Diversité dans la pub, un atout marketing
La publicité doit-elle représenter la population française dans sa pluralité? Face à des consommateurs en quête de vérité et de reconnaissance, la question se pose avec acuité. Montrer cette diversité peut aussi s'avérer un atout marketing.
Je m'abonneLa publicité française aurait-elle un problème avec la représentation de la diversité de la population? C'est en tout cas ce qu'avancent de nombreuses associations de défense des minorités. En première ligne, la sous-représentation des minorités visibles ou la persistance de clichés à leur égard. Une analyse des spots TV, affiches et publicités presse réalisée par le BVP montre ainsi que seuls 3,1% des visuels ont mis en scène des personnages de type extraeuropéen en 2005 quand on estime que près de 20% de la population française fait aujourd'hui partie de cette catégorie. Alors certes, des différences notables existent entre les supports (17% des spots TV montrent cette diversité, cf. encadré p. 39), mais le chiffre est là. Et dérange. «La publicité est encore en retrait par rapport à la représentation des minorités ethniques, souligne ainsi Amirouche Laïdi, président du Club Averroès. Et on trouve encore une sur-représentation des personnalités, stars du sport ou de la chanson, lorsque celles-ci sont mises en scène». D'autres dénoncent les stéréotypes associés aux ethnies, comme les marabouts ou sorciers noirs. Des clichés également appliqués aux minorités sexuelles. En mai dernier, Act-up s'élevait ainsi contre une publicité Opel mettant en scène une transsexuelle, sur un mode qui se voulait humoristique, pour vanter les mérites de sa dernière voiture. Et des associations de personnes handicapées regrettent tout simplement la non-représentation, autre que pour des campagnes caritatives, de ces personnes. «En dépit du marché potentiel important qu'elles constituent, elles se sentent laissées de côté, comme si elles n'existaient pas», constate l'ASPH (Association socialiste de la personne handicapée) dans un rapport sur les médias et le handicap.
Amirouche Laïdi (Club Averroès):
«Les marques qui ne prendront pas en compte la diversité de la population dans leur campagne seront distancées par celles qui le feront.»
«La publicité française exprime très peu la diversité aujourd'hui», reconnaît Jacques Lendrevie, co-auteur du Publicitoret du Mercator. «Mais c'est aussi un problème de société», soutient le professeur et consultant. Un avis partagé par Dominique Wolton, chercheur au CNRS et président du Conseil de l'éthique publicitaire. «L'univers professionnel de la publicité n'a pas de raison d'être plus habile, plus intelligent, plus rapide, que la société française sur ces questions. Ce que la société française a du mal à gérer, la publicité a du mal à le gérer. (...) Même si la publicité veut avancer, elle ne peut pas se détacher des préjugés, des représentations, des stéréotypes et des rumeurs, toutes choses qui, les sciences sociales l'ont démontré, «pèsent 100 000 tonnes» (...)», expliquait-il lors du colloque sur la représentation des minorités ethniques dans la publicité organisé en juin dernier par le BVP. De même, du point de vue des publicitaires, il ne faudrait pas attribuer à la publicité un rôle qu'elle n'a pas: elle remplit une mission de propagande assumée de marque ou de produit, pas une fonction pédagogique, sociale ou politique. «On reproche à la publicité de véhiculer des stéréotypes, mais elle est précisément l'art du stéréotype», insiste Joseph Besnaïnou, directeur général du BVP. Car en 15 ou 30 secondes, pas de temps à perdre: «Nous avons très peu de temps pour communiquer, donc nous recherchons le plus grand dénominateur commun, cela exclut de facto les minorités, renchérit Jacques Lendrevie. Si on met en scène une personne obèse pour un produit diététique, on se dira qu'elle ne convient pas à une personne qui veut juste perdre un peu de poids. De même si l'on montre une femme ou un homme noirs pour vanter ce même produit, cela va immédiatement véhiculer un contresens de communication, insiste-t-il. La population blanche se dira: c'est un produit pour eux, pas pour moi.»
3,1% delà production publicitaire 2005 mettait en scène des personnages de type extraeuropéen, selon le BVP.
