Femmes, on vous aime!
Joli pied de nez aux petits nouveaux. Du haut de ses 65 ans d'existence, Elle s'est vu décerner le titre de Meilleur magazine féminin de l'année 2010 par le Syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI), pour sa «formidable résistance aux assauts de la concurrence et sa modernité indétrônable», d'après le jury. Une distinction qui suivait de près l'Etoile OJD reçue pour la progression de sa diffusion en valeur absolue (diffusion France payée de 370 658 exemplaires en 2009, soit + 3,7 % en un an). « Elle a fait une année 2009 incroyable, réalisant son meilleur score de diffusion depuis 30 ans et confirmant sa position de magazine leader grâce à une progression de la vente au numéro de 9,1 %, se félicite Franck Espiasse-Cabau, éditeur chez Lagardère Active. 2010 s'annonce tout aussi bien, avec une progression de 11 % des ventes au numéro depuis le début de l'année (NDLR: chiffres à fin avril) . » Pour son éditeur, l'hebdomadaire féminin récolte les fruits de la baisse de son prix de vente à 2 Euros et de l'avancement de son jour de parution du samedi au vendredi.
Ces deux leviers ont été activés l'an dernier dans le cadre de la stratégie de croissance de la vente au numéro et de recrutement d'un lectorat plus jeune (25-35 ans). Dans le même temps, Elle a repensé sa maquette et étoffé ses pages «Elle Info», ainsi que ses cahiers régionaux hebdomadaires. Et la marque sexagénaire entend continuer à afficher sa modernité comme le montre le lancement du concept «Elle en Scène». Le magazine coiffe la casquette d'organisateur de concerts, en partenariat avec la marque de prêt-à-porter Maje.
Franck Espiasse-Cabau (Lagardère active) :
«Elle a fait une année 2009 incroyable, réalisant son meilleur score de diffusion depuis trente ans.»
Tiercé groupé
Si la puissance de Elle et sa proximité avec les femmes n'ont jamais été remises en cause, ces événements sont toutefois bienvenus au moment où les lectrices de presse féminine se voient proposer trois nouveaux hebdomadaires: Grazia édité par Mondadori, Envy par le groupe Marie Claire et Be par Lagardère Active. Une nouvelle preuve du dynamisme de cette famille de presse. Grazia, qui fêtera son premier anniversaire en août prochain, a été récompensé par le Prix de l'innovation (meilleur nouveau magazine) dans le cadre du palmarès 2010 des Magazines de l'année organisés par le SPMI.
Ces trois nouveaux titres ont, de prime abord, beaucoup de choses en commun, à commencer par leur positionnement haut de gamme.
«Le segment le plus porteur de la presse féminine», précise Ernesto Mauri, président de Mondadori France. Mais aussi leur cible de jeunes trentenaires, élargie aux jeunes quadras pour Grazia. «Nous avons des ingrédients communs, mais des recettes différentes, souligne Jean-Paul Lubot, dga du groupe Marie Claire. Envy propose un mix inédit de mode et de people, une mode appropriable et du people respectueux, le tout complété par de l'actualité et de la culture. » Chez Lagardère Active, Be a été conçu sur quatre piliers rédactionnels (news, mode, beauté, psycho/sexo) pour en faire «un magazine pop, sexy, mais aussi sophistiqué et chic et qui fait la part belle à l'image», explique Anne Bianchi, directrice de la rédaction. Quant à l'Italien Mondadori, il a fait de Grazia France «un news fashion magazine», au traitement visuel percutant.
