Baisse du pouvoir d'achat , La Loganisation de la société est en marche
En 2005, Renault lancera, dans la plupart des pays d'Europe Occidentale, la
Dacia Logan. Une voiture qui, a priori, ne devait être proposée que dans les
pays émergents. Et dont le prix devrait se situer à partir de 7 500 euros.
Elle doit ainsi devenir l'offre la plus compétitive des marchés.
Officiellement, cette décision est liée à l'excellent accueil réservé à la
Logan par la presse et le grand public. Un grand public qui aurait pu être
tenté d'acheter cette voiture hors du réseau français de concessions du
constructeur. D'où son lancement dans les réseaux Renault afin d'éviter des
importations sauvages. Quoi qu'il en soit, il semble bien que la voiture
économique, simple sans être ringarde, soit une réelle attente des Français. Et
pour cause. Si une partie des automobilistes attend d'une voiture qu'elle soit
un bijou de haute technologie, qui conforte l'ego, ils sont aussi de plus en
plus nombreux à adopter une posture moins statutaire. Et à privilégier le prix.
Un élément trop souvent négligé par les marketeurs, qui semblent être aveugles
face à un réel retournement de la consommation. Pourtant, à n'en pas douter,
l'année 2004 restera pour un bon nombre de marques et de produits une “annus
horribilis”. De Leclerc à l'INC, qui n'a pas calculé le recul réel du pouvoir
d'achat, non pas “des ménages”, mais de chacun d'entre eux? Les conséquences
nous les connaissons tous. Erosion des ventes, report dans le temps des achats
ou choix de produits et marques moins chers, une évolution lourde est en
marche. Une évolution, certes liée à la conjoncture économique morose, mais pas
uniquement. Si la hausse des prélèvements de toutes sortes et la stagnation
des salaires entraînent effectivement le sentiment d'une perte de pouvoir
d'achat, et de facto une moindre consommation, le malaise semble plus profond.
L'homo économicus joyeux qui croit aux lendemains qui chantent, qui consomme
plus et génère sa croissance, s'efface devant l'homo économicus tristus qui
déconsomme et génère sa propre décroissance… Bref, après avoir consommé durant
quarante années sans trop réfléchir, notre consommateur prend ses distances
avec la consommation.
2005 pire que 2004
Pire, la
situation ne devrait pas s'améliorer. Le pouvoir d'achat individuel des
Français va continuer de s'effriter en 2005. Primo, parce que les salaires ne
devraient pas connaître de forte réévaluation. Deusio, parce que les
prélèvements obligatoires vont, au contraire, subir une forte augmentation.
Hausse de la CSG, des cotisations vieillesse. Fin août, notre confrère
L'Expansion estimait que ces différentes mesures coûteraient en moyenne 300
euros à chaque foyer. Ajoutons l'envol du prix de l'immobilier, l'impact de la
hausse des prix du pétrole, et l'on peut estimer qu'une famille française
moyenne, qui consomme, va perdre après prélèvements, entre 700 et 1 500 euros
net par an. Soit un petit mois de salaire net. Il faudra donc s'attendre en
2005, comme en 2004, à des arbitrages sévères. D'autant qu'il n'est plus
question d'aller puiser dans les bas de laine. En 2004, plus de 1,5 % de la
consommation a été financée par la “désépargne” des foyers. Bien évidemment,
notre famille française ne va pas rogner de 5 à 10 % de dépenses sur chaque
poste de son foyer. Elle va réallouer, arbitrer et parfois tailler à coup de
serpe là on ça fait le moins mal, afin de se préserver les petits plaisirs
nécessaires à la vie. Les premiers signes de ces réallocations sont déjà
visibles. La presse gratuite s'impose, et pas seulement chez les jeunes, la
chasse aux voyages pas chers devient un sport national, tout comme le
téléchargement gratuit sur Internet. Et que dire du hard discount qui touche
aujourd'hui 65% de la population, avec une part de marché qui frôle les 13%. «
Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'envol du hard discount. En premier
lieu, les produits ont fait de réels progrès en termes qualitatifs. Ensuite,
les consommateurs ont changé. Ils regardent avec beaucoup plus d'objectivité
les marques et se laissent moins embarquer par les promesses. Enfin, alors que
le climat est morose, l'offre de produits et de services disponibles pour
chaque foyer n'a cessé de s'élargir. Lorsque le hard discount est arrivé en
France, le téléphone portable était réservé à une élite, Internet n'existait
pas, le DVD non plus. Aujourd'hui, toutes ces offres et services sont présents
dans les foyers. Les consommateurs font donc des arbitrages dont le hard
discount a tiré profit », analyse Annick Vergne, directrice du marketing de Ed.
