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Famille: ensemble, c'est tout?

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La famille est devenue une valeur refuge. Les Français sont plus que jamais attachés au lien familial, à travers lequel ils recherchent autant le bonheur, la réassurance et la sécurité que le soutien. Les activités en tribu ont donc le vent en poupe. Dans le but de garder le lien.

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Les Français, nous serine-t-on, n'auraient pas le moral. Et pourtant, année après année, ils donnent naissance, dans la joie et la bonne humeur, à une cohorte d'enfants. Les derniers chiffres publiés par l'Insee révèlent, en effet, qu'en 2008, la France a connu un «mini baby-boom» avec 828 400 naissances. Les françaises restent ainsi les meilleurs élèves d'Europe, avec un taux de fécondité de 2,02 enfants par femme (ex aequo avec l'Irlande), alors que la moyenne européenne atteint tout juste 1,5. Autre spécificité de nos concitoyens: la proportion importante des familles comprenant trois enfants et plus. Bref, non seulement les Français aiment la famille, mais ils la vivent de plus en plus intensément.

@ CORY ONEILL/FOTOLIA/LD

Pourtant, rien ne laissait présager un tel résultat: depuis la fin du XIXe siècle, la famille n'a cessé de se transformer, d'abord en se repliant sur elle-même, puis en permettant à chacun de ses membres d'avoir une identité de plus en plus individuelle. Mais voilà, les familles se sont donné un nouvel objectif: réussir leur vie tout en gardant le lien. «Schématiquement, les changements se sont déroulés en deux temps. Lors de la première modernité, jusqu'aux années soixante, se sont imposés l'évidence du mariage amoureux, une grande division du travail entre les sexes, le repli sur le bonheur familial et le soutien de l'Etat providence. Avec la seconde modernité, sont apparus l'instabilité conjugale, le pluralisme des formes familiales, la montée des normes psychologiques et la force du processus d'individualisation (de la femme, de l'enfant), écrit François de Singly dans son ouvrage Sociologie de la famille contemporaine (Ed. Paris Nathan). En conséquence, prise entre les exigences de la vie commune et celle des individus, petits ou grands, la famille est soumise à des tensions». Des tensions omniprésentes, de plus en plus pesantes, que les nouveaux parents souhaitent apaiser ou réparer en partageant des moments privilégiés avec leurs enfants et en créant le maximum de liens. Pour Jean Epsein (voir son interview page 12), psychosociologue et auteur du livre Nous sommes des parents formidables (Ed. Flammarion), les enfants des années soixante-dix - devenus aujourd'hui parents - souhaitent recréer du lien, chose qui était mal vue après 1968.

2,02

C'est le taux de fécondité en France, contre 1,5 pour la moyenne européenne. (source: lnsee 2008)

Une valeur refuge

Ainsi, les Français sont-ils plus que jamais attachés au lien familial. C'est ce que confirme, entre autres, le Marketing Book dans sa version 2009 éditée par TNS: «Les années passent et les sondages comme les études soulignent l'attachement pérenne des Français à la famille: pour la moitié d'entre eux, elle est synonyme d'amour, et, pour 43 %, elle est associée au bonheur». D'ailleurs, si on leur donnait une heure supplémentaire par jour, 31% des Français la passeraient volontiers... en famille, d'après un sondage du Reader's Digest en décembre 2008. «Cette vision majoritairement positive s'observe également dans les pratiques quotidiennes, précise Babette Leforestier, auteur du Marketing Book. Ainsi en va-t-il dune présence accrue des parents auprès de leurs enfants.» Après avoir clame que l'on pouvait vivre ensemble tout en étant séparés, les familles modernes d'hier se sont donné un nouvel objectif, une nouvelle obligation: réussir leur vie ensemble. Selon TNS Media Intelligence, le dîner apparaît, par exemple, comme une institution, partagée de plus en plus en famille dans près de 95% des foyers. «Même si le dîner est basé sur un plat unique, car il est difficile de cuisiner un vrai repas en semaine, l'essentiel est de partager un moment ensemble et d'échanger», glisse Jolanta Bak, fondatrice du cabinet Intuition. Selon l'Observatoire Kidexpo 2008 réalisé par l'Ifop et mené avec le soutien du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances (Gema), plus de 80% des parents dînent systématiquement avec leur (s) enfant (s) le soir en semaine, et tous les repas du week-end sont l'occasion de réunir la famille. D'ailleurs, le récent ouvrage de Jean-Claude Kaufmann (Familles à table, Ed. Armand Colin) porte un regard sociologique sur sept familles à table et illustre comment faire la cuisine et partager un repas forge le lien familial.

