Ces marques qui contournent la pub
Pour les marques, toujours à l'affût de nouvelles façon de se présenter au public, la publicité est, semble-t-il, incontournable. Et pourtant, certaines d'entre elles arrivent à grignoter des parts de marché, voire à distancer leurs pairs avec pu, voire pas, de pub.
Je m'abonneQuel est le point commun entre le groupe de mode Inditex, connu pour sa marque Zara, le célèbre sorcier Harry Potter, l'enseigne de prêt-à-porter Du Pareil Au Même et la marque de poupée Corolle? A priori aucun. Et pourtant... Toutes sont des marques à succès qui n'ont pas (ou très peu) fait appel à la publicité, considérée pourtant «comme le symbole du marketing» pour reprendre les termes de Georges Lewi, président du BEC Institute. Ce symbole, qui a pour vocation de simplifier ou d'amplifier un message, peut-il donc être ainsi contourné ou ignoré? Difficilement, répondent en choeur les experts en marketing. A commencer par le célèbre journaliste américain Steuart Britt qui écrivait récemment dans le New York Herald Tribune: «Faire du commerce sans publicité, c'est comme faire de l'oeil à une femme dans l'obscurité. Vous savez ce que vous faites, mais personne d'autre ne le sait...» Pour autant, certaines marques continuent de gagner des parts de marché sans utiliser de publicité. Preuve s'il en était, la part du hors-médias dans les investissements publicitaires est passée de 50 % à 65 % ces quinze dernières années et la publicité média ne représente guère plus du quart des investissements de communication des marques. «Une marque peut parfaitement émerger sans faire de publicité, confirme Catherine Emprin, directrice de développement de BETC Euro RSCG. Elle peut même continuer à gagner des parts de marché. Mais certainement pas sans communication.» Et de citer spontanément la marque de mode Zara qui est, cette année, devenue le numéro un européen devant le Suédois H & M sans jamais faire de publicité. Excepté deux fois par an pour ses soldes en magasin. «Ne pas faire de publicité suppose d'offrir un service exceptionnel, tel que le prix pour Zara», illustre-t-elle. Pour cette dernière, il est certes possible de se passer de publicité, «mais souvent que pour un temps déterminé et à certaines conditions». Un avis partagé par Georges Lewi: «Ceux qui la contournent ont un budget limité, une motivation de discrétion ou une communication forte, qui passe, par exemple, par des vitrines.» Zara fait sans aucun doute partie de cette dernière catégorie. Ses points de vente ont toujours été, en effet, de véritables vitrines de la marque. «L'enseigne de vêtements a décidé que la scénarisation de ses boutiques ferait partie de son idéologie. Dans les magasins, le turn-over des produits est si rapide que les consommatrices savent qu 'elles doivent venir souvent, même sans publicité», ajoute-t-il.
Toujours dans le secteur du textile mais cette fois pour enfants, Du Pareil au Même (DPAM) a également choisi de ne pas faire de publicité. Un choix stratégique et historique de la marque. «Nous nous basons sur un positionnement prix extrêmement positif pour le consommateur. Nous nous sommes donnés comme mission d'offrir de la créativité et de ta qualité a un prix raisonnable. A partir de là, il était difficile défaire de la publicité classique», concède Georges Splitzer, président du directoire, qui a pourtant commencé sa carrière dans la... publicité! Malgré cela, «il y a d'autres manières de communiquer. Notamment par le magasin», note ce dernier. A l'instar de Zara, les vitrines de DPAM permettent d'exprimer la spécificité et les valeurs de la marque. Elles sont clairement devenues un média dédié. «Nous mettons les produits en scène», poursuit Georges Splitzer, qui n'écarte pas, pour autant, d'autres moyens de communication, comme le marketing direct (500 000 détentrices de la carte Club des Mamans), ou les relations publiques. Un choix payant qui a permis à l'enseigne de voir son chiffre d'affaires progresser de 8,4% au 1er semestre 2006 (vs 1er semestre 2005).
Catherine Emprin (BETC Euro RSCG):
«Une marque peut parfaitement émerger sans faire de publicité. Mais certainement pas sans communication.»
Aujourd'hui, le hors-médias représente 65% des investissements publicitaires.
Pas de lancement sans communication...
