Bataille rangée pour les smoothies
En 2008, le marché du jus de fruit a été secoué avec les smoothies, ces fruits frais mixés - et non pressés - à la texture onctueuse. Toutes les marques du secteur ont en effet emboîté le pas aux pionniers Innocent et Immédia. Reste à développer le marché en 2009.
En 2009, Smoovie devrait faire parler d'elle avec des recettes originales.
Des fruits, frais, naturels et mixés. Avec une texture toute douce. Le concept est simple et surtout terriblement efficace. Arrivés discrètement sur le marché en 2005, les smoothies sont désormais bien en vue au rayon frais des supermarchés où pas moins d'une dizaine de marques se livrent aujourd'hui bataille. Et ce malgré des prix bien plus élevés en moyenne que les jus de fruits classiques. Les ingrédients du succès de ce breuvage haut de gamme: des produits sains, gourmands, en adéquation avec non seulement les attentes des consommateurs mais aussi du Programme national nutrition santé (PNNS)... sans oublier la mise en place de codes marketing imparables, initiés par les Britanniques d'Innocent. La recette de la marque est bien connue. Des packagings rigolos, une forte présence sur le terrain, et surtout, une connivence avec ses consommateurs. Celle-ci s'installe dès la prise en main de la bouteille et peut s'intensifier pour peu que l'on ait envie d'envoyer un e-mail à l'équipe ou même de passer les voir au siège, rebaptisé La Halle aux fruits. Sans parler du supplément d'âme apporté par la touche socialo-écolo de la petite marque. Innocent préfère ainsi les ristournes sous forme de plantation d'arbres plutôt qu'en espèces sonnantes et trébuchantes. Elle n'hésite pas non plus à enrôler ses plus fidèles consommateurs dans un «Tricothon» destiné à tricoter des petits bonnets comme autant de dons pour l'association des Petits frères des pauvres. «Nous sommes revenus à un marketing axé sur le produit et à une relation transparente avec nos consommateurs. En fait, ce n'est que du bon sens», souligne Philippe Cantet, le patron d'Innocent France. Un bon sens qui paye si bien qu'il a été repris par la majorité de ses concurrents, à l'exception notable de Tropicana, dont la taille lui a certainement permis de contourner ces nouveaux codes...
Un langage smoothie
Le Français Immédia, au coude à coude avec Innocent dans la course aux parts de marché (les deux oscillent entre 17 et 18%), en a en effet repris les éléments forts: blog relatant l'engagement de la marque dans des projets portés par le développement durable, ton humoristique... le côté globe-trotter en plus: la patte de Mathieu Le Bigot, le fondateur d'Immédia. Même chez Andros - qui fait le black-out total sur sa stratégie - la framboise de sa gamme Fruit addict se veut «espiègle» et son «ananas coco» se veut «métissé»... Etre dans le décalé, le clin d'oeil toujours donc. «Alors que tous les codes marketing étaient ouverts au départ, presque tous les acteurs se sont calés sur Innocent», insiste Pascal Hélou. Le patron de Physalis, qui produit Smoovie depuis 2006, se défend de faire un me-too. Pourtant, si la stratégie de communication est bien ici rudimentaire, dans les rayons, ses petites bouteilles ne déparent pas dans ce segment sobre et plein de peps...
Plus discrète que son concurrent, Immédia a pourtant su s'imposer sur le terrain et lorgne aujourd'hui du côté de Tropicana.
Des petites bouteilles rigolotes, une relation très forte avec ses consommateurs et une conscience écolo... Innocent a su parler aux bobos. Et convertir les autres.
«La qualité du produit mise à part, les industriels ont appliqué une stratégie marketing originale qui consiste à toucher le consommateur en utilisant un packaging bariolé et un lexique simple et dynamique, mais surtout informel. Une autre qualité de communication, c'est le franc-parler et l'honnêteté, à l'image d'Innocent qui s'avoue loin d'être parfait... tout en essayant de l'être», décrypte Jérémie Doll, consultant agroalimentaire de la société de conseil Alcimed. Ils ont même transformé leur point faible en atout: le côté «naturel, sans additif, ni conservateur» en fait un produit périssable. «Mais en y regardant de plus près, les industriels incitent le client à consommer rapidement ces boissons, et donc à la racheter dans les plus brefs délais», fait-il remarquer. Et chacune des marques d'insister sur le fait que le taux de réachat est très élevé... sans toutefois dévoiler un seul chiffre. «Je peux juste vous affirmer que cela conforte notre conviction que l'engouement pour la catégorie est réel et pérenne», lâche Marie N'Guyen, directrice de la division jus et soft boissons chez Pepsico, qui détient le leader du secteur, Tropicana Smoothie.
