Dominique Delport: «Le maître mot c'est l'agilité»
POUR LE PRESIDENT D'HAVAS MEDIA Division médias du groupe Havas, Havas Media est présent dans plus de 100 pays et compte 3200 collaborateurs. Havas Media France regroupe MPG et Euromedia, les réseaux d agences conseil médias, Havas Digital, et le réseau international de marketing nteractif Havas Sports & Entertainment, réseau d'agences dédié à l'association d'une marque et d'un contenu (stratégie, production et difusion nationale et nternationale)., LA REVOLUTION MARKETING IMPLIQUE UNE REVOLUTION MEDIAS. OMNICANAL, CONSOMMATION MULTI-ECRAN, TABLETTES LA DIGITALISATION DES MEDIAS INDUIT DES CHANGEMENTS DE COMPORTEMENT, QUE LES AGENCES DE CONSEIL DOIVENT ACCOMPAGNER ET MEME PRECEDER.
OU EN EST LA REVOLUTION MEDIATIQUE?
L'important est de voir comment les médias réussissent leur mue digitale, en sachant que par ce terme, on ne désigne pas seulement Internet mais aussi la capacité à consommer le média sous une forme numérique. A noter: le passage de l'analogique au digital est plus lent en radio. La radio est le média de convergence par excellence, puisqu'on l'écoute en faisant autre chose, notamment en surfant sur Internet, en conduisant... Elle aurait donc dû être le premier média à se digitaliser Cette idée a été confortée, au début, par les podcasts, les web radios... Mais aujourd'hui, le modèle vertueux qui permettrait à la publicité d'exister sur ces supports n'existe pas. En revanche, la TV est devenue numérique, grâce à la TNT notamment, avec de nouvelles chaînes, de nouveaux entrants, etc.
Parcours,
Dominique Delport, diplômé de l'ESC Lyon et lauréat du Moot Corp MBA Entrepreneurship Austin Texas, a commencé sa carrière en 1994 chez M6, dont il a été le rédacteur en chef national dès 1996. En avril 2000, il rejoint Streampower, en tant que p-dg. Cette société de production de contenus innovants pour la TV, le Web et les mobiles est, depuis octobre 2001, une filiale du groupe Bolloré. Par ailleurs, Dominique Delport anime, de 2006 à 2008, une émission hebdomadaire, 8-FI, consacrée aux nouveaux médias, sur Direct 8.
Il rejoint MPG en février 2006, en tant que directeur général, tout en conservant la présidence de Streampower. Nommé en juin 2006 chief executive officer de MPG France, il devient, en février 2007, CEO d'Havas Media France, qui regroupe quatre entités: MPG Euromedia, Havas Digital et Havas Sports & Entertainment. En parallèle, Dominique Delport a été professeur à l'Institut des sciences politiques (2008 et 2009) et président de l'Udecam. Il est nommé p-dg d'Havas Media France en mai 2009.
POURQUOI LA RADIO N'A-T-ELLE PAS REUSSI A CREER CET ECOSYSTEME NUMERIQUE?
Certains groupes, anciens ou nouveaux, ont tout fait pour lutter contre la radio numérique terrestre. Avec le recul, je pense que c'est une erreur historique. Je suis un gros consommateur de web radio, et on ne peut pas affirmer que l'on a le même confort d'écoute sur ce canal. En effet, les signaux sont interrompus en permanence, les réseaux télécoms s'avèrent suffisants... Les personnes qui ont milité pour la TNT sont celles qui démolissent, aujourd'hui, la RNT Pourtant, élargir l'offre avec une qualité supplémentaire est le seul moyen de faire grossir le bassin d'audience... On a observé, certes, des stratégies assez malignes, comme celle du groupe NR J, qui a misé dès le début sur les web radios, sur des partenariats avec iTunes et a renforcé sa présence sur les réseaux sociaux, ou celle du groupe Next, d'Alain Weill. A contrario, on ne peut pas dire que les tentatives d'une radio sport via RTL et L'Equipe aient été couronnées de succès. Il ne faudrait cependant pas penser que la radio n'est pas moderne. Elle reste le média de l'information chaude, du trafic en point de vente. Elle constitue une force de frappe extraordinaire, quand on lui offre une diffusion de bonne qualité, par exemple via la RNT ou la radio par satellite, comme aux Etats-Unis. L'autre échec de ce canal, c'est celui de la mesure. Aujourd'hui, on n'est pas capable de savoir si tel ou tel podcast a été totalement téléchargé. La profession travaille sur cette mesure, mais elle se heurte à un problème. de ressources car les investissements publicitaires sur le canal digital pèsent moins de 5 % du chiffre d'affaires des régies radio.