Un constat s'impose donc aux marketeurs. L'implication du prix augmente, le
consommateur compare plus volontiers, il “cognitive” davantage son achat. Sa
logique de décision change. Pire, la norme sociale en matière de consommation
se décale tandis que la frustration anti-consommation se renforce. Les
comportements d'aubaine, de désescalade tendent à devenir la norme, tandis que
l'achat statutaire, plaisir, impulsif devient le hors-norme. Les soldes, les
promos, les bonnes affaires, les premiers prix, ne sont plus des indices de
pauvreté mais d'astuce. Les consommateurs qui fréquentent les enseignes de
discount, quelles qu'elles soient, ont aujourd'hui une certaine fierté à dire
qu'ils ont fait un bon coup, qu'ils ont choisi la formule gagnante. Qu'ils ne
se sont pas fait avoir par le marketing. Etre plus malin que le marketing
devient un jeu. Un jeu qui ne connait plus aucune frontière sociologique. Et
pour cause. A des degrés divers, toutes les catégories socio-professionnelles
sont touchées par ce sentiment de perte de pouvoir d'achat. La vague d'octobre
dernier du baromètre TNS Sofres “Les Préoccupations des
citoyens-consommateurs”, réalisé pour le groupe Casion et L'Hémicycle, confirme
ainsi la reprise de l'inquiétude du pouvoir d'achat dans l'opinion. En quelques
mois, le pouvoir d'achat est passé du neuvième au cinquième rang des
inquiétudes des Français. Alors que le niveau de préoccupation était de 29 % en
juillet, il passait à 31 % en septembre et à 36 % en octobre. En comparaison,
le niveau de préoccupation du chômage, qui occupe toujours la place la plus
élevée, demeure stable à 70 % contre 69 % dans la vague précédente. Face à la
montée de cette inquiétude et la lente “Loganisation” de la société française,
qui en découle, rares sont les marques qui réagissent. « Le marketing est
nourri par l'innovation et alimenté par le bon sens. L'innovation doit être
perçue tout de suite par le consommateur. Or, le marketing a peu à peu perdu
cette notion de bon sens, tout s'est compliqué. Dans ce monde complexe, le
consommateur, lui, veut avant tout être rassuré par des choses simples »,
estime Jean-Marc Lehu, maître de conférences à La Sorbonne et consultant. Cette
compréhension immédiate, les consommateurs la trouvent dans des produits et des
marques plus simples. Très en vogue dans les services marketing,
l'hypersegmentation est ainsi venue troubler les relations entre la marque et
le consommateur. Des consommateurs qui ne comprennent plus les prix. Celui
d'une même marque de lessive peut ainsi varier du simple au double, selon le
segment sur lequel la marque est positionnée. Cette logique
d'hypersegmentation, si elle a un sens pour les industriels ou les
distributeurs, contribue à brouiller la lecture des consommateurs. Devant
l'incompréhension de l'offre, ces derniers adoptent soit une posture de repli,
celle des anti, soit une posture de frondeur. Pour les retenir dans son filet,
le marketing a cru trouver une martingale infaillible: les programmes de
fidélisation. L'individualisation de la relation client est devenue la nouvelle
norme. Pourtant, force est de constater que, l'un des ultimes distributeur à
avoir succombé au lancement d'une carte, en l'occurence Leclerc, est celui qui
résiste le mieux aux coups de butoir du hard discount. «Les offreurs ont
développé des modèles hypercomplexes, ont mobilisé beaucoup d'argent et
d'énergie pour des résultats qui restent à prouver, alors qu'il aurait été plus
profitable de mobiliser cette énergie pour réfléchir à des produits moins
chers», analyse Denis Delmas président du directoire de TNS Sofres (voir
interview p. 14). Moins cher, c'est la promesse de tous les services qui
viennent élargir l'offre de consommation. Pendant ce temps, industriels et
distributeurs de la grande consommation demandent aux pouvoirs publics
d'arbitrer leur différents. De la surface de vente contre du pouvoir d'achat.
Le deal n'a pas échappé aux Français. La baisse des prix de 2% annoncée par la
mesure Sarkozy n'a pas retourné le moral des ménages, si cher aux économistes.
