Agences interactivesComment Internet change la donne
Ce qui n'était au départ qu'un média annexe est en train de bouleverser en profondeur la manière dont les annonceurs envisagent leur communication. Gros plan sur les agences interactives, situées en plein coeur de cette révolution.
Je m'abonnePlace le Web au centre de ta communication, ou tes clients s'en chargeront! Cette invective résume bien la réalité à laquelle sont aujourd'hui confrontés les annonceurs. Il n'est plus temps de se demander quelle place doit prendre le Net au sein d'une stratégie marketing. Les internautes passent tellement de temps à donner leur point de vue sur tel produit ou tel service, qu'une société qui choisirait de délaisser ce média rendrait d'autant plus visibles les avis de ses clients. Avec tout le danger que cela représente, bien entendu... Heureusement pour elles, les entreprises françaises en sont de plus en plus conscientes. Selon les chiffres 2008 du baromètre de Limelight Consulting, 74 % des annonceurs ont déjà communiqué en ligne et 57% sont allés jusqu'à faire de la conquête sur la Toile.
Voilà pourquoi les agences interactives aussi appelées agences digitales ou web agencies - se retrouvent au centre de toutes les attentions. Chargées d'accompagner les annonceurs dans leur exploitation des nouveaux médias (Web et mobile), elles voient leur activité exploser avec une croissance de leurs budgets estimée à 38% pour 2008, selon l'Association des agences-conseils en communication (AACC). Et, preuve de l'intérêt des grands noms de la communication pour le secteur, ces deux dernières années, les principaux pure players sont tombés l'un après l'autre dans leurs escarcelles. Tandis que Publicis s'offrait le leader Digitas, son challenger, Duke, gagnait le giron de l'Américain Razorfish, filiale de Microsoft. Citons aussi le rachat de Kassius par Young & Rubicam et le transfert de Megalo(s) vers CRM Company. Sans oublier l'acquisition de Nextedia par Lagardère Active.
Le mouvement est tel qu'il devient délicat de parler de secteur en tant que tel, maintenant que tous les poids lourds ont perdu leur indépendance. L'appel lation d agence interactive est en passe de devenir un fourre-tout et un titre dont tout le monde se prévaut.
Stéphane amis (digitas): «les annonceurs doivent désormais accepter de ne pas maîtriser 100% de ce qui se dit de leurs produits sur internet. tout un pan de la conversation se passe sur les forums et la marque prend un grand risque à vouloir y mettre son grain de sel.»
Une nouvelle relation digitale
Intégrée ou non aux agences globales, l'offre de conseil en stratégie digitale n'en modifie pas moins le marketing de marque en profondeur. «En premier lieu, il change la relation entre le consommateur et l'annonceur car c'est quasiment le premier qui décide à la place du second, explique Pascal Dasseux, CEO de Havas Digita Par exemple, il a suffi que les internautes se plaignent de la surface rayable des premiers MP3 Nano pour qu'Apple corrige tout de suite le tir avec de nouveaux produits.» Et l'immense succès des Face- book et autres MySpace ne va faire qu'amplifier les choses. De plus, l'avènement du Web a créé un marketing «on demande». Autrement dit, c'est l'internaute qui appelle le contenu et non l'inverse, comme pour une campagne télévisée ou d'affichage. «Résultat, celui qui crie le pi us fort n'est pas forcément le plus aimé, donc pas obligatoirement le plus demandé», constate Franck Farrugia, président de l'agence d'achat de conseil et d'espaces Re-mind. Les marques doivent aussi tenir compte du phénomène C to C (consumer to consumer). Stéphane Amis, le directeur général France de Digitas, estime «qu'ilfaut désormais accepter de ne pas maîtriser ioo% de ce qui se dit de ses produits sur le Web. Tout un pan de la conversation se passe sur les forums et la marque prend un grand risque à vouloir y mettre son grain de sel». Une récente enquête d'OTO Research montre d'ailleurs que les échanges su r les sites d'avis de consommateurs impactent la perception des marques par les internautes français et influencent leurs décisions d'achat à 59 %.
Antoine de la steyrie (FullSiX)
Antoine de la steyrie (FullSiX): «il nous faut prendre en compte le Fait que l'internaute devient de moins en moins tolérant envers les erreurs de ciblage des annonceurs. l'interactif a créé une exigence inédite dans la pertinence des messages.»