QUELS SONT LES MÉDIAS QUI S'EN SORTENT LE MIEUXEN DIGITAL?
Aujourd'hui, les deux médias traditionnels qui ont réussi leur mutation digitale et pour lesquels les revenus publicitaires commencent à peser sont l'affichage et la presse. Le premier a le vent en poupe. Plus l'individu est mobile, plus il est urbain et plus la publicité et la communication extérieure l'accrochent. Le DOOH (digital out of home) laisse place à une plus grande créativité et une expérience de moins en moins intrusive. Il suffit de consulter le Gun Report: les campagnes d'affichage raflent de nombreux prix et, de plus, sont efficaces. Elles touchent le cerveau émotionnel mais aussi le cerveau rationnel du consommateur.
DES ZONES DE PLUS EN PLUS DIFFICILES A TOUCHER POSITIVEMENT?
La défiance des consommateurs vis-à-vis des marques et du marketing est plus élevée que jamais. Cela doit être une alarme pour nous. Notre étude Meaningful Brands
DES EFFETS CONCOMITANTS?
Plutôt des effets cumulatifs: comme dans la vie privée, lorsque l'on est bombardé de messages et que l'on ne se comprend plus, l'histoire tourne court. Il faut retrouver le sens du temps long, c'est-à-dire inscrire les messages dans la durée, revenir sur les fondamentaux de la marque. C'est ce qu'a fait Citroën avec la ligne DS, en se réinventant autour de cette gamme historique. Il faut aussi penser que les nouvelles technologies ne sont pas une fin en soi mais qu'elles permettent de dialoguer avec les consommateurs.
Il ne faut pas considérer la crise comme une fatalité mais une source d'opportunité. Pendant la grande crise de 29 aux Etats-Unis, General Electrics a réussi à croître de 30 % en vendant des réfrigérateurs. L'innovation est toujours opportune lorsque tout va mal et qu'il faut se réinventer. C'est le projet que nous avons à Havas Media: non seulement accompagner nos clients sur les problématiques médias et marketing mais aussi les amener à réfléchir sur leur organisation.
Y PARVENEZ-VOUS?
Nous sommes, en tout cas, de plus en plus sollicités sur ce terrain. Tout le monde est conscient - dans l'automobile, le retail, les biens de consommation courante, le luxe, etc. que l'innovation durable et pertinente est aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Il faut s'ouvrir. Il faut regarder la façon dont les jeunes générations consomment, car elles n'ont absolument pas les mêmes repères. Elles ne sont pas attachées à la propriété mais au partage, et cela bouleverse les fondamentaux. Cette génération ne connaît pas la distinction entre le on et le off line. Elle est tout le temps «on». Et les entreprises qui ont considéré le digital comme un métier vertical doivent de toute urgence enrichir leur organisation grâce aux apports du numérique. Encore une fois, le digital, c'est comme l'oxygène qui nous entoure. C'est tout simplement la vie des gens.
CETTE VIE NE PASSE-T-ELLE PAS DE PLUS EN PLUS PAR LE MOBILE?
