Elizabeth Pastore-Reiss: «Autrement, c'est maintenant»
A L'HEURE DES COMPTES ET DE CERTAINES DECEPTIONS CONCERNANT LE DEVELOPPEMENT DURABLE, ELIZABETH PASTORE-REISS, FONDATRICE ET PRESIDENTE D'ETHICITY, NE BAISSE PAS LES BRAS. BIEN AU CONTRAIRE. CETTE PIONNIERE EXHORTE PLUS QUE JAMAIS LES ENTREPRISES A CREER ET A VENDRE AUTREMENT. ELLE ENJOINT LES CONSOMMATEURS A SE PRENDRE EN MAIN.
CELA FAIT PLUS DE DIX ANS QUE VOUS MILITEZ POUR UN MARKETING ETHIQUE ET DURABLE. QU'EST-CE QUI VOUS ANIME?
Elizabeth Pastore-Reiss: J'ai envie d'être utile, d'aider les entreprises et les associations à créer de la valeur pour tous. Ethicity accompagne donc les entreprises dans leur stratégie de développement durable. Relever les défis de demain et réduire l'impact de l'industrie sur la planète est une attente de plus en plus forte des consommateurs. Les engagements et les actions des entreprises contribuent à faire émerger de nouveaux modèles.
QU'EST A ETE LE PRINCIPAL ACCELERATEUR PENDANT CES DIX ANS?
Il y a eu plusieurs leviers. En 2003, la NRE (Nouvelle loi sur les régulations économiques) a obligé les entreprises à fournir, dans leur rapport annuel, des données environnementales et sociétales. Cela a accéléré la prise de conscience des entreprises et surtout la structuration de leurs actions. Ces mesures ont permis de réduire les répercussions des plans de développement durable dans les entreprises. Avant les années deux mille, les pionniers étaient surtout des associations - comme Max Havelaar - et quelques entreprises nées de concepts novateurs, autour de personnes engagées et de grandes entreprises (Danone, Lafarge). D'autres avaient aussi ces notions dans leurs gènes mais ont dû - comme Yves Rocher, Bonduelle et Bouygues - les formaliser. La dynamique s'est ensuite étendue des grandes entreprises aux PME.
Parmi les autres leviers incitatifs vis-à-vis des entreprises, il ne faut pas oublier les mesures du Grenelle de l'environnement: réduction des émissions de gaz à effet de serre, tri des déchets, réduction des consommations d'énergie. Les préoccupations écologiques se sont étendues à tous les secteurs - alimentaire, entretien, mode, services...
Parocurs
Diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'École supérieure de commerce de Rouen, Elizabeth Pastore-Reiss a passé huitans au développement du groupe Expansion, puis dix à la tête de Publicis Dialog, la filiale marketing relationnel du groupe Publicis.
En1999, elle décide de mettre son savoir-faire marketing au service d'une consommation plus durable. Cofondatrice de l'enseigne Human Inside (1999), spécialisée dans le commerce responsable, elle crée, unan plus tard, l'agence de conseil en marketing éthique Ethicity, qui a rejoint, début 2012, le groupe Greenflex - 50 millions d'euros de CA en 2011, positionné sur les services en développement durable- afin d'apporter de nouvelles solutions opérationnelles aux entreprises.
En parallèle de ses activités, Elizabeth Pastore-Reiss intervient régulièrement dans de nombreux séminaires sur le développement durable et auprès de plusieurs ONG.
QU'EST CE QUI A FAIT CHANGER LES CONSOMMATEURS?
Le développement de l'offre, tout d'abord. Le bio concerne de plus en plus de marchés et de circuits de distribution. Ensuite, le rapport de l'individu au collectif a changé. Depuis deux ou trois ans, les notions de partage et de mutualisation se sont largement développées, soutenues notamment par les réseaux sociaux.
Cela a provoqué une évolution de l'offre produits vers une offre de services. Un des exemples étant le Vélib', qui apporte une réponse aux gaz à effet de serre et aux difficultés de circulation.
Dans mon dernier livre, Les 7 clés du marketing durable
LE PASSAGE A L'ACTE EST VOTRE LEITMOTIV?
