Autodiscipline, mais pas de tribunal populaire pour la pub !
J'ai joué les prophètes et consacré plusieurs tribunes à l'éveil de notre profession à l'autodiscipline. Compte tenu de l'impact des mass-média, les publicitaires doivent éviter les dérapages, qui peuvent blesser ou abuser le public sans pour autant servir le sujet.
De là à traîner les créatifs devant les tribunaux au compte d'une loi
moralisatrice, il y a un grand pas. C'est pourtant l'objet d'une proposition de
loi "visant à créer un délit d'atteinte à la dignité de l'homme et de la
femme". L'enfer est pavé de bonnes intentions. Les iconoclastes avaient leurs
raisons, même Botticelli suivant Savonarole. Mais la castration n'a jamais
favorisé l'essor d'une civilisation. La publicité, commerciale ou non, est la
part ultra visible de notre société. Une législation pénale purificatrice en
ferait vite un bouc émissaire officiel. Que personne ne s'en réjouisse ! Les
médias seraient des victimes collatérales de notre sacrifice. Puis,
logiquement, les artistes, les écrivains, le cinéma... Censure pour Jérôme
Savary, Gainsbourg, Picasso, Houellebeck... Après le commerce, faudra-t-il
stériliser le spectacle, l'enseignement, l'humour, l'amour... Car que
resterait-il de notre métier si une telle loi interdisait toute audace ?
Croit-on que l'on pourrait se contenter de publi-reportages ? Le devoir de la
publicité, dans un monde saturé de bruit et d'information, c'est d'interpeller
(en latin : "Provocato"). Mais son honneur et son talent c'est de provoquer
sans blesser, sans dégrader. Qui jugera du résultat ? Une cour pénale ? Avec
quels critères constants, quelle objectivité ? Quelles jurisprudences
subjectives, voire absconses ficelleront un peu plus la création ? Allons-nous
contribuer à encombrer un peu les tribunaux ? Faudra-il attendre deux ans
(quatre ans si appel) pour arrêter une campagne ? Si dommages il y a, ils
n'auront pas été prévenus. Faudra-t-il condamner Jean-Paul Goude et les
Galeries Lafayette ? Aides et ses nus ? Yves Saint-Laurent ? Dim ? Nous devons
être nos propres juges. Les sanctions existent : perte éventuelle du budget
pour l'agence, retour de manivelle pour l'annonceur si son public n'apprécie
pas. Une instance consultative de qualité existe avec le BVP, il faut sans
doute mieux tenir compte de ses recommandations. En tout cas, nous sommes mieux
placés que la Justice pour la prévention, si nous acceptons de fixer notre
autodiscipline dans une charte qui pourrait s'exprimer ainsi : Nous renonçons à
l'abus de pouvoir sous trois formes : Première forme : Atteinte à la dignité
essentielle de personnes, groupes sociaux, catégories de sexe ou de race,
Seconde : Mise en cause de fondements idéologiques ou religieux qui servent de
ciment à la société ou à des groupes sociaux minoritaires. Troisième :
Agression de la vulnérabilité enfantine : violence, pornographie, mise en cause
des fondements sociaux. Tout cela me semble plus important que la critique sur
la nudité. Ou alors, pourquoi Orsay expose-t-il Manet et son "Origine du Monde"
? En somme, scandale oui, sadisme non ! *Réaction à la proposition de loi
"visant à créer un délit d'atteinte à la dignité de l'homme et de la femme par
l'image publicitaire", publiée le 5 mars par l'Assemblée nationale (N° 615).
(Cf. La Correspondance de la Publicité et le Figaro Economie du 6 mars 2003).