Eco-marketing : le grand nettoyage
A l'aube d'une réglementation environnementale plus stricte et d'un marketing plus éthique, industriels et distributeurs revoient leur copie. Les nouveaux chevaliers verts jouent le mécénat, manient le concept de globalité et de développement durable... Eco-marketing rime désormais avec écologie et économie.
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Qui oserait aujourd'hui adopter le comportement désinvolte de Thierry
Desmaret, le patron de Total et Elf, lors du naufrage du pétrolier Erika. Où
sont passés les capitaines d'industrie pollueurs et arrogants ? Pas chez
Carrefour ou Monoprix, encore moins chez Peugeot, Ikéa ou les 3 Suisses pour ne
citer qu'eux. Non. Le nouveau credo des décideurs s'appelle développement
durable et intègre limitation de l'effet de serre, préservation des forêts,
optimisation des consommations d'eau et d'énergie. Craignent-ils d'être
découverts trop pollueurs à l'heure du tout éthique, de cristalliser les
remontrances d'actionnaires et de consommateurs plus regardants ou veulent-ils
simplement s'adapter à une réglementation en marche ? Toujours est-il que les
pionniers de la nouvelle "éco-logique" partent à la conquête du Graal. Encore
assez amateurs en la matière, leur premier réflexe est d'aller chercher le
savoir-faire vert là où il est. Ce qui explique l'émergence du mécénat
d'organisations environnementales. Un phénomène fréquent outre-Atlantique mais
encore timide en France, où ces mêmes organisations environnementales sont
moins connues que leurs consoeurs humanitaires ou leurs homologues hollandaises
et allemandes. Encore vierges de tout scandale, leur influence grandit auprès
des Français qui, à 70 %, verraient même d'un assez bon oeil les entreprises
leur donner un coup de main. C'est ce qui ressort de l'étude confiée par le WWF
(World Wildlife Fund) à l'International Research Associate. WWF qui, à travers
sa campagne de publicité "Redonnons vie à nos forêts", donne l'exemple,
puisqu'elle a été gratuitement réalisée par l'agence Ogilvy et diffusée tout
aussi gracieusement par de nombreux médias. L'opération, menée en partenariat
avec les 3 Suisses, lui permet de soutenir et de faire connaître son ambitieux
programme de restauration de près de 500 000 hectares de forêt française,
fortement endommagés pendant la tempête de 1999. Mais Cédric du Monceau,
directeur général du WWF, ne le cache pas, « nous cherchons à coopérer avec des
entreprises soucieuses d'être des moteurs d'un développement durable ». Et d'un
engagement financier régulier. A l'image des 3 Suisses, fidèle depuis neuf ans,
qui ont versé plus de 4 millions à l'organisme, distribué ses pétitions dans
les colis, vendu des produits partage.
Des industriels encore craintifs
Peugeot, longtemps heraut des moteurs diesel et donc
considéré comme une entreprise polluante, va encore plus loin. Il s'associe à
l'Office national des Forêts et Pro-Natura International (une ONG
franco-brésilienne) dans le cadre de l'opération Puits de carbone qui consiste
à reboiser 500 hectares de la forêt tropicale brésilienne de la région de
Juruena. En vue de recréer un écosystème capable de fixer le CO2 en excès.
L'industriel finance à 100 % l'opération sur une durée de 40 ans et pour la
bagatelle de 65 MF ! Rappelons tout de même que 20 millions d'hectares de
forêts tropicales disparaissent chaque année. Mais l'initiative de l'industriel
reste isolée et peu médiatisée en France. Pour l'instant du moins car, comme
l'explique Thierry Kazazian, directeur de O2France, agence d'éco-conception, «
les industriels restent craintifs par rapport à leurs communications
environnementales. Ils bougeront quand ils verront les autres bouger ». Et
cette émulation devrait s'amplifier sous la pression d'une opinion publique
sensibilisée par les catastrophes écologiques et l'impulsion gouvernementale.
La France prendra la présidence de la conférence des parties sur le changement
climatique (COP 6) de La Haye au mois de novembre. Conférence qui devrait
déboucher sur une réglementation plus stricte et a priori plus "taxante", que
ce soit au niveau des acteurs économiques ou des consommateurs eux mêmes. Et,
dans ce cadre, le mécénat environnemental ne suffira pas. « Les industriels ne
feront pas l'économie d'un grand ménage en interne s'ils veulent réellement
communiquer sur les valeurs environnementales », souligne Thierry Kazazian.
