Avenir prometteur pour les consumer mags
Invitées par Marketing Magazine à débattre du marché des consumer magazines, cinq agences de communication éditoriale prédisent un bel avenir à ce support, encore peu populaire en France, grâce à la priorité croissante accordée à l'image corporate.
En France, il existe 150 consumer magazines contre plus de 5 000 en Grande-Bretagne et près de 50 000 outre-Atlantique. Ces chiffres résument à eux seuls l'état du marché de ce média dans l'Hexagone. Pourtant, la volonté des marques françaises de s'adresser à leurs clients par le biais d'une publication ne date pas d'hier. La première tentative remontant à 1902 avec le titre De Dion-Bouton consacré à la prestigieuse firme automobile. Mais on peut attribuer la paternité du véritable consumer magazine à la Fnac grâce au lancement, en 1954, de Contact. Il faudra ensuite attendre les années quatre-vingt pour voir Danone, Peugeot, Carrefour ou encore Air France emboîter le pas de l'agitateur culturel. Age d'or de cet outil de communication, l'année 2001 et ses 170 titres. La décrue s'est ensuite amorcée jusqu'en 2005 avec à peine 130 magazines de marque.
Si le marché a repris quelques couleurs ces dernières années, il n'en reste pas moins désespérément atone comparé à l'explosion de titres dans les pays anglo-saxons. Mais quelles sont les raisons d'un tel écart? «Elles sont d'abord culturelles, explique Edouard Rencker, p-dg de l'agence Séquoia. Le consommateur britannique admet, sans aucun problème, qu'une marque lui apporte de l'information tout en vantant les mérites de ses propres produits. Il n'a pas cette réserve typiquement française.» Par exemple, en Grande-Bretagne, c'est Sony qui se charge d'éditer le magazine des fans de la PlayStation et personne n'y trouve rien à redire. Impensable de notre côté de la Manche où ce type de publication est l'apanage d'un éditeur spécialisé dans l'informatique...
L'offre pléthorique de notre presse magazine constitue d'ailleurs la seconde explication à la différence de maturité du marché des consumers entre les deux pays. «Alors qu'en France les thématiques les plus confidentielles finissent par trouver leur place en kiosque, il n'en est rien outre-Manche, relate Anabel Cot, directrice générale adjointe de Ligaris L'Agence. A tel point que de nombreux annonceurs ont sauté sur l'occasion pour combler ce vide en préemptant des sujets laissés vacants.» Ainsi, les futures mamans britanniques s'informent sur la grossesse grâce à Mothercare Magazine, un titre édité par... la chaîne de boutiques de puériculture éponyme.
L'apathie du marché de la presse kiosque anglo-saxonne favorise les magazines de marque. Soit. Mais ce particularisme ne suffit pas à expliquer pourquoi le modèle a tant de mal à s'implanter dans l'Hexagone. Bruno Scaramuzzino, p-dg de l'agence Meanings, estime «qu'annonceurs et professionnels de la communication doivent, en premier lieu, balayer devant leur porte en reconnaissant que les consumers à la française n'ont pas toujours répondu aux attentes des consommateurs. On a tous fait l'erreur de créer des produits hybrides, pour ne pas dire bâtards. Des titres auxquels on a assigné tous les objectifs possibles et imaginables: soutien à la dernière promo «3 pour 2» de la marque, création de trafic, de l'information corporate du communitarisme et pour finir un peu de messages sur les efforts de l'entreprise en faveur du développement durable.» Résultat, trop c'est trop et les lecteurs ne s'y retrouvent pas.
@ Thomas Koller
Bruno Scaramuzzino
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ANABEL COT
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EDOUARD RENCKER
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CORINNE CHERQUI
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CHRISTINE FUMINIER
L'autofinancement par la publicité, une chimère
En clair, ce type de publication ne sert pas à grand-chose et les annonceurs ont fini par s'en rendre compte. Contact, le pionnier des magazines de marques, en a d'ailleurs fait les frais en 1999. Un questionnaire de satisfaction a permis à la Fnac de découvrir que les lecteurs n'appréciaient pas du tout de trouver, au sein d'un même support, l'actualité des artistes et des promotions pour les produits. C'est la raison pour laquelle le distributeur a lancé son magazine culturel Epok tout en conservant Contact. Autre phénomène qui continue à handicaper les consumer magazines: la croyance, là encore bien française, que ce type de publication peut s'autofinancer par la publicité. «Cette chimère a tué le marché, regrette Corinne Cherqui, directrice associée chez Euro RSCG C&O. Hormis le cas très particulier de la Grande Distribution qui convainc bon gré mal gré ses fournisseurs d'acheter des pages de publicité, les entreprises doivent admettre qu'un consumer magazine représente un investissement. Ce dernier peut certes se financer en partie, mais pas totalement. Loin s'en faut, même. Hélas, nous ne parvenons pas toujours à faire accepter cette réalité à nos clients.»
