Formation continue et marketing : UN TANDEM DE CHOC
Apprendre tout au long de sa carrière est un droit en France. Droit dont les services marketing usent abondamment. Une demande réelle donc, à laquelle répond une offre riche et dense. La difficulté réside principalement dans l'identification des besoins.
La formation continue est aussi complexe à appréhender que le mode d 'emploi d 'un nouveau logiciel. Il faut être déjà initié pour comprendre. Et savoir en quoi ce sera utile dans la pratique. Entre les organismes de formation, les consultants indépendants, les agences conseil en marketing, les universités et les grandes écoles de commerce, l'offre est atomisée, pléthorique et les moyens de s'y retrouver demeurent ardus. Si toute la famille marketing s'accorde à penser que la matière est en perpétuelle évolution, les moyens de la mise à niveau sont très hétérogènes. En effet, un monde sépare Ricard qui, depuis 15 ans, bénéficie de l'expertise de HEC, avec sa propre Académie Marketing, et une PME sensibilisée aux médias sociaux par un consultant pendant deux heures. «La formation continue relève d'une obligation légale pour l'employeur, bien balisée en France. C'est un droit pour l'employé», explique Nathalie Van Laethem, responsable du pôle marketing chez Cegos, acteur majeur de la formation en France (qui détient cependant moins de 2 % du marché!). «Nos effectifs augmentent de 10 % chaque année dans cette matière. On assiste aujourd'hui, après la prise de pouvoir du marketing digital, au grand retour du besoin de compétences en stratégie. » Ainsi, le marketing, fortement soumis aux effets de mode, se concentrerait-il à nouveau sur son épine dorsale, à savoir la stratégie, les études et l'innovation? Ce que l'on nomme aussi les tendances structurantes. C'est très net dans les universités de gestion et dans les grandes écoles de commerce, par exemple.
Le marketing est, depuis plusieurs dizaines d'années, la chasse gardée des grandes écoles de commerce et de certaines grandes universités. Elles grignotent des parts de marchés aux organismes classiques en institutionnalisant leur offre, en les «marketant» de plus en plus notamment via les réseaux sociaux, le bouche-à-oreille des anciens et de puissantes campagnes d'image. L'université Paris Dauphine (première formation universitaire française en marketing, avec son célèbre master 204) vient par exemple de s'ouvrir en mars dernier pour la première fois à la formation continue. Deux options pour le nouvel executive master: marketing digital et marketing responsable. L'ESC Rouen, qui offre l'une des meilleures formations en grande école de commerce, fait évoluer son mastère en études et décision marketing. « Nous nous adaptons aux nouvelles réalités du marketing, explique Laetitia Chicheportiche, responsable pédagogique du programme. Nous axons davantage sur le business, la RSE par exemple. » La branche formation continue de HEC (HEC executive education) prévoit également d'ouvrir en 2013 une formation continue ad hoc sur la créativité et l'innovation (voir encadré p. 60). Un retour aux basiques, en somme.
Les secteurs porteurs : B to B, alimentaire et associations
Dans la jungle des organismes habilités à délivrer des formations continue, on retrouve la même densité que dans les grandes écoles. Sur des formats plus courts et plus souples. Nathalie Van Laethem, de Cegos, mène une veille très active sur les thèmes les plus porteurs du métier (notamment via son blog marketing - stratégie) « Sans non plus pousser trop loin la prospective, même si la matière évolue à un rythme effréné. Les entreprises ont trop souvent une stratégie court-termiste. Nous proposons beaucoup de cours de base, qui offrent un socle à ceux qui développent un service marketing, par exemple. » Aurélia Marquet, formatrice en marketing chez Demos, l'acteur majeur de l'offre en matière de formation continue, explique: « On glisse d'un marketing produit à un marketing orienté client. » Les liens entre les fonctions commerciales se renforcent. Les commerciaux s'inspirent des techniques du mix marketing pour prospecter d'autres cibles, notamment les particuliers. « On parle de cross marketing », poursuit Aurélia Marquet. Les secteurs en forte demande demeurent le B to B, l'agroalimentaire, le secteur associatif (humanitaire en tête).