Pour attirer les lectrices, chacun a globalement appliqué la même recette de départ. Comme le note Sébastien Danet, président de Zenith Optimedia, « ces lancements font preuve de stratégies marketing affûtées, avec des produits testés de nombreuses fois, une stratégie de prix offensive, des budgets de lancement qui intègrent la télévision à hauteur de 20 MEuros annoncés pour chaque lancement». Et la guerre des prix continue de faire rage. «Le but est de gagner entre 30 et 40 % de diffusion en allant chercher les lectrices qui hésitent», indique Jean-Paul Lubot (Marie Claire) . Même Grazia, pourtant le plus ancien, n'a cessé de faire du yo-yo avec son prix facial (entre 1 et 1,50 Euros). «Le mix de Grazia repose à 70 % sur la publicité et à 30 % sur la diffusion. C'est ce qui est, à notre avis, nécessaire pour faire un journal très haut de gamme, explique Ernesto Mauri (Mondadori France). Cette politique de prix a pour objectif de fidéliser plus rapidement les lectrices pour pouvoir proposer la diffusion nécessaire au marché. »
Réactions en chaîne
Cette politique de prix promotionnels constants est très suivie par les autres hebdos féminins, qui surveillent de près toutes les initiatives des nouveaux. « Quand l'un des trois arrive dans la semaine avec un prix cassé, il est évident que Femme Actuelle en ressent les répercussions. Mais je ne pense pas qu'il y aura d'effet à long terme en diffusion pure car la presse féminine est une presse de duplication, note Loïc Guilloux, éditeur des féminins de Prisma Presse. Plus largement, je reste très zen face à ces lancements, car Femme Actuelle n 'est pas du tout sur le même positionnement. »
Avec 927 356 exemplaires en diffusion France payée et une audience de 5,7 millions de lecteurs en 2009 selon l'OJD, le navire amiral de Prisma Presse aborde sereinement son 25e anniversaire. Mais le titre reviendra à la rentrée avec une initiative importante. « Nous testons ce qui sera une évolution marquante et visible, annonce sans plus de détails Loïc Guilloux. Femme Actuelle est une marque très nerveuse. Dès que l'on injecte quelque chose de nouveau, le marché réagit très rapidement. »
Le magazine de Prisma Presse n'est pas le seul à agir face au trio des nouveaux hebdomadaires. Ca bouge aussi du côté de Madame Figaro, directement attaqué sur son positionnement haut de gamme. Mais aussi du côté du titre plus grand public qu'est Version Femina. « Il est grand public par son contenu, qui fédère de 7 à 77 ans, mais haut de gamme dans le traitement éditorial, car nous produisons toutes les séries mode, beauté, cuisine... », souligne Claire Léost, éditrice déléguée chez Lagardère Active. Comme Madame Figaro, Version Femina fait partie d'un pack. Supplément hebdomadaire de la PQR (37 quotidiens régionaux et le JDD en Ile-de-France), c'est le premier magazine féminin français. En avril dernier, il a adopté un nouveau look, « plus tendance et plus coloré. La maquette n 'avait pas vraiment changé depuis le lancement en 2001 », précise Claire Léost.
Place aux femmes sur le Web
«En France, la presse magazine est portée par les femmes », constate Ernesto Mauri (Mondadori France) pour affirmer sa confiance dans le succès des féminins. Mais les femmes ne sont pas le seul moteur de ce média, elles sont aussi le catalyseur d'Internet. « Le souffle digital européen est féminin », confirme Benjamin Smadja, directeur des études de AuFeminin.com, groupe commanditaire d'une étude menée dans cinq pays européens par ComScore World Metrix.
Depuis octobre 2008, date de la première étude menée sur le sujet, l'audience féminine a en effet augmenté de 18,4 % pour atteindre 57,5 % de la population féminine globale des cinq pays étudiés. On y apprend notamment que 62,7 % des Françaises, mais aussi 61,5 % des Allemandes, 65 % des Anglaises, 65,8 % des Espagnoles et 52 % des Italiennes surfent sur les sites de mode et de beauté.
Chez les nouveaux arrivants de la presse, Be est celui qui a le plus pris en compte cette spécificité féminine. « Be n'est pas un magazine, mais une marque média globale 360°, générationnelle, haut de gamme, déployée sur l'ensemble des supports et médias du groupe », précise Didier Quillot, président du directoire de Lagardère Active. Avant d'avoir des lectrices, Be a d'ailleurs commencé par avoir des internautes, baptisées les «Bees». Be.com a été mis en ligne le 4 janvier 2010 - le magazine est arrivé en kiosque le 19 mars - et totalisait déjà 400 000 visiteurs uniques fin février. Grazia.fr en totalisait, pour sa part, quelque 200 000 de plus à la même date. D'après Jean-Paul Lubot (Marie Claire), Envy pouvait de son côté déjà se prévaloir mi-avril d'avoir réuni 13 000 «Envyeu-ses» et plus de 150 000 visiteurs uniques.
La bande des trois aura évidemment fort à faire pour suivre le sillage du premier site de presse féminine, FemmeActuelle.fr, ou encore celui de Elle.fr, « rentable depuis deux ans, avec un peu plus de 2 millions de visiteurs uniques en moyenne », annonce Bruno Lesouëf, directeur général des publications de Lagardère Active. A cette concurrence des sites de presse féminine s'ajoute celle des sites de presse généraliste. On a pu en voir un nouvel exemple, début mars 2010, avec le lancement de LaParisienne.com, le nouveau site 100 % féminin du site LeParisien.fr. « Le mensuel La Parisienne est un gros succès. Nous avons voulu le prolonger sur le Web, explique Isabelle André, directeur nouveaux médias du Parisien. Le potentiel était là car nous avions déjà plus de 2 millions de femmes sur les quelque 4,5 millions de visiteurs uniques du site LeParisien.fr.» Une réflexion est également en cours au Monde Interactif. « Comme tout le monde, nous avons une partie de visitorat féminin sur le site LeMonde.fr. Mais elle ne nous convient pas telle qu 'elle est actuellement. Nous avons le projet d'aller plus loin dans ce domaine », indique Philippe Jannet, p-dg du Monde Interactif.