Pour les agences, la promesse de rentabilité d'un tel magazine est d'autant plus difficile à vendre qu'il n'existe aucune étude permettant de mesurer le fameux retour sur investissement. Tout du moins en France. Car outre- Manche, le cabinet Millward Brown a récemment démontré que le panier moyen des lecteurs du consumer magazine d'une marque était en moyenne 25 % supérieur à celui des clients qui se contentaient de parcourir le catalogue. «Alors, faute d'outils permettant de prouver la pertinence du modèle, nombre d'annonceurs reproduisent éternellement ce qu'ils connaissent, note Edouard Rencker. Ils nous consultent avec de grands projets de magazine en tête puis, par facilité intellectuelle, finissent par opter pour un énième catalogue.» Ou pire, ils se rabattent sur le magalogue - un produit hybride entre le magazine et le catalogue - qui adopte les codes de la presse en couverture et sur les deux premières pages (titres chocs, édito, citations en exergue, etc.), puis se transforme en brochure commerciale sur tout le reste de la pagination. Les exemples de ce type sont nombreux: Century 21 Mag , Carrefour Loisirs High-Tech, La Lettre Picard, Video Futur Mag, etc. Les industriels convaincus à tort d'avoir trouvé le moyen de remporter la martingale sont légion. «On tente bien de les dissuader, mais ce n'est pas toujours simple», confesse Anabel Cot. Le plus ennuyeux, c'est que jusqu'à présent, le serpent se mord la queue car le faible nombre de consumer magazines dissuade les agences de communication d'investir dans un outil de mesure digne de ce nom tandis que l'absence de preuve tangible de son efficacité décourage la plupart des annonceurs d'investir dans un média de qualité.
Doit-on en conclure que la messe est dite, que les consumer magazines sont condamnés à demeurer un genre mineur en France? Loin s'en faut. «L'optimisme prévaut car les annonceurs renoncent les uns après les autres aux produits hybrides qui ont fait tant de mal à ce média, assure Bruno Scaramuzzino. Désormais, le magazine est soit commandé par la direction commerciale avec en corollaire un objectif clair de soutien des ventes; soit il est rattaché à une direction de la marque et il participe alors à la construction de l'image corporate. Les deux options sont légitimes tant qu'on ne cherche pas à les mixer au sein d'un seul et même titre.» Christine Fuminier, directrice générale adjointe de l'agence Verbe, note de son côté que «les entreprises ressentent un besoin de plus en plus net de cohérence et de recentrage autour de leur marque. Et ce d'autant plus que la publicité classique ne produit plus autant de fruits qu'avant. Dans ce contexte, le consumer magazine va devenir un atout incontournable pour aider les annonceurs à affirmer leur positionnement.» L'exemple le plus parlant est celui de Danone et Vous. Ce trimestriel de 28 pages est l'un des atouts maîtres du géant des produits laitiers dans son souhait de positionner la santé au coeur de sa stratégie. Le très mémorisable mais sans doute totalement inutile «Parce que je le vaux bien» de L'Oréal serait-il en voie de disparition au profit de la quête de sens et de valeurs? Selon le«Baromètre de la relation aux marques des Français», réalisé par CSA pour La Poste, les questions d'éthique et de responsabilité sont en tout cas fondamentales dans le choix d'une marque: 71% des sondés affirment accorder beaucoup d'importance au respect de certaines valeurs sociales et ils sont même 83% à se soucier de savoir si les fabricants des produits qu'ils achètent respectent l'environnement.
Sans doute ces chiffres sont-ils à considérer avec prudence mais ils montrent bien que les entreprises doivent se préoccuper sérieusement de leur image corporate. De toute évidence, proposer de bons produits ne suffit plus. Edouard Rencker estime notamment que l'enseigne de grande distribution qui osera préempter le segment de la consommation militante en sortant un magazine proche de Que choisir aura tout gagné. Ce qui ne signifie pas que chaque entreprise doit s'ériger en héraut d'une grande cause, bien sûr. «Il n'y a rien de plus désastreux que la marque qui, n'ayant rien de particulier à dire sur les sujets sociétaux, affirme qu'elle respecte l'environnement, ses collaborateurs et ses clients, tranche Christine Fuminier. Ce genre de discours se doit d'être relayé par une vraie stratégie.» A défaut, mieux vaut jouer la carte de l'expertise en imaginant des consumer magazines à vocation utilitaire. C'est le cas de Zéro tracas de MMA ou de Macif Tandem.
