Création: pour des affiches «coup-de-poing»
L'affichage a cette particularité d'être le seul média publicitaire sans contenu propre. Autre singularité, accentuée par le projet de décret d'application de la loi Grenelle 2 réglementant la publicité extérieure (Cf. Marketing Magazine n° 152), c'est aussi le plus attaqué par les associations anti-pub, au nom de la «pollution visuelle». Réunis au sein de l'Union de la Publicité Extérieure, les afficheurs répondent en rappelant le rôle de «média citoyen» de l'affichage, son action dans la vie locale (améliorations en termes d'entretien et de qualité des réseaux), les innovations... et la créativité. Sujet qui a entraîné moult débats lors du 38e Grand Prix de la Publicité Extérieure, organisé par l'UPE fin octobre.
Sans tomber dans la nostalgie, que reste-t-il aujourd'hui de la créativité dans le domaine de l'affichage? Après avoir visionné les 277 campagnes présélectionnées pour ce Grand Prix, les créatifs membres du jury étaient dubitatifs, voire désespérés par la médiocrité globale et la «laideur» de certaines campagnes. « Je pense que l'on devrait avoir un minimum de respect pour ceux qui regardent ces campagnes dans la rue », a déclaré Stéphane Xiberras (BETC Euro RSCG). Benoît Devarrieux (Les Ateliers Devarrieux) a eu une analyse directe de la situation: « L'affiche a perdu sa fonction d'interpellation. Certaines campagnes sont révélatrices du décalage entre la création et la réalité des «vraies gens». »
«L'affichage est un cri»
Le jury du GPCE s'est finalement déclaré satisfait du palmarès: le Grand Prix a été attribué à Monoprix «Non au Quotidien» de Havas City (« Rien de connu. Beau et simple à la fois », a résumé Claire Ravut, d'Australie), plus neuf prix et six mentions. Pour Mercedes Erra (Euro RSCG), présidente du Grand Prix: « Il fallait un annonceur assez fou et le talent d'une agence pour créer 1 000 packagings qui parlent à tout le monde. » Mais Monoprix devait-il déjà remporter le Grand Prix? Certains jurés ont estimé qu'il s'agissait d'une campagne globale, d'une MDD revisitée avec des packagings à la Andy Warhol. D'où la critique sur le manque de campagnes «spécifiques au média affichage». Autre regret: la carence en campagnes coup-depoing. Mercedes Erra a rappelé le caractère politique de l'affiche, émaillant son discours d'exemples historiques, du printemps arabe de 2012, aux campagnes britanniques contre le gouvernement Thatcher, en passant par la force tranquille de Mitterrand ou le portrait rouge et bleu de Barack Obama. L'affiche est aussi un cri, celui de Nike et son «Just do it» en
2006, d'Apple et son «Think different»... Pour Olivier Altmann (Publicis): « Il y a un vrai souci en France. Les annonceurs dépensent moins et on assiste à un combat sur le contenu entre les agences, les régies et les supports. On voit fleurir des opérations traitées directement entre les annonceurs et les afficheurs. Il manque un travail collectif. A Cannes, pourtant, nous avons vu de superbes campagnes d'affichage de différents pays. A part quelques exemples comme Leclerc ou Eram, peu d'annonceurs sont militants. On a perdu ce côté agitateur. » Benoît Devarrieux dénonce cette frilosité ambiante: « Une marque est égale à un message. Les marques ne veulent pas émettre trop de messages pour ne pas avoir des retours de bâton. » Alors, la faute à qui? Aux créatifs, aux annonceurs qui refusent les risques, aux afficheurs trop rigides? Contre-exemple: une campagne de Tropicana utilisait l'énergie contenue dans 3 000 oranges pour éclairer un panneau lumineux.
Les afficheurs ayant déclaré forfait, c'est l'agence DDB qui a géré directement cette opération coup-de-poing, rue des Abbesses à Paris en avril dernier. Pourtant, Isabelle Schlumberger (JCDecaux) a rétorqué pour les afficheurs: « Nous travaillons parfois huit mois en amont d'une campagne avec l'agence. Notre département Innovate a réalisé environ 800 briefs d'opérations originales en un an. »
Associer créatifs, afficheurs, annonceurs
Y aurait-il une coupure entre le média et la publicité? « Nos métiers se sont organisés en silo et nous devons mieux travailler ensemble », reconnaît Philippe Baudillon, président de Clear Channel. Les annonceurs, les afficheurs, les agences de pub et les agences média doivent se remettre autour de la table. Le gap entre les créatifs et les afficheurs est flagrant. Signe d'une prise de conscience: Clear Channel vient de «recruter» un directeur de la création, exDDB, Tashi Bharucha, pour faire le pont entre les agences et les afficheurs. Comme l'a souligné Mercedes Erra: « Ce ne sont ni les formats ni la course à l'innovation qui font la force des campagnes, mais les idées. » « Nous n'adaptons pas le contenu au contenant », a renchéri Olivier Altmann. Et demain, comment le digital va-t-il changer la donne? Pour Gérard Unger (Média Transports): « Les créatifs ne savent pas encore utiliser tous les apports du numérique. » Mais ces derniers ne semblent pas emballés par le fait que la rue devienne un complément du Web. Le coup de gueule de David Leclabart de McCann Paris est éloquent: « Je déteste la dictature de l'interactivité. J'aime dans la rue que l'on me «fiche» la paix! »