Le salon Kidexpo, dont l'édition 200g s'est déroulée en octobre dernier, propose aux familles de «faire le plein d'idées dans les domaines de l'éducation, du sport, des loisirs ou encore des vacances».

Le salon Kidexpo, dont l'édition 200g s'est déroulée en octobre dernier, propose aux familles de «faire le plein d'idées dans les domaines de l'éducation, du sport, des loisirs ou encore des vacances».

Notrefamille.com a enregistré des taux de visite en nette augmentation ces deux dernières années, rassemblant aujourd'hui en moyenne 500000 visiteurs uniques par mois.

Notrefamille.com a enregistré des taux de visite en nette augmentation ces deux dernières années, rassemblant aujourd'hui en moyenne 500000 visiteurs uniques par mois.

@ Marc Bertrand

Plus de doute, la famille est «aspirationnelle», pour reprendre l'expression de Jolanta Bak. Bouffée d'oxygène pour certains ou roue de secours pour d'autres, «elle demeure souvent la valeur n°1 des Français, car elle est devenue un refuge», décrypte l'experte. Pour cette dernière, la famille est, en somme, plus que jamais réparatrice étant donné que «le monde extérieur ne rassure plus». Un constat que partage Toussaint Roze, fondateur du site Notrefamille.com, premier portail dédié à la famille et à la quête d'identité en France. Preuve qu'elle occupe une place centrale dans notre vie: Notrefamille.com ne connaît pas la crise. Le site a enregistré un chiffre d'affaires en hausse de 9,2% au premier trimestre 2009 et une audience en augmentation de plus de 60% par rapport à la même période l'an passé. Pour Toussaint Roze, le déracinement et la crise ont largement contribué à ce retour de la famille. «On cherche à savoir ce que l'on est et d'où l'on vient, explique ce passionné. La crise a nettement entraîné ce besoin de réassurance, notamment concrétisé par la famille.» Et les chiffres parlent d'eux-mêmes: entre 2006 et 2008, Notre- Famille.com est passé - selon le groupe - de la 113e à la 51e place des groupes internet français. Et pour cause, tout ce qui a trait à la famille séduit et rassemble. Ce n'est pas un hasard si les magazines parentaux sont les seuls à voir leur audience globale augmenter (+ 1,3%) sur la période juillet 2008 -juin 2009, comparée à janvier 2008 - décembre 2008 (selon la dernière étude AEPM et Epiq).

A nouvelle famille, nouveaux remèdes

En plus du contexte économique et social qui pousse les individus à se retrouver en famille, il est devenu nécessaire de «réussir sa famille», comme l'explique Jolanta Bak. Un postulat aidé par les magazines people de ces derniers mois, qui ne cessent de représenter nos acteurs et chanteurs préférés se promenant avec conjoints et enfants. De la famille Beckham à Barack Obama (très souvent en compagnie de Michelle et de ses deux filles) en passant par le clan Johnny ou le couple Brad Pitt-Angelina Jolie entouré de leurs six enfants, tous les magazines people reflètent et accentuent la tendance. Et poussent le quidam à se demander s'il a vraiment «réussi» sa vie et sa famille s'il ne privilégie pas des vacances ou des sorties en tribu.

Par «réussir», comprenez lui donner du sens et du lien. Pour Jolanta Bak, soigner ce lien est même devenu un impératif. Emerge alors une vraie question, voire un défi: comment réussir sa famille quand elle ne va plus de soi? Course contre la montre et voyages d'affaires pour les uns, rythme effréné et pression pour les autres, en passant par des ambiances tendues, «cette question se pose chez tout le monde, quels que soient la situation familiale et le niveau social», poursuit Jolanta Bak. Et elle touche aussi bien l'éducation que la relation avec les ados et les liens avec les grands-parents. Bref, tout ce qui peut s'améliorer sous l'effet d'une société complexe.

Car le credo de la famille moderne repose sur une nouvelle façon de voir son quotidien: tous ensemble... mais séparément. Premiers à répondre à cette demande, les parcs de loisirs proposent de faire ensemble des choses différentes. Que l'on s'amuse ensemble ou bien séparé, ment, l'essentiel est que les activités se fassent dans un même lieu. Ce qui permet de se retrouver facilement à tout moment. Ces parcs de loisirs français dits «à thème» ont ainsi vu leur fréquentation augmenter en 2009. A l'instar du Parc Astérix, deuxième parc de loisirs en France, qui a fêté cette année ses 20 ans. «Entre les activités des uns, la pression quotidienne que subissent les autres et les activités solitaires des enfants, les familles ont retrouvé le plaisir de se divertir ensemble», explique François Fassier, directeur général du Parc Astérix. En outre, le village gaulois a développé une offre très large qui répond à toutes les générations. «Nous avons également inauguré des spectacles pour l'ensemble de la famille et Us sont pris d'assaut», ajoute- t-il. Une stratégie qui réussit au parc de loisirs, puisque l'été 2009 a enregistre une nette progression par rapport à l'été précédent.