Une règle d'or est donc à respecter. Quand la publicité est contournée, la communication doit, en revanche, être privilégiée. En passant le plus souvent par les relations publiques. Telle est, en tout cas, la théorie du spécialiste américain du marketing Al Ries qui affirme, dans son ouvrage La pub est morte. Vive les RPl, que «la publicité ne construit pas la marque alors que les relations publiques, si». En outre, que l'on utilise pas ou peu de publicité, la communication est, elle, indispensable. «Lorsque nous avons implanté notre nouveau concept DPAM, boulevard de Courcelles à Paris, nous avons invité des journalistes, des banquiers, des financiers. L'opération a été un succès et nous envisageons de renouveler ce genre de manifestation en province», illustre Georges Spitzer.
Catherine Emprin en est persuadée: «Les marques ont des cycles de vie. A certains moments, la publicité ne sera pas indispensable. A d'autres, il faudra l'utiliser.» Et ce quel que soit le secteur. «Vous connaissez un livre qui soit devenu un best-seller grâce à la publicité, s'interroge Al Ries. Les RP, en revanche, ont fait des succès en librairie.» Pas besoin de potion magique pour observer qu'aucun livre n'a fait couler autant d'encre qu'Harry Potter. Les ventes ne cessent, en effet, de croître, sans pour autant qu'il y ait eu la moindre publicité au départ. Tout cela grâce au bouche-à-oreille et à une communication maîtrisée par les relations publiques. D'autant que «pour la première fois, le consommateur est le patron, chose fascinante et effrayante, car tout ce que nous faisions ou tout ce que nous savions ne marche plus», affirmait, en 2005, Kevin Roberts, alors Dg de Saatchi & Saatchi. Un postulat qui marche dans le secteur des jouets. «Il est difficile aujourd'hui de créer et de faire adopter par le marché une nouvelle marque sans relais d'opinion favorables. Si les médias sont avec vous, tous les espoirs sont permis», ajoute Al Ries.
Vilac, qui crée et distribue depuis plus de 80 ans des jouets en bois, en est une illustration. Le fabricant jurassien n'a jamais fait de publicité et possède tout de même 2 500 points de vente dans le monde, dont 1 500 dans l'Hexagone. «Nous privilégions les shoppings, les échanges marchandises et les relations presse, note Emmanuel Gay, directeur de l'administration et de la communication. > Sans oublier nos revendeurs, qui sont nos meilleurs ambassadeurs.» Du coup, les clients conseillés par les vendeurs (eux-mêmes chouchoutés par le spécialiste du jouet), s intéressent aux produits et permettent au groupe d'afficher, en 2006, 6 millions d'euros de chiffre d'affaires, ainsi qu'un taux de notoriété en hausse. Idem pour les célèbres poupées Corolle, créées en 1979 à Langeais près de Tour, et distribuées aujourd'hui dans près de 30 pays. Sans aucune publicité, la marque de poupées est présente à l'esprit de toutes les mamans. «i\ous sommes une marque ae transmission, de bouche-à-oreille», souligne Mathilde Gailly, responsable marketing de la marque. Toujours sans publicité, la marque s'est relancée avec 23 % de parts de marché (contre 19 % en 2005) «sur un marché de la poupée en chute». Face à un marché ultra-concurrentiel et à la progression des jeux interactifs, Corolle s'est concentrée sur la communication en point de vente, en délivrant des préconisations merchandising ou en offrant du mobilier spécifique. «Nous mettons énormément l'accent sur la relation avec nos consommatrices», ajoute Mathilde Gailly. Pour ce faire, la marque a créé un site internet, une newsletter (déjà 3000 abonnées), des jeux... Et a même organisé des goûters pour apprendre... les bonnes manières, sous la houlette d'une dame diplômée de la Protocol School de Washington! «Grâce à des mises en situation, les enfants apprenaient à réagir correctement face à des situations courantes. C'est une manière de créer du lien avec nos consommatrices.» Car voilà, pour cette dernière, «faire de la publicité nous obligerait à nous concentrer sur un seul produit. Or, nous en avons plus de 150! La publicité est donc contournable... Du moins pour le moment!»
