Détournement packaging, quels repères préparons-nous à nos enfants ?
Pour sortir du lot, se différencier, recruter de nouveaux consommateurs, les produits de grande consommation détournent de plus en plus les conditionnements. Cette mode qui bouscule les habitudes et les conventions ne risque-t-elle pas de générer des effets secondaires désastreux sur la perception des produits, notamment par les enfants.
Un gel douche proposé en canette de soda, un flacon de parfum qui adopte
une boîte de conserve pour étui, des soins corporels conditionnés dans des
bocaux en verre, on ne compte plus les produits de beauté qui se sont travestis
en produits alimentaires. Cette rupture des codes établis pour attirer
l'attention et émerger sur leur lieu de vente est le fruit d'une réflexion
marketing se voulant innovatrice. Cependant, le consommateur séduit par ces
nouveautés n'en est pas pour autant fidélisé. Ces effets de style ne provoquent
que des achats d'impulsion rarement renouvelés. Après l'attraction arrive très
vite la lassitude. Celle-ci est d'autant plus forte que ce nouveau type de
conditionnement n'offre pas le moindre bénéfice d'usage. J'ai été très surpris
de découvrir, lors d'une recherche de nouveaux produits en confiserie, des
bonbons du type "Smarties" conditionnés dans un blister de médicaments. Après
les cigarettes en chocolat, voici l'ecstasy au chocolat ! Cette nouveauté me
révolte car j'ai aussi des enfants. Je me demande quel monde nous leur
préparons en étant des marketeurs et des créatifs si peu conscients et
responsables. Nous ne sommes d'ailleurs pas loin de frôler la correctionnelle
avec le chewing-gum blanchissant Tonigum. En effet, on peut comprendre une
stratégie marketing qui utilise l'univers médical pour mieux communiquer la
blancheur des dents. Mais doit-on accepter une présentation si proche de celle
d'un médicament pour vendre une friandise dans un rayon aussi convoité par les
enfants ? Imaginons, un instant, un petit qui voit sa mère mâcher ce
chewing-gum. Quelle sera son attitude devant une plaquette de médicaments
oubliée sur la table ? Face à cette confusion dans la lisibilité des produits,
doit-on attendre un accident qui sera suivi d'une loi contraignante ?
L'industriel prendra-t-il enfin conscience de sa responsabilité, tant pour ce
qu'il met dans la boîte que pour la forme de la boîte elle-même ? En Allemagne,
la législation interdit de faire figurer des ingrédients en situation de
consommation sur les packagings de produits non comestibles. Il nous a été
impossible, par exemple, de représenter un abricot ouvert sur le shampooing
Ultra Doux Enfant. Les enfants allemands sont-ils moins intelligents que les
nôtres ou leurs parents plus responsables ? Si la vertu principale des cartes
blister thermoformées est bien de montrer le produit contenu, alors proposons
des bonbons aux formes originales et novatrices qui ne ressemblent pas à des
médicaments. Disposons les à l'intérieur de la carte de façon plus créative
qu'un alignement en rang d'oignons. Pourquoi se contenter d'un opercule argenté
pour refermer la carte ? Apportons à celui-ci de la couleur, des graphismes qui
renforcent le positionnement du produit. Enfin, ce type de conditionnement peut
permettre d'inventer des friandises nouvelles : Ying-Yang, les bonbons qui vous
réveillent le matin, qui vous relaxent le soir ; Fruitou, les bonbons 100 %
fruits... On peut aussi induire de nouveaux gestes de consommation : associer,
par exemple, deux textures, deux goûts différents, qui pourraient être un
bonbon aux fraises avec un coulis de framboise, etc. A l'heure où nous
entendons dire qu'il faut éduquer nos enfants aux goûts et aux saveurs,
commençons par ne pas perturber leur perception des produits avec des
conditionnements qui se veulent créatifs mais ne sont en fait que de véritables
bombes à retardement. Toute démarche design novatrice doit s'inscrire dans une
certaine éthique.