La concurrence est également très forte du côté des pure players. Là aussi, les internautes au féminin et leur potentiel de consommation intéressent fortement les généralistes. Orange est un des derniers en date à avoir créé une nouvelle version de la rubrique «femmes» en s'appuyant sur trois nouveaux partenaires: Elle (pour l'éditorial), PurePeople (pour l'actualité des personnalités) et Showroom Privé (pour les ventes privilèges) . « Mais nous ne voulons pas proposer un traité caricatural des femmes. C'est pourquoi nous avons aussi créé un observatoire trimestriel sur la manière dont les femmes appréhendent le numérique, ajoute David Lacombled, directeur de l'antenne et des programmes d'Orange. Pour cela, nous nous sommes associés avec Terrafemina. »
Les spécialistes de la gente féminine sur le Web ne sont bien évidemment pas en reste pour lui proposer de nouveaux centres d'intérêt. AuFeminin.com, numéro un mondial des éditeurs féminins on line avec 30,9 millions de visiteurs uniques (source: ComScore, janvier 2010), vient encore d'étoffer son contenu en s'ouvrant à son tour à l'incontournable univers des people (voir interview) . Plurielles.fr, numéro trois français derrière AuFeminin.com et LeJournaldes-Femmes.fr, a fait de même. « Le site a entièrement revu son habillage le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée de la femme. Mais le vrai mouvement de fond a commencé il y a deux ans, avec le lancement de la partie people, raconte Aurélie Lambron, éditrice du site féminin du groupe TF1 . La féminité et le glamour sont mis à l'honneur au travers de nouvelles rubriques et, à la différence d'autres pure players, 80 % de nos contenus sont éditoriaux, soit plus de 250 contenus édités par semaine. »
Pour les groupes de presse féminine, le taux de duplication entre le print et le Web est de l'ordre de 20 %. Mais les éditeurs ont surtout l'oeil rivé sur la courbe d'évolution des ventes en kiosque de leurs magazines. Pour les nouveaux entrants, comme pour les autres, arrive une période propice: l'été, saison bénie des magazines en général et des féminins en particulier. Rendez-vous à la rentrée pour savoir qui affichera bonne mine ou fera, au contraire, pâle figure.
«auFeminin.com est la référence du Web féminin»
Interview. Anne-Laure Vincent, directeur général du groupe auFeminin.com, numéro un mondial des éditeurs féminins on line.
MM: Qualiferiez-vous auFeminin.com de site de contenu ou de site communautaire?
Anne-Laure Vincent: Il est important d'examiner AuFeminin.com par rapport à l'évolution du Web depuis dix ans, date de création du site. Internet est aujourd'hui l'outil et le compagnon des femmes, qui y sont plus nombreuses que les hommes. Elles vont y chercher de l'information, de la détente, de l'aspirationnel, de l'affectif... autant de besoins auxquels se doit de répond re AuFeminin.com. C'est pourquoi nous sommes à la fois un média interactif, qui compte plus de 14 000 articles sur la France, et communautaire, avec près de 7,5 millions de profils inscrits sur le site, 273 000 albums photos ou encore 139 000 blogs. La dynamique est très forte: on recense un nouveau message sur les forums toutes les quatre secondes! En termes d'audience, les contenus éditoriaux et les services représentent 60 % du site et la communauté «pure» 40 % (forums, blogs, etc.).
MM: Sur quelle partie portent plus spécifiquement les développements en cours et à venir?
D'un point de vue éditorial, nous venons de lancer une rubrique people qui était très attendue. Nous avons également renforcé la partie société car les femmes sont engagées et ne veulent plus qu'on leur impose des diktats et des clichés pour construire leur vie. Concilier vie personnelle et vie professionnelle, comprendre les enjeux politiques liés aux femmes et défendre leurs droits, présenter celles qui s'engagent au quotidien pour des causes diverses... autant de problématiques fortes que nous traitons avec notre tonalité éditoriale, c'est-à-dire légère sur la forme et sérieuse sur le fond. Nous avons du reste monté au sein du groupe une cellule transversale en charge du suivi de ces sujets de société avec une dimension européenne et, de ce fait, un certain recul.
D'un point de vue commercial, nous travaillons sur le développement de nouveaux formats, l'optimisation de l'efficacité de nos campagnes et les critères réels de mesure de cette efficacité. Il faut noter que nous sommes aussi éditeurs de l'adserver Smart. En tant que média, notre métier est de fournir les meilleurs contenus et services aux femmes, sous la forme la mieux adaptée. Il y a encore beaucoup à faire et à inventer. C'est aussi l'occasion de créer de nouveaux produits, de les valoriser et de les monétiser.
