Dernière ligne droite avant le virage numérique
Le numérique dans les conditions du réel, c'est ce que proposaient en avant-première RTL et Renault lors du Mondial de l'automobile, en octobre. Les deux partenaires présentaient, en effet, le Renault Koleos RTL Numérique, un véhicule équipé d'un autoradio intégré répondant à la norme T-DMB retenue par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Les fans de Jean-Pierre Foucault pouvaient s'y installer pour écouter leur animateur préféré avec la qualité du son numérique, mais aussi découvrir sur l'autoradio l'inscription des données associées comme le rappel des titres du journal ou la météo. Une manière de faire un saut dans le temps et de se retrouver à la fin de l'année 2009 quand interviendra le premier déploiement de la radio numérique terrestre (RNT). Les premières expérimentations auront, en effet, lieu début 2009 dans huit parties de l'Hexagone couvrant les zones Paris, Lyon et Rennes ainsi que les axes Paris-Nantes, LyonValence et Tours-Poitiers, avant les premiers déploiements prévus à l'automne dans 19 agglomérations. En mars, le CSA révélera les noms des heureux élus qui se lanceront dans cette aventure. Rien moins que 358 opérateurs ont, en effet, répondu à l'appel d'offres pour l'attribution de fréquences de radio numérique. La moitié des dossiers vient de radios commerciales, l'autre partie des radios associatives. Dans cette liste pléthorique figurent à la fois des projets de lancement de nouvelles stations et des stations existantes. C'est le cas pour la plupart des intervenants historiques, à l'exception de Skyrock et Radio France. On y trouve, en effet, Lagardère avec Europe 1 Sport, déjà disponible en hertzien en Ile-de-France, Europe 1100% Info et une déclinaison de Virgin consacrée au rock français, RTL avec la radio musicale «jeune et urbaine» Radio 128 et RTL-L'Equipe, lancée en octobre 2007, NRJ avec des nouveaux formats déclinés de Chérie FM, de Nostalgie et de NRJ, NextRadio TV avec BFM Bourse et RMC Sport ou encore Radio Classique avec Easy Classique et Intégrale Classique.
Sébastien Lancrenon (Radio Classique):
«Il faut être optimiste, la commercialisation de récepteurs numériques ira plus vite qu'on ne le pense car il y aura une forte demande des auditeurs.»
Un tournant décisif
Le virage numérique de la radio intéresse même le poids lourd de la télévision TF1, qui pourrait s'y lancer avec trois projets. Le groupe a déjà posé des jalons commerciaux dans cet univers en se voyant confier, à compter du 1er janvier prochain, la régie exclusive des Indépendants, eux-mêmes candidats à des fréquences numériques régionales, multivilles et nationales. Autant d'initiatives qui confirment l'importance du virage numérique aux yeux de tous. «C'est le grand chantier sur lequel travaille l'univers de la radio depuis trois ans, confirme Charles-Emmanuel Bon, directeur du développement et directeur général de RTLnet. Il va nous permettre à la fois d'aller vers une couverture nationale et d'associer au son des données plurimédias interactives qui permettront d'enrichir les contenus.» Ces fameuses données associées (textes, vidéos...) sont, en effet, un peu la cerise sur le gâteau numérique. «C'est un nouveau challenge pour la radio qui, jusqu'à présent, était uniquement concentrée sur le son avec les problèmes de conception de flux que cela implique, note Arnaud Delattre, directeur de Greenwich Consulting, cabinet de conseil européen spécialisé en stratégie et management des télécoms, médias et Internet. Avec les données associées, ce média va devoir apporter un contenu supplémentaire, ce qui correspond à la fois à un changement de fond du métier et à un nouveau business model.» Cette ouverture joue, en effet, plus en faveur de grands groupes que de petites radios indépendantes qui s'en tiendront, faute de moyens, à la seule numérisation de leur son.
Charles-Emmanuel Bon (RTLnet):
«Le numérique va nous permettre d'aller vers une couverture nationale, mais aussi d'associer au son des données plurimédias interactives.»