Certainement, et il y a des pays qui ont même sauté une technologie. En Afrique, Orange a 4 millions de clients qui ne possèdent pas de compte bancaire. Ces consommateurs ne sont pas passés par Internet. Même chose en Inde, où le système «QQVU» permet à 200 millions d'agriculteurs de recevoir des fonds de l'Etat ou des paiements par mobile. On assiste à un formidable bourgeonnement de possibilités, mais cela signifie qu'il faut changer d'approche. C'est un message adressé aux sociétés françaises qui ont fait la puissance de la France. Mais il faut irriguer aussi tout le réseau de PME et de start-up qui ont des organisations fragiles mais décisives pour nourrir les grands groupes de leur fraîcheur et de leur inventivité.
VOUS AVEZ PUBLIÉ, EN SEPTEMBRE DERNIER, UNE ÉTUDE,UNPLUGGED SUR LES DÉCONNECTÉS«Unplugged» s'appuie à la fois sur les données SIMM et CCA et sur une enquête MetrixLAB, menée auprès de 412 individus . COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CE PHÉNOMÈNE?
La France compte, 9,5 millions de citoyens déconnectés (soit environ 20 % de la population), lesquels sont, souvent par obligation, à l'écart des réseaux numériques. C'est un enjeu de société: offrir une connexion haut débit à tout le territoire. Parallèlement, existent des déconnectés volontaires, qui n'en peuvent plus de la dictature du temps réel.
C?EST UNE ÉTAPE LOGIQUE?
Oui, mais c'est surtout une vraie tendance. Le monde de demain peut être une société de rejet, et l'important, c'est que l'on puisse «donner de l'espoir à la génération qui suit», comme le disait Pierre Teilhard de Chardin. Le chômage touche 25 % des jeunes en France, 7 % en Allemagne et 50 % en Espagne. Et pourtant, nous devons comprendre ces générations digitales et les accueillir dans les entreprises, dans la société mais aussi dans le monde de la consommation. Lorsque l'on déconsomme (et le monde de la musique l'a vécu), il y a des secteurs entiers qui défaillent. Il existe une intelligence collective pour éviter le rejet des jeunes, et il serait dommage que la France ne montre pas l'exemple.
CONSTATE-T-ON UN VRAI RETARD FRANÇAIS?
Non, des solutions existent en France aussi. C'est le cas pour la musique, avec les spectacles vivants. Plus on est connecté, plus on a envie de vivre d'émotions ensemble: les festivals font recette, il n'y a jamais eu autant de spectateurs dans les cinémas, malgré tous les écrans que chacun possède! Les individus ont envie de vivre des moments de communion. C'est ce qui fait la force du média TV. La révolution numérique existe, mais Internet n'a pas créé de rendez-vous. Prenons l'exemple des JO: on peut les regarder sur la Toile mais ce n'est pas la même communion. La TV reste le média de l'émotion. Le seul problème est les investissements publicitaires de ces grands-messes télévisuelles ne sont devenus insuffisants. Entre les coûts d'acquisition des droits et les recettes pub, il y a un décalage. L'époque a changé et nous assistons à une fragmentation de l'audience, qui implique de nouveaux modèles économiques. Les JO ont coûté 60 millions d'euros (pour les seuls droits, sans les coûts d'exploitation) à France Télévision et en ont rapporté 15. Pourtant, une grande chaîne doit couvrir l'événement.
LA RÉPARTITION ENTRE LES MÉDIAS A-T-ELLE CHANGÉ?
La TV est toujours numéro un. La durée d'écoute moyenne a augmenté et on a davantage d'écrans. Cela reste le pivot de toutes les stratégies de lancement. La presse reste le second média, avec beaucoup d'atomisation et d'hétérogénéité entre les familles de presse. Les groupes de presse sont aujourd'hui les plus mobilisés sur la numérisation, ceux pour lesquels les revenus publicitaires liés au digital représentent le plus gros pourcentage (de 20 à 30%). En radio, Skyrock représente une exception, puisque les Skyblogs représentent 50 % des revenus de la régie. En ce qui concerne l'affichage, le numérique regroupe à peu près à 10 % des investissements.
