriété de l'architecture des boutiques, s'étend au packaging, qui adopte un design minimum. Enfin, le raffinement s'impose, même quand il s'agit de présenter des produits de consommation courante, très populaires. Les tracés, les détails la mise en page sont soignés. Et les linéaires de la grande distribution sont aussi sophistiqués que ceux d'une grande épicerie fine. Cela s'explique par le fait que toutes les marques sont premium: le champ de la qualité s'étend, on monte d'un cran et cela se voit.
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COMMENT CONCILIER ECOCONCEPTION ET PACKAGING?
écologique s'inscrit désormais dans tous les briefs. Les entreprises y sont contraintes par la loi et par la pression exercée par les consommateurs. Attention, la contrainte écologique ne réduit pas pour autant la quantité des emballages. Leur tonnage est peut-être moins important, car les initiatives pour contenir leur volume abondent, mais leur nombre augmente.
Les paquets individuels se multiplient - les produits comme les steaks, la salade ou les biscuits sont emballés en sachet fraîcheur - car le mode de vie dominant l'exige. Depuis 2010, 51 % de la population mondiale habite en ville. Or, le mode de vie des urbains les incite à acheter des produits à l'unité, emballés, prêts à consommer. A cela s'ajoutent la composition des foyers et des logements à l'espace réduit.
LA NOTION DE VRAC VA-T-ELLE SE DEVELOPPER?
Le vrac reste anecdotique. Il ne pourrait faire un grand retour que si la crise s'aggravait et obligeait les consommateurs à changer de comportements. Même les Biocoop proposent peu de produits en vrac. Par ailleurs, le packaging bio a cessé d'être triste et vieillot. Il évolue grâce aux distributeurs classiques, qui travaillent leurs gammes bio et soignent la présentation de produits clairement identifiés bio.
QUELLE EST L'INFLUENCE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES SUR LE PACKAGING? DEVIENT-IL VIRTUEL?
En tant que conseil de Nestlé, j'observe que les nouvelles technologies restent très rarement utilisées sur les packagings. La cible doit être réceptive, et les adultes n'ont pas le temps de consulter les contenus enrichis. Les paquets de céréales portent des flashcodes qui conduisent les mobinautes vers des contenus enrichis parce qu'ils s'adressent à des enfants et à des adolescents. Ces générations digitales demandent de telles applications. Le packaging va accélérer sa mutation pour leur répondre.
Cette évolution doit nécessairement s'accompagner d'une mise à jour technologique des points de vente. Les distributeurs ne sont pas prêts aujourd'hui. Tout cela se fera, mais moins rapidement que ce que l'on veut nous faire croire. En outre, nous pouvons nous interroger sur ce que cela va apporter? Je ne pense pas que ce modèle se développera s'il se contente de fournir une information supplémentaire. Son avenir dépend au contraire de sa capacité à apporter une simplification supplémentaire, une aide à la consommation et au choix du produit, en fonction de sa fraîcheur ou des habitudes d'achat du consommateur. Mais là, c'est de l'anticipation. Nous n'en sommes pas là.
VOUS DITES QUE LE VERSO DEVIENT PRESQUE UN RECTO, COMMENT VA EVOLUER LE DOS DE L'EMBALLAGE?
Le dos de l'emballage doit être traité comme la dernière page d'un magazine et proposer un contenu intéressant au lieu d'être encombré de phrases vaines. Il représente un espace publicitaire presque gratuit qu'il faut utiliser pour véhiculer des valeurs, donner des conseils ou raconter une histoire drôle. Le verso, en tant que média, doit se renouveler pour surprendre et apporter des nouveautés. Le consommateur en prend connaissance lorsqu'il est seul. Il est donc intéressant de le modifier régulièrement - cela vaut pour la mise en page - pour susciter une impression de découverte, avec des photos inédites accompagnées de légendes par exemple, car tout le monde lit les légendes photo. Pour y parvenir, il faudrait que les designers et les publicitaires collaborent enfin.
QUE PENSEZ-VOUS DE LA REALITE AUGMENTEE SUR LES SITES WEB ET DANS LES POINTS DE VENTE?
Cette technologie est enthousiasmante, formidable, mais elle ne doit pas créer d'embarras. La réalité augmentée doit procurer un vrai bénéfice et être perçue comme naturelle. Ma crainte est, qu'à l'usage, le consommateur soit noyé dans des informations qu'il n'a pas demandées. Cependant, la génération numérique est à l'aise avec ces technologies. Elle saura aller à l'essentiel et zapper quand le contenu ne l'intéresse pas. Pour l'heure, la technologie est disponible et des applications commencent à apparaître, mais personne ne sait ce que le consommateur attend en la matière. Nous sommes en période de rodage.
QUELS SONT LES ENJEUX POUR LES POINTS DE VENTE?