«Ne vous fiez pas aux apparences, fiez-vous aux compétences»
Pour autant, l'argument peut être inversé. Pourquoi les personnes de type extra-européen pourraient-elles s'identifier à un Blanc, si majoritaire soit-il dans la population, et non le contraire? «Pour l'instant il existe un noyau de résistance consistant à dire que l'on s'identifie moins à une personne d'une autre race, explique Frédéric Girard, planneur stratégique de l'agence Callegari Berville Grey. Reste tout de même à le démontrer!» Car aucune étude n'existe aujourd'hui sur le sujet.
Ni aucune statistique fiable concernant la représentation réelle des minorités ethniques ou l'audience TV qu'elles représentent, sachant pourtant que cela constitue l'alpha et l'oméga de la publicité télévisée.
Jean-Christophe Després (Sopi):
«Avec un peu plus de diversité dans les panels consommateurs, nous aurions une vision plus claire de ce que devrait être la publicité.»
De même, aucune étude ne prouve que mettre en scène un héros de publicité appartenant à une minorité provoque la fuite des consommateurs. Certaines marques utilisent ainsi l'image et les codes homosexuels pour plaire à une cible élargie. «En France, l'affiche du bras de fer pour le parfum homme de Jean-Paul Gaultier ou l'imagerie homo- érotique deDolce àf Gabbana illustrent bien cette tendance, analyse Dominique Godefroy, directeur général de l'agence de communication Les Uns Les Autres. Aux Etats-Unis, une marque de vêtements pour yuppies, Albercombrie àf Fitch, a même communiqué exclusivement sur des couples gays pendant des années pour toucher une cible hétéro. Avec succès.» Certes, à ce petit jeu, toutes les minorités ne sont pas sur le même plan. Car même si la représentation d'un couple gay en train de s'embrasser peut encore choquer, selon la société Metrobus qui avait refusé d'afficher la campagne pour le salon Rainbow attitude en 2004, les gays béné ficient d'un présupposé de fort pouvoir d'achat et de faiseurs de tendances. Des préjugés qui font d'eux une cible plutôt intéressante. Il n'en va pas de même pour les personnes handicapées ou les minorités ethniques.
Et pourtant, c'est en jouant sur ces idées préconçues qu'Adia s'est forgée une nouvelle image. Depuis 2001, l'agence d'intérim signe (avec Leagas Delaunay, puis CLM BBDO), des campagnes polémiques montrant des personnages oubliés de la publicité ordinaire et de la société elle-même: femme handicapée, senior ou jeune black. «Nous avons décidé de prendre les gens en flagrant délit de préjugé et de leur apporter immédiatement une solution avec le slogan: «Ne vous fiez pas aux apparences, fiez-vous aux compétences«» , explique le directeur marketing d'Adia, Frédéric Girard. Une réussite: «Les associations de défense des minorités ont applaudi des deux mains et nous avons contribué à changer le regard des gens, se réjouit-il. Et la campagne a fait son effet: non seulement nous n'avons pas perdu des clients, mais nous en avons gagné.»
La perception de la représentation des minorités ethniques dans la publicité
Selon une enquête BVP/lpsos réalisée en mai 2006, 38% des Français interrogés estiment que les groupes ethniques ne sont pas suffisamment représentés dans la publicité, contre 9% qui les trouvent trop présents. Plus des deux tiers jugent tout de même que leur représentation est de plus en plus importante dans ce secteur et qu'elle est «ni valorisante, ni dévalorisante». 26% pensent même que, lorsque les groupes ethniques sont présents dans la publicité, ils sont mis en scène de façon «valorisante» contre 8 % de façon «dévalorisante». Dans ce dernier cas, les personnes interrogées reprochent à la publicité des représentations essentiellement liées au sport et faussement positives car réductrices, une image «stéréotypée» et «ghettoisée». Enfin, 42 % des Français jugent qu'il est important que la publicité fasse des efforts pour montrer davantage la diversité ethnique et 21% (surtout les moins de 35 ans) vont jusqu'à penser que cela est indispensable, quand 9% l'estiment inutile.