Notre internaute-type a entre 25 et 35 ans, mais avec nos 30 millions d'internautes dans le monde (source ComScore, décembre 2009), nous touchons en majorité des femmes entre 25 et 50 ans. Nous suivons de très près les évolutions des technologies mais aussi des usages, qui changent vite chez ces femmes!
Du reste, nous avons développé deux applications iPhone qui marchent très fort (avec un suivi de grossesse pour AuFeminin et les idées recettes pour Marmiton). Il faut dire que AuFeminin joue pleinement son rôle de complice à deux moments-clés de la vie des femmes, le mariage et la grossesse, où elles ont besoin de partager des avis et des conseils.
MM: Quelle est votre stratégie de communication de marque?
Elle est de renforcer la position de AuFeminin.com comme marque féminine référente sur Internet. Nous sommes «la voix des femmes en Europe»: nous donnons la parole à des millions de femmes en France ainsi que dans neuf autres pays et nous nous faisons écho de ces voix avec une diffusion plus large que le Web. Cela implique d'être partout où sont les femmes via des partenariats, comme avec Chérie FM pour la question du jour, avec le quotidien Métro pour les chats de personnalités ou sur des salons comme KidExpo, le Salon du livre et même le Salon des micro-entreprises.
AuFeminin.com s'engage pour soutenir des événements et associations telles que les Femmes en or ou les Mompreneurs. Nous avons aussi communiqué en affichage et en presse B to B l'an dernier et nous allons continuer cette année.
« La concurrence est extrêmement stimulante»
Interview. Guillemette Payen, directrice déléguée et éditrice des magazines du groupe Le Figaro.
MM: Madame Figaro va bientôt fêter ses 30 ans. allez-vous en profiter pour procéder à des changements?
Guillemette Payen: Nous allons fêter dignement cet anniversaire en octobre ou novembre prochain, mais il n'y aura pas de révolution. Le positionnement du magazine est d'être à la fois décrypteur de tendances éphémères et de valeurs qui ont du sens. En cela, nous agissons un peu comme les marques de luxe. Il n'y a jamais eu de gros changements de formule chez Madame Figaro, mais plutôt des évolutions constantes dans la maquette, dans le travail de cohérence entre le texte et le visuel, etc. Au niveau du contenu, depuis une petite année, on voit une montée en puissance des sujets société et culture qui va se poursuivre. Madame Figaro donne aujourd'hui beaucoup la parole aux femmes qui agissent dans le domaine de l'entreprise. Dans celui du développement durable aussi, même s'il existe désormais un côté peu tarte à la crème.
MM: Quelle est votre stratégie sur internet?
Le site existe depuis 2005. Avec une moyenne de 1,2 million de visiteurs uniques, il se classe derrière AuFeminin.com, Elle.fr et, suivant les mois, derrière MarieClaire.fr. Le contenu est réalisé par la rédaction de Madame Figaro, par l'équipe «Style et Art de vivre» du cahier «Et Vous» et par une équipe en propre de sept journalistes. Il est extrêmement riche et mériterait d'être plus valorisé. C'est ce que nous allons faire dans une V2 du site extrêmement ambitieuse qui sera mise en ligne à l'automne. Il y aura plus de contenu bimédia lié à l'actualité, plus d'outils pratiques et l'axe communautaire sera renforcé.
MM: Comment analysez-vous l'arrivée de nouveaux hebdomadaires féminins haut de gamme, positionnés sur le même créneau que Madame Figaro?
C'est une situation extrêmement stimulante. Les femmes sont très concernées par la presse qui leur est destinée. Dès qu'il y a du mouvement, elles réagissent. Elles vont bien évidemment faire des choix, mais il existe une réelle élasticité sur ce marché. L'évolution de la diffusion va toutefois se faire à un rythme sinusoïdal, en fonction des people en couverture. Ces lancements se traduisent également par des arbitrages publicitaires, entre hebdomadaires, mais aussi entre mensuels et hebdos. En tant que supplément au sein du pack Le Figaro, nous sommes très protégés: notre diffusion est stable d'un numéro à l'autre. Mais le gâteau publicitaire n'est pas extensible. Pour l'instant, nous résistons grâce à notre part de marché dans le secteur du luxe, et également parce que notre lectorat est constitué de femmes de 35 ans et plus, et non de moins de 35 ans comme celui visé par les nouveaux hebdos. Mais, avec six hebdomadaires au lieu de trois, il y a obligatoirement plus de tension sur les prix. Nous sommes tous, à terme, menacés par la rationalisation des investissements publicitaires.