De fait, si le marché reste de niche (1% du total des jus de fruits), il apparaît comme fortement juteux. Certes, certains s'y sont cassé les dents. Comme Cidou ou Pampryl qui s'est retiré du marché début 2008: «Nous n'avions pas les moyens de nos ambitions, explique Hugues Pietrini, directeur marketing du groupe Orangina Schweppes. D'autant plus que nous nous étions positionnés sur le rayon ambiant où nous étions légitimes. Seulement pour réussir, il fallait être dans le frais où nous n'avons aucune référence...» Mais le segment reste prometteur. Entre 2007 et 2008, le marché a fait un bond de 500% selon Nielsen et atteindrait entre 25 et 30 millions d'euros de chiffre d'affaires. Un développement boosté par l'arrivée du géant Tropicana qui a raflé d'entrée de jeu 53% de ce marché jusqu'alors dominé par les petites marques spécialisées.
«L'arrivée de Tropicana a été une aubaine pour nous», insistent pourtant les Innocents, Immédia et autres Smoovie. Car si leurs produits ont vite fait leur trou auprès d'une cible, principalement urbaine et il faut l'avouer plutôt CSP +, la force de frappe du leader des jus de fruits avec ses trois vagues de publicité TV (plus de 1 500 GRP) a permis de réaliser le travail de pédagogie sur cette boisson et de démocratiser le produit grâce à un référencement sur l'Hexagone. Il n'y a qu'à voir la multiplication des marques distributeurs (Leader Price, Système U, Casino... ) pour comprendre que le smoothie est entré dans le mode de consommation des Français.
Un marché juteux et en développement
Pour tenir la distance, les marques pionnières ont donc dû mettre les bouchées doubles en travaillant davantage leur notoriété et leur offre. En fin d'année dernière, Immédia s'est ainsi offert un lifting après trois ans d'existence. Oublié le presse-agrumes, place à une terre colorée plus en phase avec le côté naturel du smoothie. Revigorée, la marque s'est ensuite affichée avec une campagne détournant de façon humoristique les messages sanitaires des paquets de cigarettes et réalisée par A comme André. «Elle nous a permis de multiplier par deux notre notoriété - même si celle-ci reste encore relativement modeste (15%) - et elle a multiplié par trois l'intention d'achat chez les personnes l'ayant vue», se félicite la di-rectrice marketing, Valérie Morin. De son côté, Innocent s'est lui aussi lancé dans une campagne média à la fin de l'année 2008 pour parler de ses fruits tout nus (agence Bug). Il a alors vu sa notoriété faire un bond de 8 points (41%) en région parisienne où était diffusée la campagne...
Désormais installée, la catégorie va maintenant s'étendre. Après Ile lancement d'une gamme de J jus de fruits frais I bio ce mois-ci, la marque devrait bientôt proposer de nouvelles recettes de smoothies aux bénéfices sur la santé plus marqués. Dans le même temps, la marque Smoovie, aujourd'hui essentiellement distribuée chez les indépendants, devrait aussi se faire moins discrète. «2009 sera l'année de notre révélation à l'échelle nationale», affirme Pascal Hélou. La petite marque bretonne va ainsi être référencée dans toutes les grandes enseignes et surtout sortir de nouveaux produits, en gardant son positionnement premium à prix doux. D'autres parfums vont ainsi compléter les quatre références actuelles et des petites bouteilles mélangeant fruits et légumes ainsi que des gaspachos vont faire leur apparition en rayon.
Mais la bataille se jouera aussi sur les nouveaux formats: un 75 cl pour la famille et un proche de 90 g pour les enfants qui concurrencera les «P'tit Smoothie» lancés avec succès par Innocent l'an dernier. Pour ce dernier, l'année 2009 devrait surtout être l'occasion d'élargir son réseau de distribution. «Avant d'aller plus loin, nous allons y aller plus fort», préfère annoncer Philippe Cantet qui ne semble pas faire grand cas des promesses de santé active de ses concurrents. Il faut dire que le développement des smoothies a été tel que certains en ont profité pour aller très loin... A l'étranger, des vins-smoothies et d'innombrables smoothies laitiers santé contenant des probiotiques ou allégés en matières grasses ont fait leur apparition. Certes, on s'éloigne un peu des fruits frais mixés mais, au fond, même si l'Unijus (Union nationale interprofessionnelle des jus de fruits) entend bien s'attaquer au problème, il n'existe encore aucune définition légale de ce qu'est un «smoothie». Et rappelons-nous qu'en anglais, si l'un des sens premiers du mot est «onctueux», il veut aussi dire «beau parleur»...