VOUS AVEZ DIT:« L'INFORMATION EST LE PÉTROLE DU XXIE SIÈCLE». POUVEZ-VOUS DÉVELOPPER CETTE IDÉE?
et la big data sont en effet le pétrole de ce siècle. Mais les raffineries ne sont pas là. On a encore une matière brute. Les puits sont uniformément répartis sur la planète. Il n'existe pas un Moyen-Orient et des pays dépendants de l'information. Elle appartient à chacun. Il faut encore un peu de temps pour arriver à montrer que tout ceci possède de la valeur. On a de très grands intervenants mondiaux (Google, Facebook, Apple, Amazon...), qui ont créé des raffineries globalisées en verrouillant l'un le contenu, l'autre le social, le troisième la recherche et le dernier le commerce mondial. Il faut utiliser leur force et leur talent pour que cela serve les écosystèmes locaux. Chacun a un puits de pétrole dans son jardin et la question est: «Ont-ils les bons outils pour exploiter ces données, pour ne pas se noyer sous un geyser permanent mais arriver à un flot qui soit maîtrisé et qui crée de la valeur?». Le chemin du consommateur est de moins en moins linéaire et de plus en plus en boucle, parce que les réseaux sociaux viennent perturber à chaque instant l'état de veille du consommateur. Ce dernier peut être intéressé par un produit mais, s'il voit des commentaires désastreux d'internautes, il achète autre chose. On est dans un environnement soumis au diktat du temps réel.
QUELLES RECOMMANDATIONS DONNERIEZ-VOUS AUX ANNONCEURS, QUELQUE PEU PERDUS, POUR ESSAYER DE VOIR PLUS CLAIR DANS CETTE RÉVOLUTION?
Le premier conseil est d'être cohérents. Ce que la marque dit, ce qu'elle fait et ce que l'on dit sur elle doit être le plus aligné possible. Mais le maître mot dans ces périodes d'accélération, c'est l'agilité. Si on reste comme on est, on recule. Il faut ouvrir ses données, ses collaborations, considérer les ennemis d'hier comme des partenaires de demain, car on est dans une concurrence de plus en plus globale. C'est l'exemple des ad exchanges: une TV ou une radio qui s'associe à un journal et qui trouve des solutions avec lui. Il en va de même pour le comarketing dans la téléphonie mobile. Pour aider les annonceurs, nous avons créé Havas Village: 2200 collaborateurs, des dizaines de métiers différents... réunis à Puteaux. Nous avons des publicitaires, des designers, des producteurs de contenus, des journalistes et des experts médias, qui apprennent à travailler sur une logique de projet.
QUEL PORTRAIT FAITES-VOUS DU CONSOMMATEUR DE DEMAIN?
Il sera plus exigeant, encore plus volatil et encore plus connecté. Dans la pyramide de Maslow, chère aux études marketing, un nouveau besoin est apparu et est devenu élémentaire: c'est le partage. Aujourd'hui, le consommateur a besoin de partager son avis, son enthousiasme, ses coups de gueule. Les réseaux sociaux sont autant de réceptacles des humeurs des consommateurs. Le bouche-à-oreille a toujours existé mais aujourd'hui, des millions de bouches sont reliées à des millions d'oreilles! C'est une matière qui doit forcer les entreprises à réfléchir avant de se lancer dans cette conversation mais aussi une formidable source d'opportunités.
VOUS ÊTES DONC OPTIMISTE POUR L'AVENIR?
Je préfère, en temps de crise, voir le verre à moitié plein. Certains pays, pourtant en état de dépression permanente, l'ont bien compris. Au Brésil, en Inde, au Vietnam, on sent un enthousiasme formidable. Si on veut donner envie aux gens de partager et de consommer, il faut leur donner des raisons d'espérer La France a beaucoup de ressources: elle possède une grande ouverture multiculturelle. Aujourd'hui, quand une entreprise chinoise s'implante en Europe, elle préfère Paris à Londres. C'est cette ambition que nous avons pour Havas.
Dans la pyramide de Maslow, chère aux études marketing, un nouveau besoin est apparu et est devenu élémentaire: c'est le partage