Aujourd'hui, il faut donc penser global et durable. Mettre l'accent sur des
mesures préventives, technologiques et environnementales sur les sites de
production et ne plus se contenter, comme dans les années 60-80, de mesures
curatives. « Nous travaillons à la source, souligne Marc Bocqué, porte parole
technique, environnemental et environnement du groupe PSA (Peugeot Citroën),
mais également en aval. » Le groupe a investi 4 MdF en quatre ans dans le
développement de nouveaux moteurs moins polluants... Même discours global chez
Carrefour qui reconnaissait récemment, à travers les propos d'Alain Thierry,
directeur marketing et communication Europe, « qu'il n'est souvent pas plus
difficile de faire bien que de faire mal. C'est une question de prise de
conscience ». Le groupe s'est engagé dans une démarche de traçabilité dans la
filière papier allant du bois d'origine jusqu'à l'usine de papier et les
imprimeurs. Il commence le même travail sur des produits de la filière bois,
comme les salons de jardin. Rares sont les entreprises sérieuses qui délaissent
le dossier. Monoprix prévoit même de s'inscrire dans des critères
environnementaux, sociaux et éthiques, comparables à ceux de l'indicateur
boursier Sustainability Dow Jones (MM n° 45). Concrètement, la chasse à la
pollution est ouverte. Tris des déchets, économie d'énergie, stimulation du
transport sur rail, développement de carburants plus propres comme le GPL et le
GNV (Gaz Naturel Véhicules), éducation des consommateurs. Dans certains cas, il
faut aller vite. En 2002, les décharges devraient disparaître. Et seuls les
déchets qui ne pourront pas être valorisés seront admis dans des centres
d'enfouissement technique (CET).
Vers une écologie de proximité
Ikéa a annoncé une mise en conformité de la gestion des
déchets pour tous ses magasins, d'ici fin 2001, et mis en place une
communication informative. Le fabricant a nommé un coordinateur environnement
au sein de chaque magasin. Monoprix, pour sa part, qui produit annuellement à
lui seul 55 000 tonnes de déchets (carton, palettes, films plastiques, déchets
organiques d'origine alimentaire, déchets industriels spéciaux...), s'est
engagé dans une démarche de gestion durable des déchets qu'il expérimente pour
l'instant dans quelques magasins. Le distributeur prépare également la
généralisation de la collecte des piles et accumulateurs grand public en fin de
vie à l'ensemble de ses magasins d'ici la fin de l'année. Les 3 Suisses ont
construit un centre de tri en interne, HQE (Haute Qualité Environnementale)
selon des critères plus verts que verts, du choix des matériaux de
construction, au recyclage des eaux de pluie en passant par l'utilisation
maximale de l'éclairage naturel. Comme le souligne Jean-Claude Trichot dans le
rapport de développement durable de Monoprix, « nos efforts ne sont pas
visibles par nos clients, mais leur permettent de s'approvisionner dans nos
magasins en toute sécurité ». Une discrétion partielle car les industriels qui
s'inscrivent dans cette démarche insufflent progressivement leurs nouvelles
réalisations environnementales dans leur communication. Mais de manière très
réaliste. « Les Français ont été déçus par la vague des produits verts des
années 90. La communication environnementale était trop générale et
l'efficacité des produits peu convaincante. Aujourd'hui, la question
environnementale, dopée par les scandales alimentaires ou les catastrophes
naturelles, est entrée dans leurs préoccupations quotidiennes. Ils cherchent à
comprendre et sont en demande d'informations. Nous nous dirigeons vers une
écologie de proximité plus orientée vers les problèmes de sécurité et de
qualité de vie », déclare Thierry Kazazian. Ce qui explique le succès des
fascicules pédagogiques qui fleurissent. Sur la manière dont il faut trier les
déchets ou aborder le problème de l'effet de serre. Monoprix a sorti en
collaboration avec l'ADEME, le "Guide des gestes verts" et un catalogue spécial
environnement pour ses opérations pilotes en magasin (également avec
Eco-emballages), les 3 Suisses ont réalisé "Les 20 gestes pour chouchouter
notre Terre" en collaboration avec le ministère de l'Environnement... Peugeot a
lancé son site environnement.peugeot.com.
L'éco-produit : un produit "plus"
L'éco-marketing est en marche mais, contrairement
au marketing classique, il suppose un grand ménage en amont et en interne et un
travail de sensibilisation tous azimuts. En outre, il introduit une nouvelle
notion de cycle de vie du produit où tout est pris en compte. Origine et
quantité de matière première utilisée, quantité d'énergie pour la fabrication
et le transport, quantité de déchets produits, etc. Monoprix généralise
progressivement les démarches de réduction à la source de sa gamme Monoprix
Vert à l'ensemble des produits de marque Monoprix. « Il faut concevoir un
produit en intégrant le service environnemental, tout en maintenant sa valeur
d'usage », insiste Thierry Kazazian. L'éco-produit doit être un produit
"plus". Plus économique, plus pratique, comme le luminaire d'Habitat, coréalisé
avec O2France, qui utilise une ampoule fluo compact, consomme cinq à huit fois
moins d'énergie et dure dix fois plus longtemps. Et que l'on peut promener dans
toute les pièces grâce à ses roulettes, afin d'économiser quelques ampoule...
Plus écolo et plus hygiénique, la gamme de linge de maison Tertio des 3
Suisses, qui bénéficie du label écologique européen Eco Label, diminue les
allergies tout en préservant la qualité de l'eau utilisée à sa fabrication.