Deuxième parc de loisirs en France, le parc Astérix attire de plus en plus de familles. Il est la parfaite illustration de l'envie des Français de se divertir ensemble... même si chacun peut choisir son activité.

Deuxième parc de loisirs en France, le parc Astérix attire de plus en plus de familles. Il est la parfaite illustration de l'envie des Français de se divertir ensemble... même si chacun peut choisir son activité.

L'exemple des parcs à thème n'est pas un cas isolé. Les voyagistes ont largement orienté leurs offres vers la famille tout entière. A l'image de Terres d'aventure, qui regroupe 120 offres «famille» dans son catalogue, alors qu'il en recensait une quinzaine il y a huit ans. Tout ce qui peut séduire les différents membres de la famille est donc mis en avant: chasse au Yéti au Népal, Far West ou croisière écolo en Afrique... les programmes familiaux font florès. Et il en est de même pour les activités sportives. Faire du sport en famille est en effet de plus en plus répandu. Des cours «spécial famille» pour les salles de gym, à la pratique du golf qui a vu le nombre de familles licenciées augmenter, les activités que partagent enfants et parents n'ont jamais eu autant de succès. «Ce n'est pas tant de faire les choses ensemble qui prime, l'idée est de créer du lien», résume Jolanta Bak. Ainsi, selon l'Observatoire Kidexpo 2008, la fête de Noël apparaît comme le rassemblement familial incontournable et préféré par près de 7 Français sur 10 (69%). Elle serait même «une mise en scène de la famille et de la parenté devant elle-même», écrit François de Singly dans Sociologie de la famille. Autre moment à partager, certes moins festif, mais tout aussi créateur de lien: le cinéma. Ce dernier surfe d'ailleurs sur la tendance. De plus en plus de films s'adressent à toute la famille. L'été dernier, le long- métrage d'animation pour enfants Là-haut (Pixar) a été l'un des films qui a le plus touché les... adultes. Ont suivi les films de divertissement de la rentrée dernière, qui sont, pour la plupart, destinés à l'ensemble de la famille, comme Le Petit Nicolas, sorti le 30 septembre, ou encore Lucky Luke, avec Jean Dujardin, dans les salles depuis le 21 octobre. En projet, Alice au pays des merveilles, de Tim Burton, prévu pour mars 2010 ou encore le remake de Harvey, signé Steven Spielberg, également attendu en 2010. Toutes ces productions se regardent désormais en famille et font l'objet d'un «bon moment» passé ensemble, d'un souvenir gravé dans le marbre. Tout simplement parce que ces films du XXIe siècle se lisent au premier comme au deuxième ou au huitième degré! Ils offrent un monde sucré pour les enfants et des blagues salées pour les parents... Résultat: le cinéma n'a jamais remporté autant de succès pour la simple raison qu'il rassemble les générations.

François Fassier (Parc Astérix):

«Entre les activités des uns, la pression quotidienne que subissent les autres et les activités solitaires des enfants, les familles ont retrouvé le plaisir de se divertir ensemble.»

