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Au panthéon des illusions perdues

Le surréalisme prônait la révolte et la subversion tous azimuts. D'où vient-il alors, que la visite de l'exposition* qui lui est consacré fasse penser à une procession funèbre qui célébrerait, dans la démagogie médiatique ambiante, la mort des élites intellectuelles et artistiques ?

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«L'image surréaliste la plus forte est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé, celle qu'on met le plus longtemps à traduire en langage pratique (...) », expliquait, en 1938, André Breton dans le Dictionnaire abrégé du surréalisme. C'est dire ô combien les installations d'art contemporain, les vidéo-clips, les constructions interactives et les créations multimédia s'inspirent des voies ouvertes par les surréalistes. Une ironie du sort pour celui qui écrivait aussi : « Depuis plus d'un siècle, la dignité humaine est ravalée au rang de valeur d'échange. Il est déjà injuste que qui ne possède pas soit asservi par qui possède, mais lorsque cette oppression dépasse le cadre d'un simple salaire à payer, et prend par exemple la forme de l'esclavage que la haute finance internationale fait peser sur les peuples, c'est une iniquité qu'aucun massacre ne parviendra à expier. Nous n'acceptons pas les lois de l'Economie et de l'Echange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et, dans un autre domaine, nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. » Mais le mouvement surréaliste et sa subversion ont, depuis longtemps, été digérés par le marché. La vertu de l'exposition "La révolution surréaliste"*, du centre Pompidou, nous permet de voir à quel point chorégraphes, stylistes, peintres, designers ont été influençés par ce mouvement protéiforme. L'exposition rassemble plus de six cents oeuvres d'une soixantaine d'artistes. Elles proviennent des ressources du Centre Pompidou, de celles des plus grands musées et de collections particulières. Le visiteur est confronté aux oeuvres de Max Ernst, Giorgio De Chirico, Dora Maar, Hans Bellmer, Alberto Giacometti, Juan Miro, Man Ray, André Masson, René Magritte, Salvador Dali, Yves Tanguy, Victor Brauner... Ces artistes n'ont cessé d'associer fidélité vériste du détail, trompe-l'oeil et bricolages pour donner naissance à de nouvelles esthétiques et bouleverser les codes des représentations du monde. C'est Werner Spies, spécialiste de Max Ernst et de Picasso, qui a conçu l'exposition. « Le surréalisme s'inscrit dans le traditionnel processus de révision historique. Jusqu'aux années 60, l'impressionnisme était la seule référence. Le grand public découvre maintenant le mouvement suivant : le surréalisme. D'autant qu'il s'agit d'une lame de fond qui a traversé tout le XXe siècle. Matisse est peut-être le seul grand artiste occidental qui lui soit resté totalement étranger. Et sans doute l'esprit du surréalisme comble-t-il un manque particulièrement criant aujourd'hui ; le dépassement de la réalité, le jeu onirique avec l'imprévisible en font un ersatz de religion, une épiphanie tant attendue (...). Le surréalisme s'accorde bien avec le post-modernisme actuel lequel permet la juxtaposition de tous les styles. L'injonction de Duchamp qui assure vouloir "échapper au look" prend tout son sens aujourd'hui, quand la plupart des artistes changent constamment de médium et de propos. De nombreuses créations contemporaines sont issues de ce mouvement de l'entre-deux guerres, que ce soit le body-art, la performance ou l'art éphémère », affirme-t-il**. Ces propos tendent à délivrer aux surréalistes un code de bonne conduite. N'est-ce pas un peu vite oublier que ceux-ci ont tiré à boulets rouges contre l'Eglise, la société, le progrès, la politique, l'économie... Le surréalisme prônait le renouvellement de toutes les valeurs aussi bien morales que scientifiques et philosophiques. Il est né du mouvement dada qui se voulait d'une subversion totale. André Breton, Philippe Soupault, Paul Eluard, Louis Aragon furent d'abord surréalistes. C'est en 1922 qu'ils rompent avec Tristan Tzara et le dadaïsme. En 1924, André Breton publie le Manifeste du surréalisme dont il donne cette définition. « Surréalisme : automatisme psychique par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » Les surréalistes se distinguent par leurs scandales et leurs actions subversives : manifestation et pamphlet à la mort d'Anatole France, bagarre à la Closerie des Lilas à propos de Saint-Pol Roux, lettre ouverte à Paul Claudel, déclaration contre la guerre du Rif... Ils découvrent Marx, Lénine et Trotsky. Puis, André Breton se met en posture de pape du surréalisme. Il lutte à la fois contre ceux qui veulent en faire un mouvement artistique et ceux qui veulent le limiter à des activités artistiques. Crises et exclusions. Le groupe participe à des manifestations politiques contre l'Exposition coloniale, contre le fascisme avec le comité de vigilance des intellectuels, contre la préparation à la guerre tout en continuant ses productions multiformes. La Seconde Guerre mondiale sonne le glas du surréalisme qui déplace ses actions aux Etats-Unis. Est venu le temps où ce mouvement, qui prêchait la toute puissance du rêve, des pulsions, de l'inconscient, du désir, de la révolte contre l'ordre social, moral et logique, a été intégré au paysage culturel. Ses forces vives ont connu quelques soubresauts avec mai 68 et les valeurs des années 70. Il y a longtemps, du temps où les élites n'étaient pas que financières et où le reality show n'existait pas. Ce qui explique un certain malaise que l'on peut éprouver lors de la visite de l'exposition "La révolution surréaliste" comme s'il s'agissait d'un panthéon... *Jusqu'au 24 juin Centre Pompidou Tél. : 01 44 78 12 33 **In Télérama hors-série "Sous le signe du rêve, la révolution surréaliste".

Stirésius

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