Des titres qui délivrent des signes d'appartenance
Au-delà d'une information en rapport avec l'assurance, ces supports donnent toutes sortes de conseils sur la sécurité routière, la nutrition ou la santé de nos chères têtes blondes. «Une entreprise ne peut plus se contenter de miser sur la seule qualité de ses produits ou services, confirme Bruno Scaramuzzino. Elle doit sortir de cette relation éphémère pour s'inscrire dans un temps plus long, un temps qui lui permet de se construire une véritable identité.» D'où l'émergence de titres destinés avant tout à délivrer des signes d'appartenance. Cette évolution est particulièrement nette dans le secteur de l'automobile (voir encadré «myAudi» p. 66). Fini les moteurs à toutes les pages, voici venu le temps du communautarisme. A l'occasion de la sortie de sa nouvelle Ibiza, en juin dernier, on n'a pas vu le moindre bout de carrosserie en couverture de Seat Mag, le consumer magazine de Seat. Le constructeur espagnol a préféré mettre en vedette David et Cathy Guetta, les deux icônes de la techno française. Traduction: en roulant en Seat, vous intégrez la communauté des trentenai- res branchés, avides d'émotions fortes. Sur une voie identique, Thalyscope, le magazine du train Thalys, va encore plus loin en consacrant moins de 10% de sa pagination à son offre commerciale et aux informations institutionnelles sur la marque. Les 90% restants sont réservés à l'art ou au tourisme culturel, une manière de signifier au lecteur qu'il appartient à une catégorie de population aisée et cultivée. «Si ce type de communication trouve sa légitimité dans tous les secteurs, il convient surtout aux leaders et aux challengers qui bénéficient déjà d'une image claire dans l'esprit des consommateurs, nuance Corinne Cherqui. Pour les autres, ceux qui se trouvent sur un marché atone, la question est forcément plus compliquée.»
Et Internet dans tout cela? Comme pour tous les pans de l'économie, il est en train de bouleverser la notion même de consumer magazine. «Beaucoup d'annonceurs ont fait preuve d'inertie avant de s'y mettre, reconnaît Edouard Rencker. Mais l'avènement de la vidéo procure une telle valeur ajoutée que la plupart des marques vont passer au consumer magazine on line. L'avenir de ce marché se trouve là. Il restera étale dans sa forme traditionnelle et va exploser sur Internet.» Un point de vue que Bruno Scaramuzzino ne partage pas totalement. «Le Web a toute sa place, mais plus comme un prolongement que comme une alternative, parie le dirigeant. La version print a encore de beaux jours devant elle car, rien ne vaut le papier pour transmettre de la générosité et de la connivence. Le papier a quelque chose de convivial, de palpable, d'existentiel...»
Le webzine, une nouvelle donne
Il n'empêche, les magazines en ligne, aussi appelés webzines, sont incomparables pour développer les notions d'interactivité et de service client. «Peu à peu, les sites de marques vont intégrer des forums de discussions, des espaces de téléchargement ou encore des sondages en ligne, prévoit Christine Fuminier. On peut même imaginer des blogs entièrement rédigés par des consommateurs.» C'est la voie originale suivie par Pyrex. A travers son site Cooknblogs.com, le fabricant de plats de cuisson en verre fédère un réseau de blogs culinaires. La présence de la marque est limitée à un logo et à un lien vers son site institutionnel. En revanche, Cook n'Blogs n'impose aucunement aux blogueurs hébergés de mentionner Pyrex. «Ce genre d'initiatives illustre le passage progressif du consumer magazine au consumer system, explique Anabel Cot. A savoir que le support papier n'est plus le seul outil d'information de la marque. Il fait désormais partie d'un dispositif beaucoup plus large d'accompagnement des consommateurs.» Prochaine étape pour les annonceurs les plus en pointe: le consumer web TV avec ses débats en plateaux et ses reportages en extérieur. Areva y songerait sérieusement. «C'est le nec plus ultra, à condition de ne pas négliger la fréquence de rafraîchissement des programmes», estime Edouard Rencker. En d'autres termes, petits budgets s'abstenir. Tel est le futur du consumer system: toujours plus beau, toujours plus utile, toujours mieux ciblé... mais aussi toujours plus cher.
