Baisse de l'innovation: quelles mesures adopter?
Le secteur des biens de consommation a atteint son stade de maturité. Cependant, ses méthodes de travail n'ont pas encore changé. Tel est le constat dressé par deux consultants du bureau de McKinsey (New Jersey) . Les auteurs, Erik A. Roth et Kevin D. Sneader, amorcent leur réflexion à partir de la baisse continue du retour sur investissement des innovations, malgré un nombre de lancements en hausse. Ils proposent donc de revisiter quatre certitudes auxquelles les industriels s'attacheraient excessivement et qui freineraient leur nécessaire évolution:
- L'innovation commence au sein des catégories existantes et des produits déjà connus.
- Les focus groupes sont au coeur de la méthode pour générer les insights.
- Les entreprises donnent la priorité aux ressources internes pour innover.
- Les directions marketing maintiennent les fameux paniers d'idées comme méthode prioritaire pour permettre aux meilleures d'éclore sans se soucier plus avant du coût très élevé de cette démarche.
Les consultants reconnaissent que certaines de ces règles facilitent l'efficience et la fiabilité des prévisions, mais qu'elles peuvent avoir pour effet collatéral d'inhiber les équipes de développement. Par exemple, les innovations de rupture, qu'ils estiment six fois plus efficaces, sont écartées avant même d'être envisagées.
Erik A. Roth et Kevin D. Sneader critiquent ces quatre certitudes. Ils se demandent pourquoi les produits dits innovants devraient toujours être lancés à partir des catégories existantes, puisque celles-ci ne créent pas assez de valeur à terme. En effet, les extensions de marché représentent 66% des lancements, mais seulement 1% des ventes additionnelles de la catégorie considérée contre 25,9% pour les innovations dites de rupture (breakthrough) et qui ne représentent pourtant que 2,2% des innovations en volume.
Les auteurs insistent sur le fait que ces innovations de rupture ne proviennent que très rarement des structures marketing existantes. Elles sont presque toujours issues d'une démarche transversale dans laquelle les scientifiques tiennent souvent la première place.
Un exemple cité pour cette forme d'innovation est la gamme de couches-culottes Pampers. En reconsidérant le marché au-delà du seul âge des nouveaux-nés par une grille de lecture utilitaire, les responsables marketing ont pu lancer des produits nouveaux (lingettes notamment) qui lui ont permis d'atteindre 51% de PDM en 2005 contre 4 % en 2001 sur le marché principal des couches- culottes, et 18% contre 0,5% sur le marché des couches dites d'apprentissage.
Autre exemple, Quaker, qui a évolué du marché restrictif des seules céréales pour petit déjeuner à une marque «Life Style» après son achat par PepsiCo en 2001. Cette modification du périmètre de perception de la marque traditionnelle du petit déjeuner lui a permis d'entrer dans les nouvelles catégories du snack et des produits de santé.
Thierry Maillet (auteur):
«La vraie question n'est plus «faut-il modifier ses méthodes de travail?» mais «quand et comment faut-il le faire?»
Revenir sur les focus groupes
Par ailleurs, les consultants reprochent à la méthode des focus groupes d'être utilisée par l'ensemble des industriels, ce qui produirait des «me-too products» plutôt que des innovations de rupture. L'orientation qu'ils proposent réside dans les démarches ethnologiques et anthropologiques déjà initiées aux Etats-Unis et en France depuis quelques années, comme l'a fait la marque Findus. Ce type de méthode replace le marketing du besoin et donc le produit au coeur de la démarche des entreprises, au contraire du marketing du désir qui joue sur le levier principal de la marque.
Les auteurs ont choisi trois exemples qui relèvent à chaque fois de l'observation d'un besoin insatisfait. Ainsi, le premier exemple est celui de l'observation des modes de vie des enfants qui a permis au franchisé de Yoplait, General Mills, de lancer un yaourt liquide, Go-Gurt, qui connut la plus forte croissance des ventes de sa catégorie outre- Atlantique. Les deux autres exemples retenus sont Nike et Dove, qui désertèrent également leurs lieux d'observation traditionnels, le premier en intégrant les quartiers les plus branchés des centres-villes et le second en migrant sur Internet pour se connecter avec ses futures clientes dans de nouveaux sites communautaires .
L'innovation en réseau
Les auteurs plaident pour la nécessaire ouverture des entreprises à l'innovation en réseau. Cette démarche est déjà initiée au sein du premier groupe mondial de produits de grande consommation. A. G. Lafley, président de Procter Se Gamble, souhaite en effet que la moitié des innovations du groupe provienne de l'externe, contre seulement 15% actuellement. Cette volonté est compréhensible, puisque les auteurs rapportent que l'innovation est à 95 % le fait des PME dans la catégorie des boissons et encore de 69% dans la catégorie des huiles et produits gras, le chiffre le plus faible (!) pour les produits alimentaires.
Erik A. Roth et Kevin D. Sneader insistent pour mettre en pratique la transversalité dans les processus d'innovation des entreprises. Ils évoquent la fusion systématique des connaissances des consommateurs, de la recherche et de la technique pour transformer des idées isolées, en concepts crédibles de nouveaux produits.
Panier d'idées
Le dernier point soulevé par les consultants est la méthode retenue par les entreprises de la grande consommation pour trier les innovations les plus intéressantes. Selon Erik A. Roth et Kevin D. Sneader, les entreprises laissent éclore «un millier de fleurs» et attendent que les plus prometteuses croissent en passant les filtres successifs des différents critères de retour sur investissement. Pour les auteurs, ce type d'analyse va systématiquement écarter les innovations de rupture, puisque par essence les projections seront illusoires (le marché est à créer) ou inexistantes, le produit n'existe pas, donc il ne peut être appliqué de plan prévisionnel fiable. CQFD. Les auteurs recommandent donc aux entreprises de traiter différemment le suivi budgétaire des déclinaisons de produits par rapport aux innovations de rupture. Aux premières les méthodes traditionnelles du retour sur investissement et aux secondes une démarche nouvelle issue des capitaux-risqueurs. En empruntant aux financiers leur méthode d'analyse, les consultants suggèrent que les entreprises apprennent à suivre un projet, étape par étape, et notamment en libérant des espaces de cocréation avec le consommateur dès les phases initiales du projet avec des prototypes.
En conclusion, il est nécessaire, pour les entreprises, de modifier à tout prix leur démarche marketing. Elles doivent accepter de diversifier non seulement les sources d'intelligence et d'enrichissement, mais aussi de recrutement. En France, un projet associe le Medef et l'université de Marne-la-Vallée (Seine-et- Marne) pour inciter les grandes entreprises à recruter des étudiants issus des filières des sciences humaines. Paradoxalement, aucune n'a adhéré à ce projet. Il apparaît donc urgent pour les entreprises d'engager leurs directions marketing dans cette voie. La vraie question n'est plus «faut-il modifier ses méthodes de travail?», mais «quand et comment faut-il le faire?».
THIERRY MAILLET (AUTEUR DE GENERATION PARTICIPATION)