Ne pas se couper des consommateurs
Car les Français eux-mêmes sont aujourd'hui en demande de diversité. Dans un sondage BVP/lpsos (cf. encadré ci-dessous), les Français ont ainsi montré qu'ils étaient en attente d'une publicité pluri-ethnique. Et si la France éprouve toujours des difficultés à gérer sa diversité ethnique ou sociale, comme l'a révélé la crise des banlieues, les choses évoluent. La France a montré qu'elle était prête à accepter un présentateur noir, en prime time, à la télévision. Et les émissions ou fictions télévisées montrent aujourd'hui davantage de pluralité sans en pâtir. La publicité elle-même évolue. Dans le cas où le visuel fait apparaître un groupe, la diversité est de plus en plus représentée. Les situations abracadabrantesques qui avaient cours il y a encore quelques années, sont de plus en plus rares. «Pendant longtemps, les entreprises de BTP ont refusé de communiquer avec des personnages autres que blancs dans leur campagne de recrutement, alors qu'ils savaient bien qu'une partie de leur cible était d'origines ethniques différentes, se souvient Amirouche Laïdi. Heureusement, les choses ont changé depuis.» Pas forcément par préoccupation philanthropique, mais tout simplement par pur bon sens commercial. «Si les marques ne prennent pas en compte la diversité de la population, elles risquent de se couper de toute une frange de la population», prédit Jean-Christophe Després, P-dg de l'agence de communication spécialisée dans le marketing ethnique, Sopi. «Faire des héros de publicité avec des personnages différents peut se transformer en avantage pour les annonceurs, les actionnaires et l'économie marchande. Cela montre que la marque est ouverte sur son temps et même un peu en avance. Elle est gagnante sur le tableau de la morale et celui de l'image de marque», renché rit Frédéric Girard de Callegari Berville Grey.
L'exemple qui vient tout de suite à l'esprit, c'est Benet- ton. Dès 1982, la marque présente des visuels avec enfants et adultes de toutes origines ethniques.
A l'étranger
«- Pour les pays latins, le héros de publicité se pense comme un idéal. En Angleterre, c'est différent, on peut prendre quelqu'un de chauve, de gros, ce n'est pas grave coe l'on est dans l'empathie» explique Frédéric Girard, planeur stratégique de l'agence Callegari Berville Grey. Pourtant, même en Angleterre, les minorités ethniques représentent seulement 14 % des spot: télé (étude MediaLab en 2003) et sont souvent cantonnées aux seconds rôles. Aux Etats-Unis, certains annonceurs incluent des sortes de quotas de minorités et multiplient les visuels d'une même campagne pour cibler chaque communauté. Au Brésil, les cosmétiques et la mode privilégient les mannequins blancs. Des codes brisés parla marque de cosmétiques, Natura, qui met en scène des personnes, d'ethnies, d'âges et de profession diverses, castées dans la rue. «Au départ, cela a été mal perçu par les Brésiliens, car ils n'avaient pas envie de voir dans la publicité le visage qu'ils regardaient dans leur miroir, commente Eduardo Costa, directeur delà marque. Mais c'est désormais devenu un avantage et d'autres marques ont repris M le concept»
Un thème qu'elle déclinera des années durant sous le slogan «United Colors of Benetton» en osant montrer pauvres, malades atteints du sida, homosexuels, etc. En 1998, alors qu'Olivier Toscani choisit des enfants trisomiques pour sa campagne mondiale, il s'explique ainsi: «Aujourd'hui, pour attirer l'attention, la beauté se conforme presque exclusivement aux canons esthétiques mis en avant par la publicité et la télévision. C'est pourquoi il est nécessaire d'aller plus loin que la beauté superficielle. J'ai choisi ces enfants, ces familles, car Us sont beaux au sens le plus pur du mot.»