Utilité en ligne
Bref, fichu consommateur, qui devient, en outre, de moins en moins tolérant envers les erreurs de ciblage des annonceurs. «L'interactif a créé une exigence inédite dans la pertinence des messages», remarque Antoine de Lasteyrie, directeur associé de l'agence FullSIX. «Notons toutefois qu'en contrepartie, l'annonceur qui s'y prend bien a tout à y gagner, considère Davy Ea, directeur associé de Mazarine Digital. Par exemple, notre base de données ultra-pointue des clients du spécialiste du cachemire Eric Bompard nous permet d'aller jusqu'à personnaliser sa newsletteren mettant en avant des pulls à la couleur favorite de chaque internaute.» Face à toutes ces contraintes, plus question de se contenter d'un site bien fait. Pour les marques, l'enjeu consiste à dépasser leur statut d'annonceur sur Internet afin d'en devenir un acteur. Certaines l'ont très bien compris, à l'image de Nike avec Nike +. Le fabricant de chaussures a créé une véritable communauté permettant aux coureurs d'échanger leurs impressions, de construire un plan de course, d'établir un planning de préparation... «Aujourd'hui, le métier des agences digitales consiste donc à accompagner les marques dans la définition et la conception d'un second coeur de métier spécifique au Web», estime Mathieu Morgensztern, dirigeant de BETC 4D et président de la délégation interactive de l'AACC. Mathieu de Lesseux, le patron de l'agence Duke, confirme: «Notre rôle central est finalement d'aider nos clients à démontrer leur utilité en ligne. Le rapport marque/consommateur est de plus en plus basé sur le service que le second attend de la première. C'est une révolution qui n'aurait jamais vu le jour sans Internet.» C'est dans cette optique que l'agence FullSIX a convaincu la banque LCL de développer un site institutionnel, qui accorde davantage d'importance aux grandes questions d'argent (retraite, impôts...) qu'aux informations corporate de la marque. «Par le référencement naturel, ces contenus permettent de faire remonter LCL.com sur des requêtes très génériques type «Comment préparer ma retraite'', détaille Antoine de Lasteyrie, de FullSIX. Une fois capté, le visiteur pourra être redirigé vers le site produit LCL.fr s'il le désire.» Pour remplir ce rôle d'apporteur de services, les agences doivent aussi prendre garde à ne pas passer à côté de la dernière technologie en vue. «L'exemple le plus parlant est celui de Twitter, estime Mathieu de Lesseux. Il y a un an, personne ne parlait de ce site de messagerie instantanée [qui permet d'indiquer à ses contacts ce qu'on est en train de faire, NDLR]. Mais depuis qu'Obama s'est mis à l'utiliser à tout va pendant sa campagne, nous nous devons de proposer à nos clients des actions liées à ce mode de communication.» Pour autant, attention au panurgisme de certains annonceurs... «En 2006, toutes les agences se sont vues réclamer du film viral, se souvient Sabine Maréchal, directrice stratégique de l'Agitateur e-Media. Y compris pour des opérations de CRM, ce qui est une aberration quand on sait que le marketing viral sert en priorité à travailler les valeurs de la marque et l'empathie avec la cible.» En 2007, c'est Second Life qui a enflammé les esprits, avant de laisser sa place aux réseaux sociaux dans le coeur des annonceurs. La plupart des experts du marketing digital s'alarment de cette tendance à imiter son voisin. «Cela nuit énormément au recul stratégique et nous prive de notre rôle de conseil, regrette Sabine Maréchal.
Il en résulte pafois des opérations décevantes.» Une amertume partagée par l'agence X-Prime. «Il faut bien comprendre que l'internaute est un client plus difficile que la même personne approchée en off line, pointe son directeur général François Garcia. Lorsqu'une marque utilise n'importe comment les innovations du Web, elle devient vite ringarde.»
Le Web, un vecteur d'image
Puisqu'on en est aux reproches, les entreprises semblent, elles aussi, en avoir quelques-uns à exprimer aux professionnels de la communication on line, notamment celui concernant le taux d'ouverture des campagnes d'e-mailings. «Il est en baisse constante, reconnaît Davy Ea, de Mazarine Digital. Les internautes sont aujourd'hui noyés sous les e-mails promotionnels qui, s'ils ne sont pas pafaitement ciblés, sont jetés directement à la poubelle. Le problème est d'ailleurs le même avec le taux de clics des bannières de publicité, qui est de moins en moins satisfaisant.» Deuxième grief des annonceurs à l'encontre du digital: l'impact précis sur le business. Difficile de mesurer les ventes incrémentales en magasin d'une action de marketing on line autre que le CRM. «Nous devons progresser sur ce point, notamment en organisant davantage de groupes consommateurs», admet Mathieu de Lesseux, le patron de Duke. Enfin, le ciblage de plus en plus fin, permis par le digital, n'est pas sans inquiéter les marques. «Certaines craignent de passer pour de véritables Big Brother vis-à-vis des consommateurs, constate Stéphane Amis, de Digitas. Mais cela relève du fantasme. Pour nos campagnes, nous exploitons finalement des données assez basiques et sans rapport avec la véritable intimité des personnes.» Les défis liés au marketing digital ne manquent donc pas pour les années à venir. Le premier d'entre eux étant, bien sûr, l'Internet mobile à travers la téléphonie. Il devrait, à son tour, impacter en profondeur la communication des marques. Autre sujet phare dans les agences: faire admettre aux entreprises que le Net n'est pas qu'un outil d'accélération des ventes. «Lorsqu'on leur présente une stratégie on line, trop d'annonceurs raisonnent encore uniquement en termes de ROI, alors que le Web devient un vecteur d'image incontournable, note Stéphane Amis. Il faut bien comprendre que de plus en plus de consommateurs jugent une marque avant tout à travers son site.» Les agences, et en particulier les pure players, réfléchissent aussi sur la place que prendra le digital dans le marketing des annonceurs. «Nous allons occuper une position de plus en plus centrale, parie Pascal Dasseux, de Havas Digital. Souvent traités à tort en marge des stratégies de communication, nos services vont peu à peu s'imposer dans toutes les strates du marketing. Les mécaniques de mesure, établies pour les médias interactifs, se répandront dans les autres médias au fur et à mesure qu'ils passeront à l'ère numérique.» Autrement dit après avoir changé la donne du marketing de marque, le digital s'apprête à devenir son alpha et son omega.