Le public est majoritairement composé de personnes qui travaillent déjà dans un service marketing, avec une légère prépondérance des femmes. L'entrepreneuriat ayant le vent en poupe en France (en particulier dans les grandes écoles, où cette option a dépassé la spécialisation marketing), un bon nombre de futurs chefs d'entreprise reprennent le chemin de l'école entre 35 et 45 ans. « Prendre le chemin de la formation continue, c'est se remettre en question. C'est un recul salutaire », explique Jean-Michel Lambert, désormais directeur franchise France et Maghreb chez Johnson & Johnson. « J'ai repris mon cartable un peu sur le tard, pour relancer ma carrière. En fait, on se rebooste pour une quinzaine d'années », explique-t-il. Il a depuis quitté le service marketing de Nestlé et a rejoint une fonction dirigeante à l'international.
Nathalie van Laethem (Cegos) : « On assiste au grand retour du besoin de compétences en stratégie. »
Aurélia Marquet (Demos) :« On glisse d'un marketing produit à un marketing orienté client. »
Le digital: un aiguillon pour la formation
Ceux qui ont démarré dans le digital il y a une quinzaine d'années n'ont reçu aucune formation académique, tout simplement parce qu'il n'y en existait pas. Ils se sont «débrouillés» mais ont besoin aujourd'hui de recevoir une formation structurante. « Dans les faits, c'est l'ensemble du Web qui est structurant en RH, soutient Mathieu Gabai, directeur de l'agence conseil en marketing RH. En 2012, à côté de l'activité conseil, nous avons ainsi créé la branche formation et coaching. Dans nos préconisations, le recours à la formation est souvent un pré-requis pour pérenniser la future stratégie. » L'agence intervient, par exemple, sur le module «Construire sa stratégie de marque employeur» pour l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF), France 24 et RFI. « Les clients veulent une expertise très fine sur leur secteur, un accompagnement sur mesure », souligne Mathieu Gabai. Ainsi, 11 modules de formation sont disponibles en B to B et marketing RH.
«Malgré l'inflation d'offres et la demande croissante, le recours à la formation ne va pas de soi. Les entreprises sentent bien qu'il faudrait améliorer quelque chose sans identifier de facto qu'il s'agit du besoin d'apprendre. » C'est le constat que fait Sophie Calliès, ex -directrice marketing (Apple, Alcatel) qui a créé So'Xpert en 2007 pour accompagner la stratégie marketing du secteur B to B (voir encadré «La tendance du social learning» ci-dessous) . De plus, bien utiliser la formation continue reste un élément de motivation des équipes, un moyen d'entretenir la paix sociale et un levier de motivation important, à l'heure où les budgets sont en baisse. Du pain bénit pour les agences conseil. Cependant, les entreprises veulent former d'abord et trop souvent exclusivement sur de l'opérationnel, ce qui ne permet pas d'avoir une vision d'ensemble. Avant de parler de marketing digital, il faut un plan marketing. « Apporter un socle de connaissance est nécessaire, poursuit Mathieu Gabai. La prise de pouvoir du Web nécessite de mettre à plat l'approche stratégique. »
@ HEC Paris
« Penser à deux, cinq ou dix ans lorsque l'on parle de formation continue n'est plus vraiment la norme, pondère Sophie Calliès. Les entreprises veulent des réponses instantanées car la pression du résultat impose sa loi. Former les salariés sur ce qui risque d 'arriver n'est pas la norme. On est dans une démarche action / réaction! » Pourtant, établir une stratégie demande du temps et de la réflexion... Ainsi, la créativité est considérée comme la qualité de leadership la plus importante pour plus de 1 500 dirigeants dans le monde (IBM global CEO study 2011). Le cabinet de tendances Carlin International, au premier rang des signaux faibles, a créé un «serious game» dédié aux services marketing et aux ressources humaines, pour encadrer la créativité dans une démarche d'intelligence collective. L'originalité est que les joueurs ont accès à des centaines de ressources prospectives (analyses, données, illustrations) directement issues des contenus de l'agence. La mise en réseau des idées permet le partage et la diffusion des bonnes idées. La session animée par Agnès Chevalier, sa créatrice, a déjà séduit la marque Well, la Française des Jeux ou La Poste. On parle d'«anticipation créative»: «La créativité est un entraînement. Plus on l'active, plus elle est généreuse». C'est précisément l'un des atouts de la formation.
