Art et commerce, vers de nouvelles affinités électives
"Le BHV inspire les artistes", exposition d'art contemporain : s'agirait-il d'une accroche de plus pour épater la galerie et se démarquer version parachutage des autres grands magasins ? Quelle est la légitimité d'une telle manifestation ? Quel est le nouveau bricolage entre magasins-galerie d'art et musées-magasin ?
«Nous avons simplement recherché la cohérence. Nous poursuivons notre
volonté d'intégration à un quartier en pointe sur toutes les tendances. Il n'y
a pas de rupture avec le BHV de 1846. Cela fait cent cinquante ans que nous
sommes là pour accompagner la vie du quartier et évoluer avec lui. Nous sommes
installés dans la durée, bien ancrés dans nos racines », explique Olivier
Perret du Cray directeur marketing du BHV. Et d'ajouter : « Le parcours
artistique que nous proposons vise à montrer qu'un grand magasin n'est pas fait
uniquement pour vendre, qu'il peut être aussi un lieu d'inspiration. Pour nous,
cette manifestation est légitime dans un quartier au coeur de nos
préoccupations, Paris-Marais. Nous ne nous revendiquons pas avant-gardistes, ni
ne nous sentons opportunistes. Nous sommes simplement en concordance avec les
mouvements de la société, comme le prouve, par exemple, notre liste de PACS. »
A Noël dernier, le BHV avait déjà demandé à Andrée Putman de concevoir un
projet pour ses vitrines. Il avait donné naissance à un remarquable ensemble
qui laissait loin derrière les sempiternels automates et les paillettes en
folie des jours de fête. « Nous voulons être Le référent en matière
d'aménagement de la maison. Nous souhaitons privilégier le bricolage de mise en
oeuvre et non celui d'objectif, du bricolage pour le bricolage. Ce qui permet
de personnaliser son intérieur et de s'y sentir bien. Nous situons cette
activité au carrefour de la décoration, du design et de la mode. Nous
travaillons déjà avec des signatures de la mode, de l'art et du design. Il
s'imposait à nous de poursuivre avec Andrée Putman dont on connaît l'élégance
de l'éclectisme et ses affinités électives avec les artistes contemporains »,
affirme le directeur marketing du BHV. « L'idée de "Le BHV inspire les
artistes" n'est en effet pas usurpée. Curieusement, ce magasin attire
énormément les artistes », déclare Andrée Putman. Ainsi, le prochain mot
d'ordre va-t-il être le magasin au musée et la galerie d'art dans le magasin ?
« C'est une réconciliation, si l'on veut être optimiste, entre l'art et le
commerce. Mais elle traduit surtout l'immensité d'un phénomène, la puissance
d'une vague déferlante. La culture est à la mode. Les artistes Pop ont un peu
été les oncles de ce mouvement. Ils ont trouvé une sorte de poésie, d'éclat
dans le commerce qui se sont transformés en art, avec un humour parfois
involontaire. Une sorte d'intercommercial s'est constitué entre la culture,
l'art et la rue », ajoute Andrée Putman.
Un outil au service des musées
Mais que devient le rôle de la Réunion des Musées Nationaux
si les magasins se piquent de devenir des sortes de galerie ou de musée ? «
Depuis trois ans, nous avons organisé pour Carrefour vingt-cinq expositions
dans des galeries commerciales où le distributeur est implanté. Certaines vont
aller à l'étranger. Le monde de la culture a pris conscience qu'organiser des
expositions didactiques, acquérir des oeuvres, sauvegarder le patrimoine avec
la volonté de faire passer un message n'était pas en contradiction avec le
commerce », explique Jean-Jacques Lugbull, directeur des services éditoriaux et
commerciaux de la Réunion des Musées Nationaux. La RMN avec son réseau de
boutiques, de distributeurs et de revendeurs, ses succursales à l'étranger et
son e-commerce prétend non pas exploiter une image mais la servir en étant un
outil au service des musées. Le client est de plus en plus au centre de ses
préoccupations. « Les visiteurs sont chaque fois plus nombreux à avoir envie de
rentrer chez eux avec un "morceau" du musée ou d'une exposition qui leur
raconte une histoire. Tous nos produits ont la caution du conservateur. Nous
cherchons surtout à éviter les horreurs des boutiques de souvenirs de la rue de
Rivoli », indique Delphine Caloni, responsable du département des produits
dérivés de la RMN. Ainsi, si la culture est à la mode qu'il en soit profité
pour qu'elle devienne un désir durable de culture. Le marketing européen ne
saurait que mieux s'en porter pour accompagner les évolutions de la société
voire les anticiper.