Mathieu de lesseux (Duke): «il demeure difficile de Mesurer les ventes incrementales En Magasin D'une action DE Marketing on line autre que le crm. nous Devons Donc progresser sur ce point, notamment En organisant Davantage de groupes consommatteurs.»
MC Donald's, chanel et Playstation, trois exemples de marketing interactif
Opération transparence, contenus exclusifs à l'iPhone et création d'une communauté: trois campagnes en ligne qui démontrent que la communication interactiv permet de nombreuses approches.
McDonald's a demandé à Duke, son agence interactive, de réfléchir à une idée pour lutter contre la mauvaise réputation dont est parfois victime la chaîne de fast-food. Le principe retenu? Ouvrir ses portes en grand au consommateur en lui donnant ensuite la possibilité de raconter sur le site tout ce qu'il a pu voir en se rendant là où personne ne va jamais. L'entreprise appelle cela ses «témoins qualité». Environ 400 anti McDo ont été recruté par Internet, puis une vingtaine a été sélectionnée pour aller visiter les restaurants mais aussi ses principales filières d'approvisionnement (tomates, blé, pommes de terre, poulet et boeuf). Chaque internaute retenu a tourné les images qu'il souhaitait de sa visite, puis l'agence en a fait un film pour le site, dont le montage a été validé par les «témoins qualité». Plusieurs d'entre eux sont par ailleurs interviewés selon le bon vieux principe du avant/après. Sylvie, assistante commerciale, nous explique par exemple qu'elle a été enchantée de découvrir que les tomates de son hamburger ont été cultivées sans pesticides. Dominique, retraité, parle de «malbouffe à l'américaine» en début de journée et nous explique, après avoir vu l'envers du décor, qu'il s'attendait à une restauration beaucoup plus industrialisée que ce qu'il a vu...
Des défilés haute couture sur votre téléphone mobile, c'est l'idée qu'a eue l'agence Mazarine Digital pour son client Chanel. Et pour renforcer la dimension exclusive de cette campagne, seuls les propriétaires de l'iPhone y ont accès. Il leur suffit de télécharger gratuitement l'application ad hoc sur l'iTunes Store pour accéder aux vidéos du dernier défilé de la marque. L'opération est renouvelée six fois par an. Grâce aux diverses fonctionnalités de l'écran tactile, les mobinautes peuvent par exemple découvrir des focus sur les accessoires des mannequins leur téléphone. Autre idée de l'agenc la boutique Chanel la plus proche est indiquée via une carte interactive Google Maps.
Sony a proposé aux fans de la PlayStation, il y a un peu moins de cinq ans, d'ouvrir sur le site de la marque leur propre blog afin d'écrire sur leur passion. La mayonnaise a si bien pris que Sony a décidé de créer une «Player Republic», sorte de Facebook des fans de la PlayStation. Chaque membre peut entrer en contact avec ses condisciples pour disserter sur le graphisme de Résistance 2 ou la jouabilité de World Tour Soccer. Les joueurs s'y expriment librement et critiquent parfois vivement les jeux du fabricant. Reste qu'on estime que plus de trois quarts des gros utilisateurs de cette console sont membres de cette Player Republic. Un territoire d'observation phénoménal pour la marque, ainsi qu'une base de données clients à faire rêver plus d'un marketeur. En effet, chaque membre de la Republic doit renseigner Sony sur les jeux qu'il ne possède pas encore mais qu'il souhaiterait gagner grâce à un tirage au sort quotidien organisé par la marque.