La tendance du social learning
- "Tout savoir, tout de suite, tout le temps et partout", autrement dit l'"Atawad" (NDLR : anytime, anywhere, any device) déteint aussi sur la formation. « On est davantage dans l'action et la mise en pratique que dans un apprentissage de fond, indique Sophie Calliès fondatrice de So'Xpert, agence conseil en marketing spécialisée dans le B to B. Notre public a un besoin permanent de d'outils, de tutoriels, de cours facilement accessibles. À une question, une réponse. Il s'agit, dans une grande majorité de cas, d'une démarche personnelle. » Ou plus précisément un "blending", soit un mix entre formation de visu (plutôt proposée par l'employeur) et en ligne (plus personnelle). Sophie Calliès vient de lancer en avril dernier le premier So'Toolkit, plateforme d'outils d'apprentissage gratuits ou payants.
Du Livre Blanc aux cours de base sur la maîtrise de son e-mailing, le lancement de produits ou le b.a.-ba des campagnes multicanal. Il s'agit en fait de cross canal de formation. Elle donne ses cours par téléphone ou via Skype. Cette ancienne directrice marketing confirme que la France est en retard en matière de social learning par rapport aux États-Unis mais aussi par rapport à des pays comme l'Italie ou l'Espagne.
« La formation continue est une remise en question »
3 questions à...
Bertrand Moingeon, directeur général adjoint de HEC, en charge de la formation continue, met en évidence l'intérêt des formations continues pour les marketeurs.
Marketing Magazine: La devise d'HEC, "Apprendre à oser", est-elle la même pour le pôle formation continue ?
Bertrand Moingeon :
Absolument ! Et elle s'applique particulièrement bien au marketing. Nous proposons un état de l'art de la fonction. Nous pouvons le faire car nous sommes à la croisée du monde de la grande école et de nos activités de recherche. C'est le même réseau qui s'active. Jean-Noël Kapferer, qui est notre plus célèbre marketeur, est présent sur les trois entités, par exemple. Apprendre à oser est redoutablement efficace pour relancer sa carrière dans la fonction marketing.
La formation continue est sans doute plus «démocratique» que la grande école. La mutualisation des ressources est un terreau. Nous sommes attachés à regarder en priorité la cohérence d'un parcours professionnel et non la formation de base type école de commerce, par exemple.
A côté des formations classiques du catalogue, on trouve du sur-mesure. Qui en bénéficie?
De hauts potentiels, des entreprises en perpétuelle réflexion, celles qui ont une vision. On ne répond pas favorablement à tous les projets... Nous accompagnons la marque Ricard au niveau mondial dans un dispositif baptisé «Académie Marketing» depuis une quinzaine d'années, par exemple.
Plus récemment, nous avons accompagné Qatar Telecom dans la construction de son offre. Nous avons bâti une Académie pour Microsoft de 2007 à 2010. A l'international, où nous sommes très actifs, nous avons lancé un programme de formation pour les chemins de fer indiens, qui va concerner, rien qu'en interne, 1,4 million de personnes! Nous professionnalisons la filière du coton en Afrique, en ce moment, sur 12 pays différents. Les besoins de connaissance en marketing s'accordent très bien avec notre offre sur mesure. C'est le cas du marketing de Sanofi, qui a fait appel à nous pour le changement majeur de positionnement stratégique. Le sur-mesure, c'est de la cocréation de valeur.
Les nouveautés de votre catalogue 2012 / 2013 renseignent-elles sur le marketing de demain?
Nous tentons de nous tenir loin des effets de mode. Pour nous, le social marketing, le digital sont des tendances installées. Le nouveau cours «marketing edge» (NDLR: en anglais, «to have an edge on» signifie avoir légèrement le dessus) répond sans doute à ceux qui désirent avoir une vue d'ensemble de la fonction. On y approfondira, par exemple, les notions de permission marketing, de neuromarketing mais aussi de «design thinking». Nous démarrons aussi une formation la créativité et l'innovation. L'émergence des idées demeure toujours très complexe à mettre en oeuvre.