«En France, nombre d'entreprises croient que leur consumer magazine va pouvoir s'autofinancer par la publicité. Mais, hormis le cas très particulier de la grande Distribution qui n'a pas trop de difficultés à vendre des pages à ses fournisseurs, ce n'est pas vrai. Les régies publicitaires qui ont tenté le coup n'ont jamais réussi à trouver le modèle économique ad hoc. il faut se rendre à l'évidence, un tel support représente un investissement non négligeable. Comme les agences ne sont pas parvenues à faire accepter cette réalité à leurs clients, cela a un peu tué le marché. C'est d'autant plus regrettable qu'en grande-Bretagne, des études ont démontré la rentabilité financière des consumer magazines.»
EDOUARD RENCKER, P-DG DE SEQUOIA
«Par facilité intellectuelle, beaucoup d'annonceurs ont eu tendance à préférer le catalogue au consumer magazine. Le premier est plus simple à réaliser et son retour sur investissement est plus aisé à établir. Des dizaines de projets ambitieux sont restés dans les cartons à cause de cette frilosité des entreprises. Mais avec le Web, le consumer a un avenir radieux devant lui, en particulier depuis l'avènement de la vidéo. elle procure une valeur ajoutée qui va bien au-delà du simple contenu print mis en ligne. autre avantage incomparable d'internet: la finesse et le ciblage du message délivré. Dans un webzine, vous pouvez distinguer les espaces réservés aux clients de ceux destinés aux prospects. Ce qui n'est pas envisageable avec le papier.»
BRUNO SCARAMUZZINO, P-DG DE MEANINGS
«L'avenir du consumer magazine est lié à la distinction à faire entre deux modèles quasiment opposés. Soit le consumer est arrimé à la direction commerciale et il a un objectif clair de soutien aux ventes; soit le consumer est relié à la direction de la marque et il est alors chargé de relayer les valeurs de l'entreprise. Les deux genres sont légitimes et peuvent parfaitement cohabiter au sein d'une même marque. en revanche, le consommateur-lecteur ne supporte pas un produit hybride qui joue sur les deux tableaux. Heureusement, les annonceurs renoncent les uns après les autres à cette formule qui consiste à mélanger les genres.»
ANABEL COT, DGA DE LIGARIS L'AGENCE
«Nous passons progressivement du consumer magazine au consumer system. C'est-à-dire un modèle dans lequel ce support papier n'est plus le seul à accompagner le client dans ses choix de consommation. il s'intègre dans un dispositif plus global dont la valeur ajoutée est très différente de celle des outils hard selling que sont le catalogue et le site marchand. Je pense, bien sûr, aux webzines et aux Web TV, mais aussi à des forums communautaires, des blogs de clients de la marque, des hors-séries, des DVD, des produits dérivés, des événements tels que les visites d'usine réservées aux clients, etc. et tous ces outils sont interdépendants.»
CHRISTINE FUMINIER, DGA DE VERBE
«Le temps des consumer magazines destinés avant tout à se faire plaisir est révolu. Le très conceptuel Liane de Monoprix en était le parfait exemple. Un produit esthétique et épuré, mais sans réel objectif. Bref, le côté «tiens, et si on faisait un consumer magazine?», c'est fini. aujourd'hui la tendance est à une réflexion approfondie avec un positionnement stratégique plus précis. Les marques nous consultent notamment beaucoup sur des dispositifs complets Web+papier. Mais si la plupart des annonceurs ont de grands projets de sites internet avec de l'interactivité et des services associés, il n'est pas rare que le coût de fonctionnement les amène à revoir leurs ambitions à la baisse.»
myAudi, bien plus que des histoires de voiture
Strictement réservé aux heureux propriétaires d'un véhicule de la marque allemande, myAudi.com illustre à merveille le webzine - consumer magazine en ligne - commu nautaire. Certes, on y parle encore un peu mécanique, notamment à travers des services personnalisés tels que votre carte grise virtuelle ou un rappel automatique de la date de votre prochaine révision. Mais le site propose aussi et surtout du sport, de la musique, du design et des films, ceci à travers des vidéos exclusives à faire pâlir de jalousie bien des chaînes de télévision... C'est le cas de ce reportage de près de 10 minutes sur Musica Nuda, un tandem jazzy italien pour le moins confidentiel. Traduction: en achetant une Audi, vous n'êtes pas n'importe qui.