Consommateur-citoyen et marques globales
Le courant altermondialiste et la pensée antiglobalisation s'expriment fortement en Europe, particulièrement en France et en Allemagne. Ce phénomène touche-t-il les marques globales et peut-il aller jusqu'à une désaffection latente, voire un boycott ? Research International a investigué auprès de jeunes Français et Allemands.
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Research International a récemment conduit une série de réunions de groupe
auprès de jeunes de divers profils - y compris des profils pro-boycott - et a
réalisé une étude on line sur la cible 18-35 ans, en France et en Allemagne. Un
des résultats clés de cette étude est l'émergence, dans les deux pays, d'un
“consommateur-citoyen” préoccupé par le comportement éthique et social des
marques. Avec néanmoins sur cette question, une sensibilité plus vive en France
qu'en Allemagne : les jeunes Français se montrant plus réactifs aux politiques
sociales des grands groupes, en particulier lorsqu'elles se traduisent par des
licenciements et des délocalisations, alors qu'en Allemagne, le sentiment de
révolte semble plus contenu, les règles du jeu de la société de consommation
paraissant mieux acceptées.
Qu'est-ce qu'une marque globale ?
Dans les deux pays, les jeunes citent spontanément des marques internationales, connues, puissantes, à forte valeur d'image dans les secteurs qui font partie de leur quotidien. On trouve dans la liste : Coca-Cola, Nestlé, McDonald's, Pepsi, Schweppes, Starbucks, Nike, Marlboro, Ikea, L'Oréal, Dove, Garnier, etc. La nationalité d'origine de la marque n'est pas une dimension constitutive clé d'une marque globale : elle est forcément originaire d'un pays industrialisé, mais sa spécificité est justement d'être transfrontières et d'affirmer ses codes de façon homogène partout dans le monde. En fait, les jeunes ont totalement intégré la multinationalité de certains grands groupes. D'aucuns ne voient pas de grande différence entre le type de management d'un groupe d'origine européenne par rapport à celui d'un groupe américain. L'étude montre néanmoins que 70 % des jeunes Français préfèrent acheter des marques françaises : la protection de l'emploi local est là une motivation clé. Plus qu'en Allemagne, où “seulement” 44 % des personnes interrogées expriment une préférence pour les marques globales d'origine nationale.
L'origine américaine d'une marque est-elle un handicap aujourd'hui ?
Acheter moins de marques américaines est une façon de montrer son désaccord avec la politique américaine en Irak : c'est le cas de 20 % des jeunes Allemands et de 13 % des jeunes Français qui nous ont déclaré acheter moins de marques américaines depuis la guerre en Irak. Cependant, l'héritage américain ne constitue pas une raison suffisante de boycott. Il existe de “bonnes” marques américaines telles que Apple, Levi's, eBay ou Converse, qui savent mettre en avant des valeurs plus sensibles et communautaires et non une vision uniquement capitaliste de leur activité.
Les marques globales : on les aime et on les déteste parfois
Les jeunes, quoiqu'ils en disent, aiment les marques fortes : 80 % des jeunes Allemands et des jeunes Français nous ont dit avoir une “bonne opinion” des marques globales, 25 % exprimant même une “très bonne opinion”. La marque globale transmet des valeurs extrêmement (positives) porteuses (en termes) de valorisation et d'expression de soi et de façon complémentaire. Elle incarne à sa façon le village global, l'idée séduisante pour eux de partager des points communs avec les jeunes d'autres pays et fournit des repères tangibles. “Cela fait du bien, quand on est au bout du monde, de retrouver un McDo. On se sent un peu chez soi.” Pourtant, les jeunes leur reprochent d'être trop centrées sur le profit : 75 % des jeunes Français et 53 % des jeunes Allemands le pensent ! Ce qui les conduit à stigmatiser les dérives suivantes : le manque de respect des pays émergents, en particulier avec le travail des enfants ; les méfaits au niveau social de certaines décisions : délocalisations, licenciements, etc. ; le non-respect de l'environnement ; les scandales financiers et sanitaires ; un marketing manipulatoire qui pousse trop à la consommation ; des prix abusifs trop souvent pratiqués, qui vont de pair avec une standardisation des offres.
Quid du boycott pour sanctionner une marque ?
Quand la marque globale déçoit, trahit leur confiance, un certain nombre de jeunes envisagent le boycott (31 % des jeunes Français ont déjà boycotté une marque, contre 19 % en Allemagne). Mais, que l'on boycotte ou pas, on doute de la véritable efficacité de ce type d'action. En effet, pour être efficace, le boycott suppose une action coordonnée (boycotter seul dans son coin peut sembler inutile). De plus, le côté tentaculaire des groupes rend souvent l'exercice difficile (faut-il boycotter l'ensemble des marques du groupe ou seule la marque qui a mal agi ?). Enfin, le boycott peut même s'avérer contre-productif, car sanctionner une marque peut mener à d'autres licenciements. Même si le boycott n'est pas un réflexe installé chez les jeunes, il est clair que les scandales ou les mauvais agissements des marques globales sapent l'image, à plus ou moins long terme, avec le risque pour la marque pointée du doigt de devenir moins valorisante socialement et de se charger en émotions négatives. Et ce d'autant plus que les jeunes mentionnent des alternatives aux marques globales : - les marques “tribales” ou “communautaires” pour acheter de la différenciation, - le commerce équitable et les produits bio pour consommer éthique, - les marques distributeurs en tant que moyen d'acheter intelligent !
Qu'attendent les jeunes des marques globales ?
Nés dans une société de consommation mature, les moins de 35 ans ont acquis une réelle expertise consumériste, aiguillonnés en cela par un pouvoir d'achat limité. Ils attendent des marques globales qu'elles montrent l'exemple ! Qu'elles soient des citoyennes du monde, moins obsédées par le profit, attentives au bien être et au développement de la société. Qu'elles utilisent positivement leur puissance économique. Les domaines d'action possibles pour les marques globales, cités par les personnes interrogées, vont du secteur éducatif à la santé en passant par l'environnement et intègrent aussi une plus grande transparence sur les modes de production et sur la politique sociale de l'entreprise. Etre une marque globale forte sera une tâche ardue dans les années à venir ! Il va falloir à la fois développer des produits premium répondant aux attentes des consommateurs, mais aussi s'inscrire dans une vision plus humaine et généreuse du capitalisme pour satisfaire les exigences de ce nouveau consommateur : le “consommateur-citoyen”.
Tous les jeunes n'ont pas la même perception des marques globales
Les “Passionnés” : aiment les marques et assument ce choix avec volupté. Ils ont peu de revendications,
sauf si la marque
les déçoit en termes de qualité. Les “Individualistes pragmatiques” :
ont une relation désaffectivée
avec les marques globales : qu'importe ce que font
les marques, ce qui compte, c'est que
le produit leur convienne. Les “Ethiques” : disent non à la marque pour la marque, exigent d'elle qu'elle rende des comptes et
se montre digne
de confiance. Ils
se méfient des discours marketing et veulent plus d'authenticité. Les “Activistes” : sont proches du discours altermondialiste, prêts à agir de manière organisée pour sanctionner une marque ou faire du lobbying
le cas échéant.
Pour eux, l'entreprise doit assumer son rôle d'acteur économique clé dans la société et donner l'exemple. Les “Critiques résignés” :
ont des aspirations similaires à celles des Activistes,
mais en restent
au stade des velléités.
Ils aimeraient sanctionner certaines marques, mais la tâche
leur paraît
trop ardue.