Le Web mobile séduit les agences
Média émergent, le Web sur mobile devrait, à son tour, prendre une place centrale dans les plans de communication.
Convenons-en, l'intérêt suscité par l'Internet mobile est inversement proportionnel à la taille de son marché. Ne serait-ce qu'en termes d'audience européenne, les 200 millions de pages vues mensuelles avec publicité (PAP) ont de quoi faire sourire face aux 60 milliards de l'Internet classique. Selon l'Idate, il ne représente que 1,5% de la publicité en ligne, soit environ 100 millions d'euros au niveau européen. Se pose aussi la question du nombre réel d'utilisateurs de mobiles qui se connectent sur le réseau. Faute de statistiques fia bles, les estimations vont de 1 à près de... 12 millions de mobinautes en France. Même si la vérité se situe sans doute entre ces deux extrêmes, la navigation, encore loin d'être aussi rapide que sur un ordinateur, freine la démocratisation de l'Internet mobile.
Reste à savoir combien de temps cette niche le demeurera... La fin du monopole d'Orange dans la distribution de l'iPhone pourrait notamment précipi ter les choses. Et après? «Etant donné le rapport intime que nous entretenons tous avec notre mobile, le potentiel d'interaction entre les marques et les mobinautes est immense, estime Davy Ea, directeur associé de Mazarine Digital. En tout cas, bien plus élevé qu'avec l'Internet de bureau.» Exception faite du patron de l'agence Duke, Mathieu de Lesseux, qui affiche un grand scepticisme vis-à-vis de la communication de marque sur un écran de quelques centimètres carrés, toutes les web agencies sollicitées lors de cette enquête attendent avec impatience l'envol de ce nouveau média. C'est plutôt sur la manière d'approcher le consommateur qu'apparaissent les divergences. Selon Pascal Desseux, CEO d'Havas Digital, «lorsque les terminaux et la vitesse de téléchargement auront atteint un certain seuil, on trouvera des solutions convergentes avec le Web classique, tant sur les formats publicitaires que pour les systèmes de mesure de performance». Stéphane Amis, directeur général de Digitas, le leader français sur le marché du marketing interactif, estime lui aussi que, mises à part les contraintes techniques, Internet mobile et classique relèvent de la même démarche. Un point de vue opposé à celui de Franck Farrugia, pdg de Re-Mind: «Appliquer à l'identique les recettes du Web au mobile nous semble aberrant. Pour l'instant, diffuser de la publicité mass media, telle qu'une bannière sur un mobile, revient à utiliser un Hummer pour rouler dans Paris. De même, l'exploiter en push marketing direct équivaut à vendre des encyclopédies en porte-à-porte... Il faut plutôt envisager ce média comme un moyen d'accéder à des informations complémentaires, à disposition du consommateur quand il le veut et comme il le veut.» C'est l'option développée par FullSIX pour son client LCL immobilier. Le site web propose des contenus pour piloter son projet immobilier, tandis que la version mobile se focalise sur des fonctionnalités utiles lors de la visite d'un bien, telles que la localisation des commodités autour de la maison ou de l'appartement convoité. Laquelle de ces deux logiques l'emportera? Réponse d'ici deux à trois ans, peut-être moins. «En espérant que cela ne tarde pas trop, lance toutefois Sabine Maréchal, directrice stratégique de l'Agitateur e-Media. Car pour l'instant, la réticence et la fébrilité des annonceurs sur ce média freinent grandement le développement de la communication mobile. C'est d'autant plus dommage qu'elle a déjà prouvé son efficacité en Asie et même en Grande-Bretagne.»
Davy Ea (Mazarine Digital):
«ETANT DONNE LE RAPPORT TRES INTIME QUE NOUS ENTRETENONS TOUS AVEC NOTRE MOBILE, LE POTENTIEL D'INTERACTION ENTRE LES MARQUES ET LES MOBINAUTES EST ENORMES.EN TOUT CAS, BIEN PLUS ELEVE QU'AVEC L'INTERNET DE BUREAU.»
Pascal Dasseux (Havas Digital):
«LORSQUE LES TERMINAUX ET LA VITESSE DE TELECHARGEMENT AURONT ATTEINT UN CERTAIN SEUIL, ON TROUVERA DES SOLUTIONS CONVERGENTES AVEC LE WEB CLASSIQUE,TANT SUR LES FORMATS PUBLICITAIRES QUE POUR LES SYSTEMES DE MESURE DE PERFORMANCE»»
Franck Farrugia (RE-MIND):
«IL FAUT ENVISAGER CE MEDIA COMME UNE POSSIBILITE D'ACCEDER A DES INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES, A DISPOSITION DU CONSOMMATEUR QUAND IL VEUT ET COMME IL LE VEUT.»