Ikéa, pour sa part, s'est vite rendu compte que des modifications, même
mineures, sur ses meilleures ventes avaient plus d'effet sur l'environnement
que quelques produits "verts". Il a donc été décidé d'adapter progressivement
l'ensemble de l'assortiment à l'environnement. Et de ne pas se limiter, comme
cela avait été d'abord le cas, à un certain nombre de produits "écologiques"
dans chaque secteur d'assortiment. PSA Peugeot Citroën a entamé le
renouvellement des gammes de ses moteurs en 1998 avec l'apparition du moteur
Hdi, diesel "common rail" haute pression. Et élargi l'opération en début
d'année 2001, en lançant son nouveau moteur essence à injection directe haute
pression baptisé Hpi, premier du genre en Europe. Ce moteur, intégralement mis
au point par PSA Peugeot Citroën, a nécessité un investissement global de 420
MF (64 millions d'euros). Il permet une réduction de la consommation de 19 %
par rapport au moteur XU 2 litres de génération précédente et de 10 %
comparativement au très récent moteur essence EW 2 litres à injection indirecte
(cycle réglementaire). En ville, ces performances sont encore meilleures avec
un gain de 21 % et de 11 % par rapport aux moteurs déjà cités. Il est destiné à
équiper des véhicules de gamme moyenne supérieure de Peugeot et de Citroën à
partir du second semestre 2000. Un bilan environnemental amélioré grâce à une
réduction significative des émissions de CO2. On est encore loin des 50 % de
réduction de consommation de fuel promis par GreenPeace avec son prototype
Smile. Une Twingo revisitée à la dimension du moteur réduite, allégée et
équipée des dernières technologies. Mais le phénomène est en marche. Et ce qui
n'était pas envisageable, il y a seulement cinq ans, comme les moteurs hybrides
essence/électrique, l'est aujourd'hui. Toyota a lancé au Japon, il y a deux
ans, la Prius, une quatre portes quatre places, véhicule doté de deux moteurs
et de deux batteries. A petite vitesse ou pour les manoeuvres, le moteur
électrique travaille seul. Lorsque le conducteur demande un peu plus
d'accélération, le moteur à essence prend le relais. Résultat, la voiture
économise de l'énergie et pollue moins. Rien ne serait possible sans
l'introduction massive des nouvelles technologies, qui devraient réserver bien
d'autres surprises pour le IIIe millénaire. On parle déjà de l'arrivée de
nouveaux matériaux vivants, comme des lichens génétiquement modifiés,
actuellement testés en laboratoire, qui pourraient couvrir les murs de nos
habitations ou de nos usines d'une fine pellicule qui filtrerait la pollution,
renouvellerait l'atmosphère et diffuserait un agréable parfum frais...
L'émergence de l'éco-sapiens et des nouvelles technologies n'a pas fini de
bousculer l'ancienne économie et sa manière de faire du marketing. Voir la vie
en vert peut lui rapporter gros à condition toutefois de tenir ses promesses...
Le Club Proforêts
Créé sous l'égide du WWF, le Club Proforêts, lancé au mois de juin dernier, a pour objectif de rassembler des entreprises qui s'engagent au service d'une exploitation raisonnée et durable du patrimoine forestier de l'exploitation jusqu'à la distribution. Parmi les sept entreprises fondatrices, on compte Carrefour, les 3 Suisses, Nature et Découverte. A travers ce club, WWF établit un partenariat sur le développement de la certification des forêts et de la labellisation des produits issus de leur exploitation. Il soutient en particulier le label FSC (Forest Stewardship Council) ou conseil de gestion responsable des forêts. Cette organisation non gouvernementale internationale est la seule, à ce jour, à avoir établi un système fiable de certification forestière et de labellisation des produits bois. Les entreprises s'engagent, à court ou moyen terme, à utiliser ou commercialiser du bois ou des produits dérivés provenant de forêts préalablement certifiées conformes aux critères du FSC. La France rejoint ainsi un réseau international de clubs similaires qui regroupent déjà près de 500 entreprises dont Ikéa.
Think : la voiture bio
Ford est le seul constructeur automobile à avoir confié à une marque spécifique, Think, la tâche de trouver des réponses aux nouvelles attentes en matière de mobilité avec des produits respectueux de l'environnement. Ainsi, la Think city est une petite voiture électrique urbaine de moins de 3 mètres, silencieuse, sans émission et dont la carrosserie résiste aux rayures et aux chocs. La Think neighbor, comme son nom l'indique, à deux ou quatre places, est destinée à des déplacements de quartier. Quant aux vélos électriques, les Think bike, ils permettent d'élargir l'utilisation du vélo classique. « Plus que son simple potentiel de croissance, cette marque a rehaussé notre réputation dans le domaine de l'environnement. En outre, Think est une organisation très créative qui deviendra un vrai réservoir d'idées, où Ford pourra développer et commercialiser des technologies de pointe en faveur de l'environnement », explique Jakob Alkil, directeur du marketing et des ventes de la marque en Europe. Dans le cadre de son "cas d'école Ford", le fabricant fait plancher cette année des étudiants des universités et des écoles de commerce sur le thème de la place de la voiture en ville.