Et les marketeurs ne savent plus à quel saint se vouer. « Le marketing est dans
une logique de fatalisme vis-à-vis du gros du marché dont il abandonne des pans
entiers aux hard discount. Or, ce n'est pas une fatalité. En repartant du prix,
il est possible d'innover, d'inventer le “Bic” de la voiture », poursuit Denis
Delmas. Mais encore faudrait-il que l'entreprise soit organisée pour accoucher
de ce type d'idées. La centralisation des décisions et l'absence d'autonomie
ne contribuent guère à la prise de risque des équipes et à l'émergence d'idées
nouvelles. Idées dont elles ont pourtant besoin pour réallumer la flamme de la
consommation.
Planète Saturn fait de la radinerie une qualité
Filiale du groupe allemand Media Saturn, l'enseigne Planète Saturn passe à l'offensive dans l'Hexagone. Et décide de le faire savoir en adoptant une signature publicitaire qui va faire date. Conseillé par l'agence Enjoy, le distributeur de produits blancs, bruns et gris, en appelle à la radinerie de nos compatriotes avec le slogan “Plus radin, plus malin”. Une manière de mettre en avant un de ses piliers, les prix, tout en se construisant une personnalité propre. « Entre un Darty qui mise tout sur le service et une Fnac qui est un référent culturel, Planète Saturn avait du mal à émerger. Nous avons donc travaillé sur cette notion de radin qui n'est plus un vice, mais plutôt l'expression d'un nouveau comportement », note Elisabeth Billiemaz, directrice associée de l'agence. Déclinée en affichage, en radio et en street marketing, la campagne oppose le radin “crétin”, celui qui ne veut pas dépenser d'argent, au radin “malin”, celui qui a compris où se trouve son intérêt de consommateur. Avec quelques trouvailles créatives parfois limites, mais qui ont l'avantage de faire sourire.
50 %
des cadres ont vu leur niveau de rémunération stagner ou baisser en 2003. Source : CFE-CGC - Le Journal du Management.
Quatre voies pour redynamiser vos plans marketing
Pour ne pas subir de plein fouet le coup de serpe du consommateur, les professionnels du marketing devront impérativement repenser leurs pratiques. Et emprunter les pistes tracées pour eux par MarketVision. Explication en quatre points. Révisez votre consommateur Repérez, dans leur logique d'achat, les consommateurs qui vous préserveront et ceux, indépendamment de leur pouvoir d'achat absolu, qui arbitreront, s'ils sentent que vous leur faites “encore payer la marque”. Il faut donc se poser la question des leviers marketing différenciés: pour minimiser les effets d'aubaines, éviter la promo, là où elle choque l'achat désir, et éviter l'obstentatoire là où il heurte l'achat frustré. Votre beau consumer magazine en papier glacé est-il vraiment destiné à tout le monde ? Recalibrez votre mix-marketing sans concession Les logiques d'achat étant bousculées, anticipez la part des acheteurs qui vous sacrifieront sur l'autel de la compétitivité et adaptez votre mix en conséquence, sans sacrifier la marque. Produit plus simple, codes prix, pack, communication, promotion, distribution adaptée, tout doit être recalibré. Soyez Gaullien, montrez que vous avez compris, que vous chassez le gaspi, que vous passez au crible vos dépenses. Changez les lunettes de vos équipes Si votre équipe marketing-commerciale est composée de Français au pouvoir d'achat relativement préservé ou en croissance (jeunes à potentiel, c'est-à-dire avec un salaire de plus de 3 000 euros par mois), assurez-vous qu'ils aient compris dans leurs “tripes” que cette mutation est bien réelle. Difficile de comprendre la souffrance des autres quand on ne la vit pas… Voyez le Bien dans le Mal Chassez la morosité, une crise est aussi l'occasion de rebondir, de saisir de nouvelles opportunités. Des places sont à prendre pour ceux qui s'adapteront le plus vite aux nouvelles situations. Comme, par exemple, le déboum des 35 heures. Le nombre de personnes qui voudront gagner plus en travaillant davantage devant aller croissant, il est probable que nous assistions à un effet 35 heures inversé : moins de temps, plus d'argent. Et donc des attentes nouvelles pour décompresser. Moins de bricolage pour lutter contre le surmenage, mais plus de services et de loisirs souvent plus intenses, voire plus chers. Repérez les nouveaux gisements, là où le consommateur paiera pour économiser, cassez vos schémas de concurrence. Bref, face à la “déconsommation”, pensez “reconsommation” et avec le sourire. Du Guy Roux oui, mais du jovial…