La distribution doit faire face à la crise. Deux grands mouvements se dessinent. D'abord, la tendance minimaliste disparaît: les magasins recréent des univers forts, avec des partis pris marqués (univers rural, technologique...) et un retour à l'humain, au conseil, à une sélection de produits contextualisée. Deuxième tendance, les grandes surfaces se divisent pour s'approcher des gens au coeur des villes. Des enseignes de proximité s'ouvrent, qui me font penser aux combinis, ces petites boutiques japonaises très soignées qui sont ouvertes 24 heures sur 24. Les nouveaux concepts jouent avec l'émotion, la tradition et l'authentique: ils s'habillent de bois, jouent sur la nostalgie des années cinquante...
Parcours
Avec trois amis, Michel Alizard, Michel Disle et Jean Perret, Gérard Caron fonde, en 1973, l'agence de design Carré Noir. Près de vingt ans plus tard, en 1992, il publie, chez Dunod, Un Carré noir dans le design. En 1993, il crée, avec quelques confrères européens, la Paneuropean Design Association, un groupement d'agences de design. En 1997, il est sélectionné pour représenter la France à l'Institut monétaire européen de Francfort et choisir la maquette des billets de l'euro.
Gérard Caron préside également Caron Japan Network, une organisation lancée en 2003 qui met en contact les sociétés japonaises et les agences de design françaises. Blogueur, il anime le site admirabledesign.com.
LE DESIGN A-T-IL UN ROLE A JOUER DANS LA DISTRIBUTION MULTICANAL?
La distribution, c'est du design. Des centres Leclerc à l'Apple Store, les points de vente traduisent des choix stratégiques. Certains secteurs sont en avance et développent une politique de distribution multicanal. Ainsi, dans l'univers du voyage, les agences et les compagnies aériennes vendent leurs billets sur Internet et proposent aux consommateurs de télécharger leur carte d'embarquement sur leur smartphone. Seule l'identité visuelle de la marque fait le lien.
La grande distribution s'est lancée dans le multicanal avec le «drive». La marque se matérialise, là encore, par son identité visuelle et par une signalétique. Les entreprises se distinguent en fonction de leur marque et non en fonction de leur secteur d'activité.
COMMENT VA EVOLUER LE METIER DE DESIGNER?
Au niveau international, j'observe que les agences existent toujours. De grandes agences très structurées, presque à l'identique des entreprises de leurs clients, répondent aux besoins des très grandes marques universelles. De temps à autre, ces marques réclament des évolutions de rupture qui exigent d'innover A ce moment, ces agences font appel à des structures plus petites, à la créativité audacieuse. Les agences se transforment donc en centres qui font travailler des artistes, des sociologues et des créatifs au gré des besoins. Je viens de Carré Noir, une agence traditionnelle, mais aujourd'hui Caron Japan Network fonctionne sur ce modèle. Car les marques ont besoin de conseils individualisés, divulgués par des designers qui n'hésitent pas à défendre des partis pris et qui disposent de structures flexibles.
QUE PENSEZ-VOUS DE L'ENSEIGNEMENT DU DESIGN EN FRANCE?
Nous disposons d'écoles remarquables, ouvertes à l'international, comme l'Ecole de design de Nantes, le Strate Collège Designers de Sèvres ou l'EID de Toulon. Les jeunes designers doivent effectuer des stages de six mois à l'étranger, car il s'agit d'une formation irremplaçable. Les écoles de design nouent des partenariats avec les écoles de commerce des chambres de commerce et d'industrie, et c'est une bonne chose, car il est important que les étudiants comprennent les notions de prix, de délais, etc. Cumulus, l'organisation européenne des écoles de design, est présidée par Christian Guellerin, le directeur de l'Ecole de design de Nantes. Nous bénéficions d'une bonne renommée au plan international. La France est un bon terrain pou rapprendre.
VOUS AVEZ OEUVRE POUR FAIRE RECONNAITRE LE DESIGN EN FRANCE. OU EN EST-ON AUJOURD'HUI?
Il semblerait que les pouvoirs publics aient désormais pris conscience du rôle du design. Les récentes ouvertures à Paris de la Cité de la Mode et du Design et du Lieu du design en attestent. Il manque encore un grand centre dédié au design, mais il semble que la bataille menée par les designers commence à porter ses fruits: le design est enfin considéré comme un atout stratégique pour la France. La French touch existe et est reconnue à l'étranger.
LE DESIGN EST PARTOUT. LE TERME NE VOUS SEMBLE-T-IL PAS GALVAUDE?
Non au contraire, il faut se réjouir que le mot design soit entré dans le langage courant. Il y a encore quelques années, il était exclusivement utilisé pour désigner les meubles scandinaves! Lorsque nous avons créé Carré Noir en 1973, nous avons volontairement ajouté «agence design» afin de spécifier un domaine de compétence plus technique. Depuis, l'expression a fait florès et c'est tant mieux.
Le vocable design recouvre l'identité visuelle, le packaging, l'architecture intérieure des points de vente, l'édition... Bien entendu, dans le vocabulaire, les mots évoluent, et il peut y avoir des dérives. Ainsi, le design a tendance à désigner un style contemporain, qu'il s'agisse d'architecture intérieure ou de mobilier. Je ne m'en désole pas, je me suis tellement battu pour que le design soit reconnu auprès des entreprises et des pouvoirs publics...