CHANEL Tokyo
Autre mythe, autre mise en scène tout aussi impressionnante. Et Dieu sait que
Tokyo est pourtant sujette à nombre d'ouvertures de mégatemples de luxe depuis
cinq ans.
Coco ne faisait pas les choses à moitié. Ses successeurs à la tête de Chanel
non plus. Pour prendre soin de ses clientes japonaises si précieuses, la marque
de prestige n'a pas hésité à débourser 240 millions d'euros dans l'achat d'un
terrain et la construction d'un immeuble de 10 étages sur Chuo Dori, l'avenue
la plus huppée de la capitale mondiale du luxe qu'est Tokyo.
Alors que certains concurrents misent avant tout sur l'aspect extérieur de leur
“flagship store”, Chanel a mis partiellement de côté l'œuvre architecturale.
De l'extérieur ce building porte-drapeau est beau et technologique. Immeuble ?
Il faudrait plutôt parler de monolithe façon “2001 Odyssée de l'Espèce Luxe” !
D'un noir de geai, le pavé de verre s'anime de nuit lorsque sa façade plonge
dans le XXIe siècle pour devenir un écran de télévision géant sur lequel des
artistes numériques pourront projeter des œuvres originales. Mais plus qu'à
l'extérieur, c'est à l'intérieur que Chanel a su faire preuve d'un raffinement
extrême. Les clientes viendront quoi qu'il arrive : l'important est de les
mettre en condition pour consommer.
Tout a été fait pour les VIC, Very Important Customers. Outre un aménagement
intérieur sur mesure (« Rien ne vient de chez Ikea », plaisante un visiteur),
ce sont dans les détails que Chanel se démarque. Refusant d'être comparée aux
mégastores du luxe qui fleurissent dans la capitale, la boutique de 1 300 m2 a
des allures de puzzle de mini espaces de vente dédiés, emboîtés les uns dans
les autres sur trois niveaux. Et, alors que certains préfèrent consacrer un
étage à un type d'articles particuliers (maroquinerie, prêt-à-porter,
cosmétiques, joaillerie…), Chanel a décidé de mélanger les genres en proposant
de tout ou presque à tous les étages. Objectif : vendre si possible une
panoplie complète à une acheteuse japonaise plus volage qui a tendance
désormais à piocher ses articles d'une marque à l'autre. Qu'elle se reconnaisse
dans une de ces mini boutiques et il y a fort à parier qu'elle ne repartira pas
uniquement avec un sac à main, ou une autre babiole hors de prix.
Cette tendance est poussée à l'extrême avec le rayon “cosmétiques” qui n'a pas
de localisation géographique prédéterminée, mais qui suivra les clientes au gré
de leurs pérégrinations. Ce sont en fait quatre démonstratrices avec plateau
qui se déplaceront dans la boutique et iront vers les clientes !
Pour les “ladies” les plus “sélect”, Chanel va encore plus loin : première
boutique de luxe de Ginza à disposer de son parking privé (20 places),
l'immeuble a également le privilège d'accueillir le premier restaurant, à
Tokyo, du vénéré Alain Ducasse. Si le commun des mortels du luxe devra jouer de
son influence pour obtenir l'une des 100 places, les clientes qui ne
s'abaissent pas à compter les zéros auront, elles, le droit à un traitement de
faveur. Elles pourront manger, accoudées à un comptoir de marbre planté aux
franges d'une cuisine interdite d'entrée aux autres. Elles pourront ainsi se
régaler tout en admirant le travail des artistes cuisiniers. Pour celles que ce
traitement de faveur blaserait, Chanel a tout de même prévu une solution de
remplacement avec un salon d'essayage privé plus vaste que le plus grand des
studios de Tokyo. Là, elles pourront y choisir leurs robes, s'accorder une
pause dans une journée chargée d'achats ou simplement manger un morceau en se
faisant descendre un en-cas de chez Ducasse. Comble du raffinement : elles
pourront même choisir leur ambiance sonore.
Le Chanel de Ginza pourrait donc être comparé à un parc à thème. Tout comme à
DisneyLand, tout est fait pour que les clientes passent leur journée dans un
immeuble comportant non seulement espaces commerciaux et de restauration, mais
aussi une terrasse pour déguster café et mignardises et enfin une salle de
spectacle où seront proposés, quasiment tous les jours, des concerts privés et
gratuits de jeunes prodiges jouant sur un Steinway dessiné par Karl Lagerfeld.