Oui, car il faut transformer l'essai du marketing durable. Nos sociétés subissent de nombreux bouleversements: dérèglement climatique, pénurie des ressources naturelles, augmentation du chômage, vieillissement de la population... Cela nous oblige à repenser le fonctionnement des structures. Mais étant donné les nombreux scénarios d'avenir - renforcement de la gouvernance mondiale, autonomisation des communautés à l'échelle locale, montée en puissance du rôle des entreprises prenant le relais d'Etats défaillants, etc.-, on ne peut que formuler des hypothèses. En attendant, il faut trouver des solutions et expérimenter, ne plus attendre pour changer.
COMMENT REAGIT LE «NOUVEAU CONSOMMATEUR»?
Soit il achète moins, soit il consomme mieux. La dernière enquête que nous avons réalisée, en partenariat avec Aegis Media Expert, Kantar Media et TNS Sofres
DES ENTREPRISES ET DES INDIVIDUS QUI SE RAISONNENT PROGRESSIVEMENT, C'EST CELA LE CONSCIOUS MARKETING?
C'est une expression plombante car elle ne contient pas de notion de plaisir. Or, consommer, c'est partager, prendre du plaisir. Pour faire acheter et surtout racheter un produit, il est nécessaire de le rendre attractif et désirable. Il faut arrêter d'utiliser des mots négatifs:«obsolescence programmée», «déconsommation» mais changer les représentations sociales, donner envie de changement...
SELON UN SONDAGE MAX HAVELAAR/BVA DE MAI 2012, ON CONSTATE UNE BAISSE DE LA CONSOMMATION RESPONSABLE EN 2012 ET UN PLAFONNEMENT DES ACHETEURS REGULIERS DU COMMERCE EQUITABLE. N'ETES-VOUS PAS INQUIETE?
La consommation équitable s'est ralentie mais les labels comme Rainforest Alliance continuent à se déployer sur les produits. De plus, il y a eu un déplacement des préoccupations, le local a remplacé l'axe Nord / Sud. Le consommateur est désormais plus sensible à ce qui je passe au bout de sa rue qu'à l'autre bout du monde. Je reste cependant optimiste, même si cela ne va pas encore assez vite. De plus en plus de produits sont conçus de manière responsable, et cela devient argument de vente.
VOTRE ENQUETE SUR LA CONSOMMATION DURABLE(2) MONTRE QUE LA CONFIANCE DANS LES ENTREPRISES ET LES MARQUES REMONTE. LE SCEPTICISME DES FRANCAIS QUANT A LA CAPACITE DES ENTREPRISES A CONCILIER DEVELOPPEMENT DURABLE ET RECHERCHE DE PROFITS EST-IL DERRIERE NOUS?
Vous mentionnez point très positif: la confiance dans les grandes entreprises mais aussi celle dans la fiabilité de l'information sur les produits durables ont fortement progressé entre 2011 et 2012. Entreprises et marques sont désormais des acteurs reconnus du changement. C'est la résultante d'actions réelles et concrètes. Beaucoup de progrès ont été faits.
LE MARKETING N'A-T-IL PAS PEUR DE LA SANCTION DES VENTES A COURT TERME?
Si, pourtant, le développement de produits écoresponsables constitue un vrai levier si l'entreprise est dans une logique d'innovation. Et les exemples de réussite marketing ne manquent pas: Lu, Danone, Lesieur...
LE SERVICE MARKETING EST-IL UN FREIN AU MARKETING DURABLE?
Il est souvent difficile de faire bouger les marketers. Il faut leur donner l'opportunité de percevoir le développement durable comme une source d'innovation, leur faire ressentir les enjeux de la totalité du cycle de vie du produit et leur donner davantage de responsabilités sur l'ensemble de sa conception. S'organiser par projet avec toutes les fonctions de l'entreprise est une des clés du succès.
Quand une marque conçoit un produit, elle doit étudier son impact environnemental et chercher à réduire la quantité de matériaux utilisés... Il faut qu'elle essaie de voir son produit autrement en termes de cycle de vie, qu'elle travaille sur l'ensemble et qu'elle intègre son usage et sa fi n de vie. Le problème des entreprises françaises est qu'elles sont souvent très cloisonnées et que les différents services ont du mal à travailler ensemble autour de la fonction d'un produit.
