Comment faire vivre deux marques d'assurance au sein d'un même groupe ?
Le rachat en 1997 de l'UAP par Axa, suivi quelques mois plus tard de la
disparition de la marque qui signait sa communication d'un fringant “Numéro un
oblige” a frappé les mémoires. Et premier lieu celle de salariés d'un secteur
qui a vécu la fin du XXe siècle comme un séisme. Après les privatisations de
l'UAP (1995), des AGF (1996), du GAN (1998), est venue l'heure des fusions.
Outre l'alliance Axa-UAP, l'année 1997 aura également été marquée par la fusion
des AGF et de l'allemand Allianz. Quant à Gan-Assurances, après que l'Etat
vendeur a écarté l'offre de Swiss Life, elle entrait dans le giron de Groupama.
Tournant le dos à la logique de rationalisation qui a conduit Axa à sacrifier
UAP - dont le taux de notoriété, sept ans après sa disparition, est toujours
supérieur à 10 % -, Groupama prend la décision de conserver les deux marques,
sans pour autant adosser Gan à la marque ombrelle. « L'objectif était d'éviter
les collisions entre les deux enseignes, car elles portent des valeurs
différentes et donc des services distincts », note Marie-Chantal Baillaud,
responsable de la communication des marques Groupama et Gan. Si les valeurs
sont distinctes, le métier, lui, est identique. A la manière d'un L'Oréal, le
groupe Groupama va mettre en œuvre une stratégie, dont l'objectif est
d'affirmer la différence de chaque marque face au marché, de renforcer la
compétitivité et l'attractivité de chacune d'entre elles pour, au final, mieux
occuper le terrain. Dès 1999, Gan, ex-institution du marché devenue marque
commerciale, lance un vaste chantier destiné à élaborer un projet de marque.
Elle devient ainsi la première marque de cet univers à entreprendre
méthodiquement ce travail d'introspection. Elle sera vite rejointe dans cette
quête d'identité par la marque Groupama. Cette recherche va mettre en évidence
les spécificités de chacune d'entre elles, leurs points communs, leurs
différences.
Une vision partagée
L'une et l'autre
généralistes et grand public, les deux marques ont des histoires distinctes.
Née de la vague de privatisations qui a suivi la deuxième guerre mondiale, Gan
est depuis l'origine liée au monde des PME-PMI, des artisans, des commerçants
et des professions libérales. Société centralisée, son réseau s'est développé
dans les villes moyennes et en périphérie. Issu du mouvement mutualiste,
Groupama, génétiquement lié au monde agricole, s'est développé grâce à un fort
maillage local dans les zones rurales avant de partir à la conquête de nouveaux
horizons. « Les réseaux, les clientèles, les valeurs sont complémentaires.
Ainsi, en termes d'image, Gan est perçue comme plus moderne, innovante,
originale, dynamique, tandis que Groupama est plus authentique, proche et digne
de confiance. En revanche, nous avons en commun une même vision de l'assurance.
Une vision positive qui dépasse la gestion du sinistre, le remboursement du
risque et qui s'inscrit davantage dans la projection que dans la protection »,
poursuit Marie-Chantal Baillaud. Un point commun sur lequel le groupe va
construire son offre produits. « Quelle que soit la marque, la base technique
demeure identique et deux projets de marque ne donnent pas lieu à des marketing
différents. En revanche, l'élaboration des projets de marque nous a permis de
travailler sur des produits emblématiques des deux enseignes, des produits qui
représentent bien les intérêts différents des assurés. Les structures de
l'offre ont été élaborées en fonction des projets de marque, pour répondre à
des univers d'attentes et de besoins spécifiques », poursuit la responsable de
communication des deux marques. D'où l'importance de définir pour chacune des
enseignes une mission, un territoire d'expression. « Gan est une marque centrée
sur l'individu et son projet. Nous assurons un créateur d'entreprise sur cinq.
