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C'est beau une ville, la nuit...

Sous l'influence des nouvelles technologies et des modes de vies de plus en plus désynchronisés se dirige-t-on vers des villes ouvertes 24 heures sur 24 ? Après le Japon et les Etats-Unis, certains pays européens, dont l'Italie et la Grande-Bretagne y réfléchissent.

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Si trouver une épicerie ouverte à Paris à 3 heures du matin relève encore de l'exploit (il n'en existe que cinq actuellement), y acheter un livre ou des CD à cette heure tardive demeure impossible. Pourtant, la démarche apparaît on ne peut plus naturelle dans de nombreuses villes japonaises et américaines. Aux Etats-Unis, les grandes métropoles offrent depuis plusieurs dizaines d'années des services ouverts en permanence, que ce soit des coiffeurs, des restaurants, des salles de gymnastique, des épiceries ou encore des transports publics. Au Japon, la chaîne Seven Eleven a ainsi construit une partie de son succès sur ce type de magasin en offrant 24 heures sur 24 une très large palette de produits, allant des plats préparés aux billets d'avions, en passant par une laverie et des prestations de services (paiement des factures des services publics, électricité, eau...). En Europe, et plus particulièrement en France, certaines bonnes âmes annonçaient que le modèle américain et japonais était tout à fait particulier et inadapté sur le Vieux Continent. Aujourd'hui, les choses commencent à bouger du fait notamment des nouveaux rythmes de travail et de la multiplication des horaires atypiques. En Europe, déjà 30 % des actifs (soit 35 millions de personnes) ont des horaires décalés, en Grande-Bretagne près de 52 % des actifs ne sont plus soumis au traditionnel 9 h/17 h, cinq jours sur sept, et en Allemagne, ces horaires traditionnels concerneraient moins de 20 % des salariés.

S'adapter aux nouveaux rythmes de vie


En France, déjà 53 % des actifs travaillent au moins occasionnellement le samedi et 25 % le dimanche. Une récente étude menée dans 12 pays (dont 10 européens) montrait que les nouveaux rythmes de vie (cadres ayant des horaires décalés) et les nouvelles structures familiales (parents célibataires surbookés) allaient conduire à un très fort développement des convenience stores, ces petites boutiques ouvertes 7 jours sur 7 et offrant des horaires d'ouverture très larges qui permettent des visites fréquentes. Face à ces nouvelles réalités, les initiatives se multiplient. Monoprix annonce qu'un certain nombre de ses magasins resteraient ouverts jusqu'à 22 heures, et EDF vient de mettre en place un service téléphonique ouvert sans interruption 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Des initiatives intéressantes mais qui demeurent quelque peu dérisoires face aux défis des nouveaux rythmes de vies et de l'inadaptation des offres. Et qui font ressortir le retard français en matière de réflexion sur les nouvelles temporalités urbaines. Retard par rapport à l'Italie, notamment, où depuis une petite dizaine d'années a été engagé, sous la pression d'organisations féministes, un vaste programme de réflexion et d'action pour adapter les horaires des services publics (crèches, école..) aux nouveaux modes de vie. Certaines municipalités ont ainsi réussi à obtenir l'ouverture des bureaux de poste le dimanche matin.

Des "Pactes de mobilité" en Italie


« L'idée principale de cette politique est de concilier les temps de vie, de travail et ceux de la ville pour une meilleure qualité de vie », explique Sandra Bonfigliolli, directrice de Tempi della città de Milan. A Naples, Modène et Bergame, les municipalités ont, de leur côté, défini des "Pactes de mobilité", afin de décaler les horaires de travail pour éviter que tout le monde rejoigne ou quitte son entreprise au même moment, et tenter ainsi de contribuer à éviter les embouteillages et donc la perte de temps. Aujourd'hui, les réflexions se poursuivent autour notamment du concept de "citadelle à temps continu", visant à imaginer, au coeur de grandes villes, des espaces collectifs dans lesquels un certain nombre de services et de commerces resteraient ouverts en permanence, non seulement pour satisfaire la population locale, mais aussi les gens de passage (touristes, hommes d'affaires, étudiants...).

Des espaces et services consacrés à la nuit


En France, ces réflexions, et expérimentations, commencent à intéresser les pouvoirs et les services publics. Ainsi la Délégation à l'Aménagement du Territoire (Datar) vient de lancer deux chantiers de prospective sur les nouvelles temporalités, la RATP promet de s'attaquer prochainement au sujet, et plusieurs municipalités, dont celle de Saint-Denis, préparent la mise en place de "Bureaux du temps" sur le modèle italien. Des initiatives bienvenues, et qui devraient déboucher - tout du moins peut-on l'espérer - sur la mise en place de nouveaux services et de nouveaux espaces consacrés à la nuit, à l'image de ce qui se passe actuellement en Angleterre. Les sujets de sa Royale Majesté sont en effet les plus à la pointe et ont mis cette problématique au coeur de leur réflexion sur la ville. Outre-Manche, la nuit n'est plus présentée comme source de problèmes (bruit, insécurité...), mais au contraire comme une formidable opportunité de développement urbain. Les premiers débats démarrèrent au début des années 90, et donnèrent lieu à Manchester en 1993 à la première conférence sur "La ville des 24 heures". Peu à peu, certaines municipalités, comprenant mieux les enjeux de l'économie de la nuit, assouplirent la réglementation sur l'ouverture des cafés, des restaurants et autres boîtes de nuit. Si la ville s'ouvre plus longtemps pour répondre aux comportements des consommateurs, les mêmes, en retour, fréquenteront plus assidûment la ville, mais dans des rythmes différents, et redynamiseront des quartiers en déclin.

"Around the clock city" : les exemples anglais


A Manchester, plus de 300 lieux sont ainsi ouverts une bonne partie de la nuit, contre 150 il y a cinq ou six ans. La ville de Leeds a encore été plus loin en basant tout son marketing urbain sur l'activité nocturne pour sortir de sa vieille image de ville industrielle déclinante, et se présenter comme une cité postindustrielle en phase avec les nouvelles attentes d'une part de plus en plus importante de citadins. « Pourquoi ceux qui se sentent chez eux dans la ville la nuit n'auraient pas droit au même respect et les mêmes privilèges que ceux qui s'activent pendant la journée de 9 heures du matin à 17 heures ? », s'interrogeait récemment Justin O'Connor, sociologue à l'Université de Manchester pour justifier cette nouvelle politique urbaine, à qui il attribuait d'autres atouts, dont celui de la liberté. « Voulons-nous une ville flexible, ouverte, pleine de ressources, d'un développement durable et créatif, ou voulons-nous une ville d'heures de pointes, d'embouteillages, avec un centre ville dangereux et déserté, et des styles de vie suburbains et policés ? » La réflexion est lancée et dépasse largement, comme on le voit, le simple cadre des horaires d'ouvertures des bars et des boîtes de nuit.

François Bellanger

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