OU SE SITUE LA FRANCE EN MATIERE DE MARKETING DURABLE?
La France est historiquement au milieu, derrière les pays du Nord de l'Europe. Parmi les pays et continents qui bougent, on peut citer le Brésil, la Chine, l'Afrique. Les nouvelles technologies aident les pays émergents à se mobiliser. Le retour du savoir-faire est aussi essentiel. Les Africains ont ainsi de grandes compétences en agriculture et en recyclage: l'innovation se trouve majoritairement dans les pays du Sud!
ETHICITY A PUBLIE, EN SEPTEMBRE DERNIER LA NOUVELLE TYPOLOGIE DES CONSOMMATEURS FRANCAIS. QUELS EN SONT LES ENSEIGNEMENTS PAR RAPPORT A LA PRECEDENTE?
La bonne nouvelle est que, d'année en année, le nombre de Français qui intègrent les enjeux du développement durable à leurs choix de consommation s'accroît (de 40 % en 2010 à 47 % en 2011) et ce, malgré la crise. Les nouveaux consommateurs citoyens sont des hommes, plus jeunes, qui mettent en avant l'éthique dans leurs choix. Les entreprises (et pas seulement les produits) doivent être exemplaires pour eux.
QUELS LEVIERS DE CHANGEMENTS FAUT-IL ACTIONNER POUR LES ATTEINDRE?
Pour être efficace, il faut toujours partir de leur bénéfice: santé, économies ou intérêt économique, simplicité, modernité, cohérence avec leurs valeurs... et surtout privilégier la transparence et la pédagogie avec des preuves concrètes et accessibles (Web, réseaux, points de vente, médias...). Mais il faut faire vite. Autrement dans la façon de consommer avec une consommation plus alignée selon les convictions de chacun: moins de gaspillage, moins de superflu, plus d'éthique et de partage de la valeur.
LES HUIT PROFILS DE CONSOMMRTEURLS DURABLESLa septième édition de la typologie de la consommation durable a Ethicity et Aegis Media auprès de 4 500 Français (échantillon SI
1 Les «éclaireurs» (10,5 %) sont stables. Ils privilégient une consommation raisonnée et raisonnable. Ils veulent de la cohérence et surtout de la transparence et de la crédibilité.
Cette cible est très influente.
2 Les «bio beaux» (15,4 % vs 14 % en 2011): ce sont les plus hédonistes et ils assument une consommation plaisir. Ils attendent un bénéfice pour leur santé.
3 Les «verts bâtisseurs» (9,8 % vs 9,4 %): ce groupe est tourné vers l'action. Il a acheté moins au total ; mais davantage de produits durables. Il attend des bénéfices environnementaux et économiques (pour l'emploi local, notamment).
4 Les «perméables» (11,8 % vs 9,4 %): sans conviction forte, ils demandent de la pédagogie. Saturés de messages, ils deviennent méfiants et ont besoin d'être rassurés. Il faut leur apporter une information simple et démonstrative.
5 Les «consophages» (13,6 % vs 17,1 %): ce groupe en diminution a du mal à faire cohabiter son besoin de consommer et les enjeux du développement durable. Il faut lui parler d'innovation et de modernité, en utilisant les leviers digitaux.
6 Les «bonne conduite» (11,7 % vs 6,6 %): ce groupe, en forte augmentation, place le sens du devoir et des valeurs éthiques avant la recherche du plaisir. Il faut l'aider à être encore plus exemplaire en lui apportant des indicateurs simples.
7 Les «éco-restreints» (12,4 % vs 15,6 %): ils se concentrent sur ce qui leur permet de moins dépenser Ils sont dans la déconsommation et attendent des conseils, des bons plans... qu'ils vont partager via les réseaux sociaux.
8 Les minimiseurs (15,3 % vs 17,9 %): ils veulent continuer de profiter du système. Pour eux, le développement durable est surtout une contrainte. Afin de se rassurer, ils estiment avoir modifié leur comportement. Il faut leur démontrer l'intérêt de la croissance durable de manière rationnelle en parlant de «plus de...» et non de «moins de...».