La pub sanctifie le produit
«Certaines marques arrivent à se passer de pub pendant un temps. Mais cette dernière finit toujours par les rattraper à un moment donné», glisse Catherine Emprin qui poursuit: «Quand la concurrence regagne des parts de marché, la publicité réapparaît d'une façon ou d'une autre.» C'est le cas de l'eau Cristaline qui a tant fait parler d'elle en début d'année, elle qui est habituellement si discrète. Et pour cause, cette bouteille pas chère s'est imposée dans les foyers sans publicité. «Nous n'avons jamais fait de publicité en gros volume. Sauf celle avec Guy Roux», explique Pierre Papillaud, président de Roxane et des eaux Cristaline, avant d'avertir: «Mais attention! Lorsque nous avons décidé défaire de la publicité, le produit était déjà bien installé en rayon. La publicité n'a fait que sanctifier notre produit.» Résultat, Cristaline s'est imposée sans paillettes et est devenue l'eau en bouteille la plus consommée en France, devant Evian, Vittel, Contrex et Volvic, qui sont pourtant des marques vedettes de la publicité. A l'instar de l'enseigne Du Pareil Au Même, Cristaline a choisi un positionnement prix défiant toute concurrence. Du coup, la marque continue, depuis 1992, à avoir des dépenses publicitaires largement inférieures aux pratiques du secteur. «Nous n'avons investi qu'un million d'euros en publicité. Soit sept fois moins que d'autres marques», se targue Pierre Papillaud, qui continue de lancer de nouveaux produits sur un marché ultra-concurrentiel où il est nécessaire d'innover. «Là encore, nous ne ferons pas appel à la publicité pour communiquer sur notre nouvelle eau pétillante. Nous avons simplement décidé de transmettre des informations via l'étiquette collée sur la bouteille. Donc vers nos clients», indique le président de la société des eaux Cristaline. En revanche, il a décidé d'utiliser massivement la publicité pour répondre en début d'année aux campagnes pour l'eau du robinet. Car pour ce dernier, «si contourner la publicité est difficile, l'utiliser intelligemment est nécessaire. Notamment pour bien installer son produit». Un avis partagé par Thierry Wellhof, P-dg de l'agence de communication Wellcom. «Pour le lancement d'un produit, les relations publiques sont parfois plus pertinentes que la publicité qui est plutôt un accélérateur», note ce dernier qui a lancé en RP le site du monde.fr sans l'aide d'aucune campagne publicitaire. Et les exemples ne manquent pas. Il suffit de se pencher sur la PlayStation 3 de Sony. Aucune publicité à la télé, aucune affiche, et pourtant... Demandez aux fans de jeux vidéo quand sortira la prochaine PS3. Ils savent déjà que le groupe japonais lancera sa nouvelle console le 23 mars en Europe, en Afrique, en Océanie et au Moyen-Orient. Comment l'ont-ils appris? Par un communiqué de Sony et une multitude d'articles parus dans la presse.
Mathilde Gailly (Corolle):
«Faire de la publicité nous obligerait à nous concentrer sur un seul produit. Or, nous concentrer sur un seul produit. Or, nous en avons plus de 150. La publicité est donc contournable... Du moins pour le moment!»
Thierry Wellhof (Wellcom):
«Pour le lancement d'un produit, les relations publiques sont parfois plus pertinenes que la publicité, qui est, elle, un accelerateur.»
Cycle de vie
«La création de marque n'est donc pas l'affaire de la publicité. C'est le rôle et la fonction des relations publiques. La publicité, elle, s'occupe de l'entretien de la marque», confirme Al Ries. Avant d'expliquer: «Une marque naît avec la capacité de créer du discours. C'est son essence même. Mais que se produit-il quand elle grandit? Elle perd son potentiel RP.» En outre, les médias ont adoré Starbucks, le viagra ou la PlayStation lors de leurs lancements, mais leur consacrent-ils encore des articles, alors que ces produits sont aujourd'hui bien installés? «C'est alors le moment de faire passer la stratégie de communication de la marque des RP à la publicité» écrit Al Ries. Tout n'est donc qu'une histoire de cycle de vie. «Après avoir été lancée par les relations publiques, la marque a besoin de publicité pour conserver sa position», justifie Al Ries. Avant d'ajouter: «A un moment ou un autre de son histoire, toute entreprise sera confrontée au problème.» Ces marques, connues par le bouche-à-oreille parce qu'elles offraient un prix imbattable, un modèle révolutionnaire ou un service hors normes, auront-elles besoin de monter tôt ou tard sur la scène du marketing avec spots et affiches? Pas si sûr.
Les relations publiques créent la marque, la publicité l'entretient