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Au vrai bonheur du bricolage avec l'histoire

"Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme", c'est un peu la morale du commerce telle qu'on peut la lire si l'on met en perspective certains aspects du XIXe siècle et la dernière manifestation du BHV consacrée à l'art contemporain.

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La modernité, à tant s'ébahir d'elle même et de ses innovations, en oublie parfois la prudence de regarder dans le rétroviseur de l'Histoire. La manifestation d'art contemporain proposée par le BHV, du haut de ses cent quarante-cinq ans d'expérience en donne l'occasion. Elle incite à se questionner sur le commerce d'aujourd'hui. Le XXIe démériterait-il bien moins de certaines idées du XIXe siècle qu'on ne le pense ? Les grands magasins, pour la plupart, sont nés entre 1850 et 1900. Cette époque est marquée par une explosion démographique, un accroissement de l'épargne, le développement des moyens de transport, la réalisation des grands travaux d'urbanisme du Baron Haussmann, la naissance de la grande presse et de la publicité. Le roman d'Emile Zola "Au Bonheur des Dames" met en scène "le haut commerce" et l'irrésistible ascension d'Octave Mouret, patron de grand magasin et dont la personnalité n'est pas éloignée de certains de nos "nouveaux maîtres du monde" : « Mouret se jetait en poète dans la spéculation, avec un tel faste, un tel besoin du colossal, que tout semblait devoir craquer sous lui. »* L'intention d'Emile Zola était de décrire l'euphorie commerciale individuelle et collective qui était en train de gagner l'ensemble de la société.

La naissance de l'économie de marché


« Je veux faire le poème de l'activité moderne. Donc, changement complet de philosophie : plus de pessimisme d'abord, ne pas conclure à la bêtise et à la mélancolie de la vie, conclure au contraire à son continuel labeur, à la puissance et à la gaieté de son enfantement. En un mot aller avec le siècle, exprimer le siècle qui est un siècle d'action et de conquête, d'efforts dans tous les sens. (... ) Ensuite, comme conséquence, montrer la joie de l'action et le plaisir de l'existence ; il y a certainement des gens heureux de vivre, dont les jouissances ne ratent pas et qui se gorgent de bonheur et de succès », écrivait-il en 1883 dans l'Ebauche de "Au Bonheur des Dames".

La règle d'or des nouvelles techniques de vente


Cette intention optimiste qui contraste avec l'ensemble de son oeuvre, anticipe sur l'esprit et les actions du marketing et de la publicité. « La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an trois cent mille francs de catalogues, d'annonces et d'affiches. Pour sa mise en vente des nouveautés d'été, il avait lancé deux cent mille catalogues, dont cinquante mille à l'étranger, traduits dans toutes les langues. Maintenant, il les faisait illustrer de gravures, il les accompagnait même d'échantillons collés sur les feuilles. C'était un débordement d'étalages, le Bonheur des Dames sautait aux yeux du monde entier, envahissait les murailles, les journaux, jusqu'aux rideaux des théâtres. »* Zola, dans l'esprit du naturalisme, observe la mutation des espèces, l'adaptation à laquelle les soumettent les changements de milieu et de culture dans une métropole en pleine évolution. Il décrit un écosystème des passions et des forces. La machine commerciale s'emballe selon une conception darwinienne de la lutte pour la vie et la survie des plus forts. Ne parle-t-on pas aujourd'hui de darwinisme numérique ! Dans le contexte historique de l'époque de Zola seuls les individus capables de s'adapter à cette dynamique peuvent la tourner à leur avantage et influer sur elle. Dans un monde où l'argent est considéré comme vecteur de civilisation et de progrès. Zola explique le triple mécanisme mis en oeuvre dans les nouvelles techniques de vente : financier, commercial et passionnel. Accumuler les marchandises, baisser le prix de marques connues, ne prendre qu'une marge réduite, attiser le désir d'achat. « Au sommet, apparut l'exploitation de la femme. Tout y aboutissait, le capital sans cesse renouvelé, le système de l'entassement des marchandises, le bon marché qui attire, la marque en chiffres connus qui tranquillise. C'était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu'ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l'avoir étourdie devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d'abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée. En décuplant la vente, en démocratisant le luxe, ils devenaient un terrible agent de dépense, ravageaient les ménages, travaillaient au coup de folie de la mode, toujours plus chère. (...) Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire hardi et vous vendrez le monde. »* Ce n'est pas l'esprit du BHV. Placé au coeur du quartier du Marais, son rayon bricolage fait le bonheur tant des "dames" que des "messieurs". Ce lieu résonne avec le sens premier du mot commerce qui signifie avoir relation avec. Car le sous-sol du magasin avec son charme poétique et son récent Bricolo Café est aussi un lieu de rencontres, comme l'a relaté un récent article du Monde. Anticiper sur son époque, c'est savoir activer les liens avec son histoire pour mieux en tisser de nouveaux avec la société de son époque, Ainsi, pourra-t-on peut-être écrire de la manifestation du BHV : « De proche en proche, le brouhaha s'élevait, devenait une clameur de peuple saluant... » l'art contemporain.** * Les citations sont extraites de "Au Bonheur des Dames", Emile Zola. Editions Pocket. ** La citation initiale d' "Au Bonheur des Dames" est : « devenait une clameur de peuple saluant le veau d'or. »

LES ARTISTES EN RAYON


« "Ready-made" objet manufacturé promu à la dignité d'oeuvre d'art par le choix de l'artiste. » Marcel Duchamp a ainsi produit avec ironie des oeuvres d'art à partir d'objets industriels : roue de bicyclette, urinoir, pelle à neige, porte-bouteille peigne à chien... Il en décrétera ainsi une trentaine. Ce "missionnaire de l'insolence", comme il se nommait lui-même a subverti les conceptions de l'art qui faisaient loi. Né en 1887, mort en 1968, il ne s'est affilié à aucune tendance esthétique. Il s'est exprimé sur le mode de ce qu'il appelait la "méta-ironie" en conjuguant boutade et détournement, humour et poésie. En 1914, il a signé un porte-bouteilles acheté au BHV. Il demeure l'un des grands inspirateurs de l'art contemporain. En résonance avec son travail, Andrée Putman a invité des artistes au quatrième étage du BHV, parmi lesquels, Gérard Deschamps, Fabrice Hybert, ou encore Annette Messager. Expostion "Le BHV inspire les artistes", du 28 février au 24 mars. BHV Rivoli (Paris).

Stirésius

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