Client salarié, un mythe en mal de réalité
Les entreprises aiment à le répéter. Elles doivent aujourd'hui séduire trois cibles : les consommateurs, les actionnaires et leurs salariés. Or les intérêts des uns et des autres sont souvent antagonistes. Si les deux premières sont choyées, la dernière, prise entre l'enclume et le marteau, exprime de plus en plus un malaise face aux évolutions de la société. Faut-il en déduire que le client-salarié n'est toujours pas une réalité ?
La vie professionnelle ne sera plus linéaire. Chacun vivra des ruptures
successives, des transformations, certaines choisies, d'autre subies. Les
statuts standardisés du travail n'ont pas d'avenir. Et les instances
politiques, les entreprises, l'éducation, les administrations se sont
unanimement montrées incapables d'expliquer et de faciliter cette transition.
Les transformations de la société et de l'entreprise n'ont pas fait l'objet
d'un accompagnement culturel et psychologique. L'injonction, l'appel au
conformisme, la béatitude devant l'utopie du tout communication en ont fait
office. Mais, retour du refoulé, la notion de harcèlement moral cristallise un
immense malaise face aux évolutions du monde du travail. Le livre de la
psychiatre Marie-France Hirigoyen, Le Harcèlement moral*, est devenu un
best-seller. Les institutions s'inquiètent. En novembre dernier, au ministère
de l'Emploi et de la Solidarité, un colloque organisé par le Centre ESTA (voir
encadré), "Harcèlement et citoyenneté au travail", réunissait des psychologues,
des psychosociologues, des psychiatres, des psychanalystes, des juristes, des
médecins et inspecteurs du travail, des syndicalistes, des représentants de
DRH. Selon le psychanalyste Daniel Sibony, nous sommes confrontés à un nouveau
malaise dans la civilisation qui concerne le lien social et son versant
pervers. La mondialisation des marchés et la généralisation des nouvelles
technologies favorisent l'économique et relèguent l'humain au second rang. Le
sociologue Jean-Pierre Le Goff et Shere Hite, de passage à Paris, amènent
quelques pistes de réflexion pour prévenir un malaise amené à largement
perturber le monde du travail. Ou faut-il s'inspirer de la suggestion du
psychiatre Christophe Desjours** : « Peut-être conviendrait-il enfin de
reprendre la question éthique et philosophique de ce que serait le courage
débarrassé de la virilité en partant de l'analyse du courage féminin et de
l'analyse des formes spécifiques de construction du courage chez les femmes ».
Toujours est-il que les entreprises devront se prémunir contre un problème
appelé à prendre une importance croissante. * Le Harcèlement moral, aux
éditions Syros. ** Souffrance en France, de Christophe Desjours, aux éditions
du Seuil.