Nouveaux horizons publicitaires
Pour les autres, les données associées ouvrent des horizons, notamment publicitaires. «Les possibilités de contacts avec les consommateurs vont être multipliées et élargir la capacité de résonance des annonceurs, estime Dominique Guérin, directrice générale adjointe de Mediaedgexia. Le marché pourra ainsi être à même de proposer des sortes d'écrins à des marques qui ne communiquaient pas en radio jusqu'à présent.» Et cette dernière d'imaginer des messages relayant des offres de services, des offres promotionnelles, etc.
Présenté au Mondial de l'automobile, le Renault Koleos RTL Numérique est équipé d'un autoradio numérique qui affiche des données telles que la météo ou les titres du dernier journal.
Mais avant d'en arriver là, le média devra lever des incertitudes, à commencer par celle du taux de renouvellement des équipements actuels. La RNT n'est pas forcément placée sous les mêmes auspices que la TNT qui a notamment bénéficié de la vogue des écrans plats. Compte tenu du fait que les Français possèdent en moyenne six récepteurs de toutes sortes par foyer, ce ne sont rien moins que 160 à 170 millions d'appareils numériques qui seraient à renouveler à l'extinction de la diffusion analogique. Une manne pour les industriels, mais qui est loin d'être assurée pour l'instant, d'autant qu'aucun calendrier de mise en vente des premiers récepteurs n'a été à ce jour communiqué par les fabricants.
«Il faut être optimiste, ce processus ira plus vite qu'on ne le pense car il y aura une forte demande des auditeurs», parie Sébastien Lancrenon, directeur général adjoint en charge de l'antenne et des programmes de Radio Classique. Ce dernier est convaincu que
«le numérique va surtout profiter aux radios de segment, aux radios de niche comme la nôtre. Nous ne nous adressons pas à un public jeune et volatil, mais aux 50 ans et plus qui ont une grande exigence de qualité. Nous avons un boulevard devant nous.»
Charles Benoit (NRJ):
«Le Web est incontournable et ce sont les auditeurs qui alimentent une partie du contenu.»
Webradios ou radios sur le Web?
L'entité du pôle musique de DI group (LVMH) avait déjà pris position dès l'an dernier avec le lancement de la première expérimentation de données associées grâce au RDS (Radio Data System) . «Nous apportons des informations sur une oeuvre, son interprète, les prochains concerts où elle sera jouée... La radio ne va pas «jouer à la TV«, mais être un producteur de contenu audiovisuel», note Sébastien Lancrenon. En attendant de savoir si ses dossiers seront acceptés par le CSA, Radio Classique peaufine sa présence sur Internet via ses neuf webradios considérées comme un»passage obligé«. Cet avis est surtout partagé dans l'univers des stations musicales. Ce que confirme le président de Radio France Jean-Paul Cluzel, estimant que «les webradios n'ont d'intérêt que dans le domaine musical» (voir interview ci-après). De même, Charles-Emmanuel Bon indique: «Je n'aime pas trop le concept de webradio. RTL L'Equipe, par exemple, est une radio sur le Web avec un programme précis, pas une webradio déclinaison ou sous-produit de RTL.» Qu'ils écoutent des webradios ou la radio sur le Web, 43% des internautes écoutent ce média en ligne, soit 13,5 millions d'individus et un grand potentiel d'auditeurs. L'étude Radio Live de Médiamétrie qui mesure le «trafic de webauditeurs en temps réel, minute par minute, player par player» s'appuiera sur une nouvelle version en décembre, car le Web est en évolution permanente. Les audinautes de Oui FM, par exemple, retrouvent désormais leur radio sur Facebook. «Oui FM a été la première radio à investir l'espace Web en 1996, la première sur iTunes avec les podcasts, la première sur MySpace et elle est aujourd'hui la première sur Facebook sous la forme d'une application, explique Cédric Dujour, président de SecondWeb, agence qui a réalisé cette application. Cela permet d'aller plus loin dans l'interactivité avec les auditeurs.» Pour la radio francilienne, peaufiner sa présence en ligne permet d'étendre son image de marque au niveau national. Pour le groupe NRJ, il s'agit de coller au plus près d'une cible jeune et infidèle. «Le Web est incontournable et ce sont les auditeurs qui alimentent une partie du contenu», insiste Charles Benoit, directeur de la communication de la marque. Le Net est aussi au coeur des dispositifs de communication originaux, comme celui monté il y a peu autour de Pink. «La station avait créé le buzz autour d'un possible emménagement à Paris de la chanteuse. Des reportages bidonnés, mettant en scène un voisinage hostile à l'installation de la star, ont été lancés sur les sites de partage de vidéos», illustre Charles Benoit. Un texte, rédigé sous forme de petite annonce, a été passé dans les journaux et sites d'annonces, dans la presse généraliste et sur le Net: «Jeune chanteuse cherche appartement». L'opération s'est finie par un showcase, en novembre, dans un appartement à Paris.
Arnaud Delattre (Greenwich Consulting):
«C'est un nouveau challenge pour la radio qui, jusqu'à présent, était uniquement concentrée sur le son avec les problèmes de conception de flux que cela implique.»
Déploiement progressif
Le succès de cette opération décalée a donné des idées à Chérie FM. NRJ, qui vient de lancer quatre formats de webradios, mène aussi une campagne publicitaire dédiée. «C'est la première fois que nous communiquons sur les webradios par l'intermédiaire d'artistes, note Charles Benoit. Cette campagne va vivre toute l'année en TV et sera relayée sur k Web.» Chahuté ces derniers mois, le groupe de JeanPaul Beaudecroux se concentre, en outre, sur ces opérations «destinées à remettre les auditeurs au coeur du système NRJ», dixit Charles Benoit. Une stratégie prioritaire par rapport à la radio numérique vers laquelle le groupe avance sûrement mais prudemment. «Des équipes dédiées (antenne et programmes) s'appuieront, en phase de lancement, sur les moyens de nos radios premium (NRJ, Nostalgie, Chérie FM), le budget additionnel sera donc limité, explique-t-on à la communication du groupe. Il pourra monter en puissance au fur et à mesure du déploiement de la couverture numérique et de l'accroissement du taux d'équipement en récepteurs qui mesurera le succès de la radio numérique». Pour NRJ comme pour les autres stations, tout dépendra, en somme, de l'envie des auditeurs.
Eclosion du premier bouquet numérique
«Les auditeurs fréquents sont devenus occasionnels et les occasionnels ont disparu. Devant cette tendance accélérée par le TGV Internet, personne n'a vraiment créé de modèles à part entière.» C'est en partant de ce constat qu'Emmanuel Jayr a imaginé, avec Roberto Ciurleo, de créer le premier bouquet de radios numériques disponible sur www.goomradio.com. Les deux anciens collaborateurs de NRJ se sont associés avec deux fonds d'investissements, l'Américain Partech International et l'Allemand Wellington Partners, déjà soutiens du lancement de la plateforme de vidéos en ligne DailyMotion et du site Digitick.com. Goom Radio réunit neuf radios thématiques et deux radios programmées par des artistes (Coldplay Radio et Candy Station, radio officielle de Madonna).
A terme, une vingtaine de stations seront disponibles. Le bouquet propose aussi une plateforme communautaire inédite permettant aux internautes de créer leurs propres radios en quelques clics. Mise en ligne le 16 octobre, Goom Radio a notamment lancé AlloCiné la Radio, dédiée à l'univers du cinéma. Elle vient aussi de signer un accord avec SFR pour réaliser son portail radio Attention Musique Fraîche et, avec le Crédit Mutuel pour Radio Popcorn, «la première radio dédiée aux moins de 12 ans, pensée pour préserver les pré-ados de basculer dans un univers radio pour adulte», précise Emmanuel Jayr. A suivre: deux formats news et sport à destination des moins de 25 ans ainsi que le démarrage de Goom Radio en Allemagne fin novembre et aux Etats-Unis avec des équipes sur place.
@ radio france/Christophe abramowitz
«Nous voulons continuer de compléter nos univers de vie»
Interview Pour le président de Radio France, Jean-Paul Cluzel, le numérique permettra avant tout d'optimiser la couverture nationale de la population.
MM: Le CSA a reçu 358 dossiers de demande de fréquence pour la radio numérique terrestre. Que pensez-vous d'une telle affluence et comment le groupe Radio France se situe-t-il dans ce contexte?
J.-P. Cluzel: Compte tenu des conditions définies par la loi et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), je vois mal comment beaucoup de ces demandes pourraient être acceptées. Il sera déjà difficile d'étendre l'offre actuelle en dehors de Paris car, dans la plupart des 19 villes de la première phase de lancement, il n'y aura que trois multiplex. Je m'interroge donc sur le réalisme de ces projets. En termes de contenus, je trouve notamment étrange le nombre de projets de chaînes de sport. Plus généralement, le premier enjeu du numérique n'est pas le développement de l'offre comme c'était le cas pour la TV à l'arrivée de la TNT. On dénombre déjà plus de 1000 stations en France en comptant les radios associatives, dont plus de 50 sur la seule ville de Paris. Le grand avantage de la radio numérique n'est donc pas l'augmentation du nombre de radios, mais la meilleure couverture nationale sur le territoire qui doit être notre objectif avec l'extinction de la diffusion en analogique de la télévision, et donc la pleine utilisation de la bande III, d'ici à la fin 2011. L'enjeu prioritaire de Radio France n'est donc pas l'augmentation du nombre de nos chaînes, mais une meilleure couverture de la population. Radio France compte déjà sept chaînes et trois d'entre elles doivent encore améliorer leur diffusion. France Info ne couvre que 70 % de la population, Le Mouv' 30 % et Fip 20%.
Le numérique permet le développement de contenus associés. Jusqu'à quel point la radio peut-elle aller sans «faire de la TV» et quelle valeur ajoutée votre groupe peut-il apporter dans ce domaine? Ces données, images, textes, graphiques, seront un complément de l'offre radio, une sélection de ce qui existe déjà sur nos sites web, en plus concis car il n'est pas question que la radio ait besoin «d'être vue». Ce nouvel éclairage est particulièrement intéressant pour des radios de contenus comme les nôtres. Et notre grand chantier est avant tout de continuer à renforcer la spécificité de nos programmes.
De quelle manière?
La réussite de Radio France est de parvenir à garder à la fois notre audience et une spécificité de service public. Cette «différence» n'est pas qu'un slogan publicitaire. Notre stratégie consiste à la renforcer par rapport aux radios privées. France Inter n'est pas RTL, le Mouv' n'est pas Skyrock et France Bleu n'est pas une radio locale associative. Ces stations privées sont formidables et nécessaires à la diversité médiatique, mais Radio France ne se situe pas sur leur terrain. Il faut adapter cette différence à l'univers de la convergence numérique. Nos sites viennent ainsi renforcer nos contenus. Ce sont des sites d'exigence mais aussi des sites complémentaires à la radio et non destinés à s'y substituer. Ils sont un moyen de conserver à notre média sa modernité. La RNT est un des aspects de cette modernité.
Sans aller jusqu'à proposer des webradios?
Les webradios n'ont vraiment d'intérêt que dans le domaine musical, et encore cela est-il contestable avec le téléchargement à la demande de la musique, qui est un immense succès et bouleverse le monde des radios musicales. Nous allons plutôt travailler dans d'autres directions: faciliter l'accès aux émissions déjà diffusées, la radio à la demande, etc.
La radio est-elle menacée par ces différentes évolutions?
La problématique est plus globale. Il s'agit de savoir comment les médias traditionnels, radio, TV et presse écrite payante peuvent s'intégrer et garder leur positionnement dans un paysage fondamentalement renouvelé par Internet, la généralisation de la mobilité et la demande de gratuité d'accès à la culture et à l'information. Pour comprendre pourquoi la radio ou le «20 heures» sont menacés, il suffit de voir le faible pourcentage déjeunes qui s'intéressent aux médias traditionnels de contenus. Y reviendront-ils une fois entrés dans la vie active? Notre problématique est celle de tous les médias traditionnels. Radio France, qui a su préserver sa spécificité, est sans doute mieux armée aussi pour relever ces défis.