Une cible à chouchouter

Valeur refuge en temps de crise, la famille est donc une cible à ne pas négliger. Pour les enseignes comme pour les marques. Notamment car elle incarne un mode de consommation partagé et intergénérationnel, qui tranche avec l'actuelle consommation individualiste. «Avec la famille, le style de vie prime sur le type de cible, souligne un récent billet de l'agence Blackandgold. En s'adressant aux familles, les marques peuvent communiquer des valeurs ou favoriser des habitudes qui auront d'autant plus de chances de perdurer». Le groupe de distribution Casino l'a compris et a entrepris l'été dernier de se positionner justement comme l'enseigne de la famille. En associant sa marque Casino Famili aux valeurs de la famille, l'enseigne se dote ainsi d'un vrai levier de différenciation. Casino souhaite ainsi proposer 450 références d'ici à la fin de l'année 2010 afin d'être toujours plus proche de cette cible à chouchouter. Dans l'hôtellerie, les marques commencent également à se positionner. Mais Novotel (groupe Accor) s'est attaqué à ce créneau il y a bien longtemps. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: 600000 enfants ont été accueillis cette année dans les 144 hôtels Novotel de l'Hexagone. «Nous n'avons pas de politique promotionnelle ponctuelle. Notre politique marketing dédiée à la famille est valable 365 jours par an», souligne Yves Lacheret, directeur général de Novotel. Ainsi, depuis la création de la marque hôtelière, les partenariats et offres ne cessent de prendre de l'importance, pour le plus grand bonheur des familles. Outre le «deux enfants de moins de 16 ans ne paient pas dans la chambre des parents», d'autres avantages séduisent cette cible. A l'instar de la deuxième chambre à moitié prix pour les détenteurs d'une carte famille nombreuse. «Nous avons également initié un partenariat avec Microsoft pour l'installation d'une Xbox 360 dans tous nos hôtels et signé un accord avec la Fédération française de golf», illustre le directeur général. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes? Pas si sûr. «A force d'idéaliser la famille et défaire tout ensemble, le jeune adulte risque de ne plus vouloir partir de chez ses parents», avertit Jean Epsein. Avant d'ajouter: «Il va falloir être clair sur la place de chacun et se réserver des moments à soi, que l'on soit parent ou enfant.» Tout est une question d'équilibre.

Epsein (psychosociologue): «La famille s'efforce de trouver plus de temps pour être réunie. Même si tout le monde vit en électron libre.»

Epsein (psychosociologue): «La famille s'efforce de trouver plus de temps pour être réunie. Même si tout le monde vit en électron libre.»

«La deuxième décennie des années 2000 verra l'avènement d'un nouvel équilibre»

Interview: Pour Jean Epsein, psychosociologue et auteur de Nous sommes des parents formidables, la famille a traversé plusieurs périodes structurantes. Elle se dirige vers plus d'équilibre, où le rôle de chacun correspondra à la réalité de la société.


MM: Pensez-vous que les Français vivent plus intensément leur famille qu'auparavant?
Jean Epsein: Pendant de nombreuses années, la famille a évolué autour de la proximité, dans la mesure où notre pays était rural et que les gens vivaient ensemble. Dans les années soixante, nous avons assisté à une évolution démographique, qui a contribué à l'explosion des familles. Dans les années soixante-dix, cette même famille est devenue ringarde, car elle était porteuse de tradition et de rituel. Il fallait la mettre au vestiaire. De là est né un conflit de générations majeur. Les enfants des années soixante-dix sont devenus parents et, à leur tour, ils se sont sentis frustrés de ne pas avoir assez de récits familiaux pour construire leur histoire. Aujourd'hui, la famille est donc devenue une valeur refuge qu'il faut vivre intensément. De fait, il existe un réel besoin de retrouver des valeurs familiales. Et donc de vivre intensément sa famille, entre parents et enfants, mais aussi avec les grands-parents, afin de transmettre un patrimoine.


Pensez-vous que le «tous ensemble» soit le nouveau credo de la famille?
Nous entrons, en effet, dans une ère du «tous ensemble». La famille s'efforce de trouver plus de temps pour être réunie.
Même si, au sein de ces familles, tout le monde vit en électron libre.


Existe-t-il un risque à vivre toutes les expériences ensemble?
Oui. Il faut faire attention à ce que la famille ne se replie pas sur elle-même. Car, à force de tout partager, elle peut prendre le risque de vivre recroquevillée. Les conséquences pourraient être nombreuses. La plus visible étant d'augmenter le nombre de «Tanguy», ces enfants qui ne veulent plus partir de chez leurs parents, se croyant chez eux. D'autant que, pour l'enfant aussi, la famille est devenue un vrai refuge.


Quelles sont les évolutions avenir?
Nous sommes en train de vivre la fin d'un mouvement de balancier qui va nous amener à un nouvel équilibre de la famille. Dans les années soixante, le chef de famille était le père, puis il y a eu une recherche d'égalité hommes-femmes dans les années soixante-dix. Aujourd'hui, l'enfant est devenu omniprésent et il prend toute la place. On parle de l'enfant roi. Or, le rôle d'un enfant n'est pas d'être le conjoint de ses parents. Et il y a bien eu cette confusion des genres.
Un nouvel équilibre sera trouvé dans la deuxième décennie des années 2000. Où chacun retrouvera sa place et où les rôles correspondront aux réalités de la société. Car le véritable équilibre entre enfants et parents n'a encore jamais été atteint. Il va falloir être bien clair sur ^m la place de chacun.

 
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AVA ESCHWEGE

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