Rester cohérent
Montrer la beauté de la différence, le thème sera repris vingt ans plus tard par Dove avec sa campagne «Pour toutes les beautés» (Ogilvy) lancée dans vingt-cinq pays. Femmes fortes, plates, octogénaires ou noires... les affiches ont eu un agrément extrêmement fort de 86% sur les femmes de 18 à 34 ans. Une campagne qui a fait bondir la notoriété et l'image de marque de Dove grâce aux retombées presse et aux prix de la profes sion. ïLt les ventes des trois produits promus ont été boostées. Mais la campagne a d'autant plus créé l'adhésion, qu'elle a été perçue en adéquation avec les valeurs de l'entreprise. «Représenter la diversité fait partie de l'ADN de la marque, souligne ainsi Sylvie Laplace, brand manager de Dove. Cela était inscrit dans nos codes de communication depuis longtemps, de façon moins spectaculaire, avec les testimoniaux.» Même si elle a reçu le prix de la récupération publicitaire, en créant «le fonds d'estime de soi», la marque a montré qu'il s'agissait d'un véritable engagement. Une cohérence qui a fini par faire défaut à Benetton.
Frédéric Girard (Callegari Berville Grey):
«Il reste un noyau de réticence consistant à dire que Ton s'identifiera moins à une personne d'une autre race.»
A torce de provocations, la marque a brouille le message d'universalité véhiculé par les premières campagnes: «Benetton a récupéré le thème de la diversité sans jamais rien donner, ce qui a fini par desservir la marque», analyse ainsi Jacques Lendrevie.
Car «montrer la diversité n'est pas une fin en soi», souligne Karim Stambouli, président du Club des annonceurs et directeur du service corporate d'EDF. «Il ne doit pas y avoir de contradiction entre la publicité et les valeurs de l'entreprise. Représenter la diversité dans sa publicité ne doit pas être un alibi, cela doit juste être naturel», insiste-t-il. Une vision partagée par McDonald's. «Nous ne voulons pas nous poser en chantre politique et moral de la diversité, tient à préciser Grégoire Champetier, senior vice-président France et directeur marketing Europe du Sud. Dans le cas des personnes handicapées, par exemple, nous respectons la loi en tant qu'employeur et en leur facilitant l'accès à nos restaurants, mais nous ne nous sentons pas forcément légitimes pour communiquer sur le sujet. Concernant les minorités ethniques, ce qui serait fou serait de ne pas les représenter dans nos campagnes tellement elles font partie de notre clientèle et de notre personnel.»
Minorités ethniques et publicité: l'analyse quantitative et qualitative du BVP
Le BVP a analysé l'ensemble des publicités diffusées en 2005, soit 14 975 spots TV, 3 919 affiches et 77 853 visuels presse. Résultat: 3,1% de la production publicitaire examinée mettait en scène des personnages de type extra-européen, soit 3 035 visuels sur 96 747, avec des proportions très variables selon les supports. C'est la télévision qui fait figure de bon élève, avec 17,1% des spots montrant des minorités visibles contre 3% des affiches et 0,6 % des publicités passées dans la presse. Tous supports confondus, quand les populations de type extra-européen sont représentées, elles le sont 8 fois sur 10 aux côtés de personnages de type occidental et tiennent le premier rôle. Dans le relevé effectué, aucune connotation raciste n'a été observée. Pour autant, leur rôle est «neutre» dans seulement 20% des cas; le BVP note un phénomène dominant «d'ethnicisation»des rôles publicitaires avec la persistance de clichés ou l'utilisation de stars du sport ou de la musique.
Dans le secteur de la banque, souvent critiqué pour ne pas montrer de minorités ethniques aux postes de management, BNP-Paribas se fait fort de représenter régulièrement des personnages de type extra-européen, non seulement dans ses campagnes de recrutement, mais aussi dans ses campagnes produits. «Nous tentons de représenter la réalité de nos clients et de notre entreprise et cette réalité est multiraciale. Montrer cette diversité et l'ancrer dans l'entreprise, qui a signé la charte de la diversité, est donc une vraie préoccupation», explique ainsi Antoine Sire, directeur de la communication. «Nous sommes à un véritable tournant», lance Amirouche Laïdi. De rencontres en débats, annonceurs, publicitaires et associations apprennent à se connaître et mettent peu à peu la diversité des corps ou des ethnies en scène. Dans sa prochaine campagne, Ligne Roset montre ainsi l'esthétique d'un corps de femme ronde. Quand Champion, la GMF, Afflelou et bien d'autres encore ont choisi des personnages uniques noirs, asiatiques et beurs pour faire la promotion de leurs produits. Une représentation de la diversité enfin banalisée.