Des alliances d'affinités dans la lessive
L'agence Intuitions, la bien nommée, démontre dans une collaboration avec Unilever qu'aujourd'hui, dans la vie quotidienne, la pensée perd de ses certitudes discursives pour devenir narrative. En Hollande, les consommateurs de la nouvelle marque "Rituals" ne s'en plaignent pas.
«Chez Intuitions, nous traitons les sujets de marketing comme des thèmes de
société. Nous nous livrons à des démarches expérimentales. Nous nous méfions
des idées recyclées et de la peur du non familier et de l'inconnu. Nous gardons
toujours une distance critique. Vis-à-vis de mes clients, j'adopte une position
maïeutique, un peu à la façon de Socrate (rires) pour transformer les routines
en rituels. Nous nous attachons à la qualité de travail en termes de processus.
Nous ne sommes pas des fournisseurs d'idées toutes faites », déclare avec
enthousiasme Yolanda Bach, fondatrice d'Intuitions. Cette agence, créée en
février 2000, regroupe sept personnes et s'appuie sur un réseau de compétences
composé de chercheurs, d'artistes, de graphistes, d'écrivains, de représentants
des métiers d'art. Plutôt que de se cantonner à un nombre limité de styles et
d'approches, elle préfère travailler par affinités de talents en fonction du
sujet. « Dans le marketing, coexistent deux pôles opposés : le pôle
conservateur du produit de masse axé sur le quantitatif et le recyclage à
grands coups d'investissements promotionnels, et celui de la véritable
innovation, affirme Yolanda Bach. Nous ne sommes plus dans une consommation
d'accès à la prospérité mais dans une consommation plus sélective qui
désaffectionne les produits de routine. Nous passons du mass marketing au
marketing d'affinités où le commerce se réconcilie avec le sens et la culture.
»
Transversalité et mixité
C'est ainsi que cette
agence a travaillé avec Unilever pour un magasin pilote à Amsterdam. Ce n'est
évidemment pas le métier du lessivier de faire fabriquer en quantité réduite
des produits et de les distribuer. De l'entretien de la maison jusqu'au
parfumage du corps, plus de 180 produits ont été élaborés. C'est Dominique
Marcot de Dragon Rouge qui a assuré le packaging des gammes. L'idée qui a
présidé à la mise en oeuvre de Rituals consistait à aller, notamment, à
l'encontre des idées reçues des lessiviers sur les femmes et les travaux
domestiques. Car aujourd'hui, même des hommes y participent et ils n'ont pas
forcément envie de s'identifier à des mères Denis... « Nous avons simplement
voulu transformer ce qui peut être considéré comme des corvées en petits
rituels, poursuit Yolanda Bach. Avec Unilever, nous avons mis tout le monde au
même niveau du brief plutôt que de multiplier les actes de ventes internes. Je
les ai confrontés à des personnalités extérieures extravagantes pour le monde
l'entreprise. Et personne ne s'est trompé sur l'enrichissement interpersonnel
que cela constituait. » Ces rituels au pluriel se déclinent autour de
l'entretien de la maison, de son embellissement et de la purification,
relaxation et revitalisation personnelle. Chaque produit raconte une petite
histoire. L'enrobage olfactif s'inspire d'une fusion entre l'Orient et
l'Occident : huile d'arbre à thé, yuzu, bambou, ylang ylang... « Rituals a eu
une grande valeur didactique d'apprentissage pour nourrir, projeter, vitaliser
les possibilités d'une marque, constate Yolanda Bach. Les équipes d'Unilever,
d'abord intriguées, se sont révélées séduites. D'ailleurs, en Hollande nous
avons obtenu le prix du mix le plus innovant ainsi qu'un prix décerné par les
distributeurs. » L'époque du post-fordisme est bel et bien en marche. Le
marketing devra réviser certains de ses outils de rationalisation féroce. Les
jargons, les automatismes et les points de vue instaurés risquent de ne plus
avoir la faveur d'un consommateur au désir équivoque, fluide, complexe et
incertain. Bref, humain.