C'est la marque de l'énergie, de l'audace, du rebond. Elle s'est donné comme
mission de permettre à chacun de poursuivre ses projets, ses ambitions », note
Sophie Dancygier, responsable communication de la marque Gan. En partant de ces
traits de caractère, Gan, alors conseillée par l'ex-agence Leagas Delaney Paris
Centre, repart en 2000 en conquête de clients, avec la signature “C'est avec
l'esprit libre qu'on avance”. Près de cinq ans plus tard, la signature n'a pas
changé. En revanche, le contexte concurrentiel a évolué. Tous les acteurs du
marché expriment peu ou prou cette même vision de l'assurance. En 2004, après
avoir changé d'agence et retenu Scher-Lafarge, Gan, huitième investisseur du
marché, est revenue en communication, avec une campagne en totale rupture avec
les codes habituels de l'assurance. Le concept “Esprit Libre” est mis en scène
à travers un film d'animation et d'illustration de 30 secondes, signé Florence
Deygas et Olivier Kuntzel, qui ont, entre autres, réalisé le générique du film
de Spielberg “Catch me if you can”. « La création traduit totalement cette idée
d'enchaînement, de la continuité de la vie qui n'est pas une idée linéaire. En
donnant une vision positive de la vie, elle soutient davantage notre réflexion
en matière d'assurances qu'un produit en particulier », analyse Sophie
Dancygier. Qui avoue qu'avant la diffusion de la campagne, la notoriété de la
marque stagnait autour de 18 à 20 %. « Il fallait redonner de la place à Gan,
faire revivre cet esprit entrepreneurial. » Un esprit que certains expriment
dans la vie économique tandis que d'autres le réservent à la sphère privée
mais qui, pour les uns comme pour les autres, s'accompagne de risques compris
et acceptés.
Le casse-tête de la bancassurance
Historiquement plus terrienne, installée dans des relations de durée, de
proximité et de responsabilité réciproque, Groupama a donné en 2003 une
nouvelle direction à sa communication. Imaginée par Young & Rubicam, la
campagne installe là encore une idée positive de l'assurance tout en jouant sur
un autre registre, celui de la lucidité. « La vie est un potentiel, un capital
précieux et un objet d'avenir. Chacun est acteur du développement de ce
potentiel. C'est ce que nous avons voulu traduire à travers la signature
“Donnons à la vie toutes ses chances” et les formats créatifs des films qui
sont très proches de la vraie vie », indique Marie-Chantal Baillaud. Plus
classique dans sa facture, la campagne, que nous retrouverons en 2005, visait
plus à instaurer le nouveau regard de la marque sur l'assurance qu'à asseoir sa
notoriété, dont le taux oscille entre 25 et 30 %. Pour se lancer sur un marché
bancaire déjà très encombré, Groupama n'a pas hésité à sortir des sentiers
battus. Diffusé en octobre dernier, le spot installant son offre bancaire
décoiffe. « Si la marque Groupama est connue du public, en revanche celui-ci ne
sait pas encore que nous sommes aussi une banque. Il fallait pour émerger
frapper fort avec une communication décalée par rapport à l'univers de la
banque », indique Marie-Anne Boursier, responsable de la communication de la
marque Groupama. Conçue par Young & Rubicam, la campagne doit adopter un ton
plus orthodoxe dès lors que sera abordée l'offre de produits et services
bancaires. Produits et services qui, après une phase de test initiée en 2001,
sont aujourd'hui proposés par l'ensemble du réseau Groupama, qui arbore les
couleurs de Groupama Banque. A terme, cette offre sera vendue dans les 1 100
boutiques de l'enseigne Gan. Comme il n'est pas question de créer Gan Banque,
ce lancement soulève une épineuse question. Celle du nom de l'offre bancaire de
l'enseigne. Un nouveau chantier pour les services de communication.
13 milliards d'euros C'est le chiffre d'affaires que devrait dégager le groupe Groupama en 2004, selon les estimations de la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurances).