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Agences Médias : éviter le mélange des genres

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Même si l'achat reste leur fond de commerce, plus question de les appeler “centrales d'achat d'espace”, le terme les agace. Poussées par la conjoncture et par la complexité accrue des médias, elles sont devenues conseils en médias. Un rôle de composition à transformer en premier rôle.

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Son nom est un peu un clin d'œil à l'évolution du secteur. Regenere, agence de communication globale spécialiste des 7 - 24 ans, vient, d'entrer dans le giron du groupe Aegis Media France, maison mère de l'agence Carat. Via cette reprise, qui fait suite à une liste déjà longue de diversifications de territoires, le groupe s'ancre un peu plus profondément dans l'univers d'une nouvelle génération d'agence médias. Et conforte une stratégie que Laurent George, directeur de la stratégie d'Aegis Media France, résume ainsi : « Donner une vision à 360° de la communication, c'est-à-dire intégrer les médias au sens large dans la réflexion stratégique des marques et des entreprises, proposer aux annonceurs un spectre étendu de solutions en médias et hors-médias et assurer leur mise en œuvre et leur suivi. » Une mission éloignée de l'achat d'espace, activité à l'origine de l'agence, comme de celle de nombre de ses consœurs. Agence conseil pour certains, « boîte à idées », pour Bertrand de Lestapis, P-dg de MPG, qui renvoie les centrales à la préhistoire et les agences médias au Moyen Age, ces structures n'en finissent plus d'accélérer une mutation que le marché relie à toute une série de facteurs. « Ce sont des éléments extérieurs comme la loi Sapin qui ont poussé les centrales d'achat, comme on les appelait encore à l'époque, à revoir leur système de marge arrière et à passer d'un système de grossiste à un système d'honoraires de services, analyse Pierre Conte, P-dg d'OMD. Et la complexité des choix médias et des moyens mis à la disposition d'une marque pour toucher une cible donnée a conduit à ne plus se satisfaire d'un médiaplanning basique, mais à élargir le spectre de la réflexion. » Chez Initiative Media, Marc Ferron, directeur du planning stratégique, ajoute que « le fait que les annonceurs se soient sérieusement “professionnalisés” dans la gestion des investissements et des moyens joue fortement dans les éléments déclencheurs de cette évolution. » Ce que Bertrand de Lestapis résume en estimant que « les annonceurs (nous) demandent d'être une agence d'idées, ce qui implique d'abandonner la récurrence des plans et des stratégies monolithiques et de travailler les médias pour qu'ils soient de véritables leviers pour leurs marques. Tout ce qui ne répond pas à une justification marketing n'intéresse pas l'annonceur. » Ce rôle d'agence conseil, qui prend de l'envergure, n'est pas vraiment une nouveauté, selon Michel Heulin, directeur général adjoint de MindShare : « La négociation est un acquis. On revient à la notion de conseil qui était au centre des activités des départements médias avec, aujourd'hui, une plus grande sophistication des outils. Pour nous, ce n'est pas une révolution, car nous n'avons jamais été une centrale d'achat pure et dure, la notion de conseil a toujours été dans nos gènes. »

Des structures boîtes à outils


Soit. Mais qu'il s'agisse d'un retour ou d'une évolution, cette marche en avant est dictée par des considérations économiques. Comme le note ce responsable de la publicité d'un poids lourd de la téléphonie mobile, « les agences médias ont des problématiques de rentabilité comme toutes les entreprises. L'achat d'espace leur rapportant moins qu'avant, il leur faut trouver des solutions pour justifier des honoraires supplémentaires. » Un argument rejeté d'un revers de main par Bertand de Lestapis : « La rémunération est un faux problème. On a celle que l'on mérite, l'annonceur est prêt à rémunérer une idée nouvelle. La pression sur les prix est forte lorsque l'on est dans des prestations standard, des me-too. » Toutes ces raisons se matérialisent par des structures et des moyens en perpétuel mouvement. MPG, par exemple, a mis en place le mois dernier une nouvelle structure, baptisée Euromédia, « qui va être le second fer de lance de la branche médias d'Havas, et qui va nous permettre d'ouvrir un second front, ce qui est nécessaire quand on pèse 20 % du marché », déclare Bertand de Lestapis. Et de rappeler que tous les grands groupes de communication disposent de deux réseaux. A l'image de MPG, Euromédia se compose de business units, étanches et autonomes. Une organisation en rupture avec le modèle dominant et qui va permettre d'être en prise directe avec les marques et leurs marchés. « L'équipe actuelle de consultants n'a plus rien à voir avec les directeurs conseil des années 90, commente Bertrand de Lestapis. Aujourd'hui, pour un bon business unit manager, les médias ne sont qu'un des maillons du savoir-faire. Il est à la fois expert et plus généraliste, dans le sens où il a une formation et une culture liées à la communication et au marketing au sens large, pour proposer une stratégie d'idées aux annonceurs. » Cette mutation, qui a transformé MPG en une fédération de petites agences dédiées à la problématique de marque, sur le modèle anglo-saxon des sociétés en conseil stratégique, s'est achevée il y a quelques semaines. Le mouvement est en marche à cadence plus ou moins soutenue chez le plupart des poids lourds du marché. Selon Pierre Gaymard, directeur commercial d'Initiative Media, l'évolution a déjà abouti à ce que « les commerciaux stratèges acquièrent de plus en plus une culture pluraliste des moyens. » Chez OMD, l'activité études a été renforcée et de nouveaux moyens sont développés sur des métiers particuliers, comme OMD Concept, qui, partie du sponsoring, développe désormais toutes les formes d'intégration dans les médias, « dont le programme court qui est le plus dynamique aujourd'hui », estime Pierre Conte. Du côté de Carat, l'organisation des structures évolue au fur et à mesure des reprises d'entités spécialisées. Dans ces différentes agences, la fédération de pôles de consultants à forte valeur ajoutée va de paire avec le développement d'outils tous plus pointus les uns que les autres. Une tendance qui agace René Saal, directeur de Carat Expert : « Le problème est qu'il y a une sorte de banalisation du discours des agences médias qui utilisent le même vocabulaire, parlent des mêmes concepts mais qui, derrière tout cela, proposent très peu de vraies solutions. Or, il y a un gros enjeu pour l'avenir en termes d'études d'efficacité médias. Car il faut aller beaucoup plus loin encore pour comprendre la relation entre le consommateur, une marque et son média. » Mais Carat n'est pas seule à plancher sur ce chantier. Chez MindShare, Michel Heulin fait écho à René Saal : « Beaucoup reste à faire en termes d'études d'efficacité et d'outils d'aide à la stratégie de modélisation ». Les équipes insistent sur l'étude 3D, qui met en relation la consommation médias et l'état de la marque en termes de perception consommateur. Du côté d'Initiative Media, on annonce un gros projet pour l'an prochain.

Liaisons forcées


Le développement du conseil dans l'activité des agences médias a des répercussions sur le marché. A commencer par les relations entretenues avec les agences de publicité. « On est passé d'un stade où, dans les années 80, les deux mondes se faisaient la guerre, à une période d'indifférence jusqu'à récemment prendre conscience de la nécessité de travailler ensemble dans le cadre d'une politique de recherche de nouveaux leviers pour la marque », estime Bertand de Lestapis. « C'est un faux débat, plutôt entretenu par les agences de publicité pour préserver un pré carré économique. Mais ça n'a pas de sens, ajoute Laurent George. La réalité capitalistique et économique des groupes fait qu'il n'y a aujourd'hui que des groupes de communication. Raisonner autrement n'a plus de sens, on boxe tous dans la même catégorie. » Cette nécessité de boxer sur le même ring est le fruit de la volonté des annonceurs eux-mêmes. Comme le confirme Michel Heulin, « il y a globalement une très forte demande des annonceurs pour revenir au 360°, et pour que les agences médias et les agences de création travaillent ensemble. C'est criant, surtout chez les anglo-saxons, ce qui est logique car on parle tous de publicité. » Cette nécessité n'a pas échappé aux agences de publicité, certaines le vivant mieux que d'autres. « Il devrait y avoir de moins en moins d'enjeu sur le rôle des uns et des autres, et nos contacts doivent s'accroître, pour le plus grand enrichissement de chacun, estime Mercedes Erra, P-dg de BETC Euro-RSCG. L'agence de communication donne l'orientation des marques et des entreprises, l'agence médias donne la compréhension des moyens. » Mais pas question pour autant de ne plus jouer aucun rôle dans les stratégies médias : « Je continue de payer un service médias même si le client ne me paye pas pour cela, car n'avoir aucun rôle sur les médias, c'est spliter les responsabilités ». Un avis partagé par Michel Jeanclaude, vice-président d'Australie, agence qui intègre une structure en conseil de stratégie médias. « On se trouve en concurrence frontale avec les agences médias qui ont du mal à gagner leur vie avec les seuls achats. Mais on travaille de plus en plus ensemble. On a accéléré le mouvement depuis un an, car les délais sont de plus en plus courts. Je trouvais certains combats d'arrière-garde stériles. On commence à être satisfait de ce système, sachant que les choses sont plus faciles avec les agences issues de groupes de publicité. » Ce que confirme indirectement Pierre Conte : « Chez Omnicom, on a des cousins germains et, quand on peut bien travailler de concert pour un annonceur, on n'est pas dogmatique, on ne s'en prive pas. Les choses sont claires, la messe est dite. Les agences de publicité doivent s'habituer à voir les agences médias comme des sociétés adultes qui sont sur le même rang qu'elles. »Si les rapports entre ces deux parties s'installent progressivement dans un paysage médiatique en pleine évolution, il en va différemment des relations agences médias et médias eux-mêmes. Conseils des annonceurs, les agences se posent peu en conseils des régies. « C'est un sujet “touchy”, même s'il y a quelques sujets sur lesquels on peut être amené à travailler ensemble », dit-on dans une régie TV. « On ne peut pas être juge et partie », estime Marc Ferron chez Initiative Media, quand Pierre Conte, chez OMD, évoque des « relations parfois un peu incestueuses. » Moins radical, Michel Heulin, chez MindShare, pense que « la valorisation globale du métier peut générer plus de partenariats entre les agences médias et les régies, mais aussi rendre les premières plus exigeantes vis-à-vis des secondes ». C'est du côté de Carat que les rapports semblent les mieux établis. « On échange énormément avec les régies qui, elles-mêmes, travaillent beaucoup sur l'efficacité de leurs offres », déclare Laurent George. Un échange fortement dominé par Carat Expert où René Saal, avec son franc-parler habituel, estime que « les idées sont plutôt venues des agences médias qui ont plus le temps d'avoir une réflexion transversale que des régies qui ont plus le nez dans le guidon et qui voient les choses à travers l'angle de leur média. » Jusqu'où les agences médias iront-elles pour justifier leurs prestations de conseil ? « Le cœur de notre métier reste l'achat, mais ce qui nous est stratégiquement dédié est de plus en plus large », note Marc Ferron. « Cette prestation de conseil qui existe au quotidien est-elle suffisamment organisée pour aller plus loin ? Ce n'est pas sûr, s'interroge Michel Heulin, qui insiste sur « le développement de services supplémentaires mieux marketés, pour vendre encore mieux nos prestations, par des partenariats, si nécessaire. » « L'agence d'idées de demain, c'est celle que l'on est déjà en train de créer aujourd'hui, en étant les garants, les parrains de la fusion entre deux mondes, le monde des médias et des datas », ajoute Bertrand de Lestapis. Pierre Conte estime que « le développement de la surface d'intervention des agences médias ne fait que commencer. Il ne s'agira pas d'une révolution, mais d'une évolution lente. » Et de prédire la montée en puissance de la coordination internationale ; du travail de réflexion en amont sur les cibles, qui induit de se développer en interne ou en externe dans le monde des études. Et enfin, de la nécessaire réflexion en aval sur l'efficacité pour améliorer les mix marketing et pas seulement les mix médias. « Autant de chantiers dont les agences médias seront en charge dans les grands groupes », conclut-il.

Laurent George, directeur de la stratégie d'Aegis Media France : « Le système est en péril »


MM : Vous venez de reprendre une agence spécialisée dans la communication à destination des jeunes et annoncez d'autres projets. Jusqu'où élargirez-vous votre champ d'action ? L. G. : Au même titre que nous avons déjà en France un pôle médias avec Carat et Vizeum et un pôle communication d'entreprise avec Connect Factory, nous sommes en train de construire un troisième pôle dédié à la relation client, qui devrait réunir 150 personnes fin 2004. Il intégrera l'événementiel, le street-marketing, qui existe déjà, mais aussi le marketing direct et la promotion. L'objectif est de constituer une offre dans laquelle on entre par le prisme de l'efficacité. Car, du point de vue d'un annonceur, c'est de l'efficacité que doit générer sa communication. Ça n'a pas beaucoup de sens de séparer les médias, la publicité et le marketing opérationnel. Le débat est dans la solution client, dans la réponse à la question : “comment je crée de la relation directe avec mes consommateurs ?” Et on y va avec tous nos outils, développés à l'origine autour du média et mis aujourd'hui au service de l'ensemble de nos activités. MM : Et les médias dans tout ça ? L. G. : On ne perd pas de vue que notre histoire vient de là. Carat + Vizeum représenteront toujours une grande partie de notre activité, 60 % aujourd'hui. Mais elle souffre d'un mouvement de balancier paradoxal, lancé par les annonceurs qui veulent, qu'on leur apporte plus de services, de création, d'innovation mais qui, en parallèle, ne sont pas prêts à payer et font tout pour tirer le marché vers le bas via des remises en compétition permanentes. Je pense qu'on atteint les limites au dessous desquelles c'est tout le système que l'on met en péril. On n'arrive plus à valoriser nos services dans l'univers de nos diversifications, car on est dans des domaines où la concurrence est structurelle.

Annonceurs : ce qu'ils en pensent


Adeline Desjonquères, Dim. «Nous avons une vraie relation de partenariat avec Carat Cyclade, très différente mais en même temps très complémentaire de celle que nous avons avec Publicis. L'agence de publicité est là pour apporter la stratégie de communication autour de la définition de la plate-forme de la marque dans une vision à long terme quand l'agence médias est plus dans le court terme. Nous travaillons en étroite collaboration avec l'agence médias dans le sens où la stratégie médias est clé dans la mise en valeur des publicités, particulièrement pour une marque comme Dim qui joue sur plusieurs registres très différents. Dans ce cadre-là, j'apprécie qu'elle nous vende autre chose que de la négociation, que de l'achat d'espace, qu'elle ait, par sa taille et ses structures diversifiées, la possibilité de nous faire des propositions innovantes. On paye pour un service, un service qui nous simplifie la vie en nous évitant de passer par plein de petites agences spécialisées. On est très sollicités dans ce domaine et on ne peut pas gérer tout cela. » Olivia Schaison, Nouvelles Frontières. «Il est important pour nous d'avoir des agences qui fassent à la fois fonction de conseil et d'achat, car il y a de plus en plus de supports différents dans les médias et, en tant qu'annonceur, il nous est impossible de suivre cette évolution de très près et d'en connaître la pertinence. C'est particulièrement vrai quand on a besoin de faire un coup événementiel. On leur demande d'être force de proposition et d'avoir une rapidité de réaction importante. On définit la stratégie de communication avec Australie et il faut que le support soit en adéquation avec cette stratégie. Australie, Initiative Media et nous travaillons tous ensemble. L'idée est que l'annonceur soit content, que son achat d'espace soit bon et que ses créations soient mises en valeur de façon à toucher sa cible ! » Olivier Battut, Volkswagen. «Dans les agences médias importantes, celles qui sont adossées à un grand groupe international, on peut effectivement faire son marché, acheter ses médias, son marketing direct, son événementiel, ses relations publiques. C'est un facteur de confort dans le sens où, si on peut faire confiance à une seule enseigne multicarte, cela facilite le travail par rapport à toute une procédure en interne. Globalement, ces agences ont des taux qui sont proches, la différence se fait sur la matière grise. On a, par exemple, besoin des études de consommation des médias qu'elles réalisent pour se rassurer sur des choix. Chez Volkswagen, on fait travailler l'agence de publicité V avec l'agence médias Mediacom. C'est très important de les impliquer sur nos problématiques marketing, car l'agence V a un planning stratégique, et de le faire en concordance avec Mediacom pour que tout le monde ait le même niveau d'information. On fait tous avancer le bateau dans le même sens. » Sophie Barthélemy, responsable du service stratégie publicitaire et média à la direction de la publicité de Renault  «Les agences médias font de plus en plus évoluer leur fonction conseil en stratégie médias/moyens en conseil en stratégie de marque/gestion de portefeuille. Cette tendance est liée à la conjonction de plusieurs éléments : la montée en puissance de la prestation conseil en stratégie des moyens, suite logique de l'après loi Sapin et tendance normale des marchés publicitairement évolués comme la Grande-Bretagne ; le besoin de compenser la baisse des honoraires liés à l'achat d'espace ; le vide laissé par certaines agences conseils qui privilégient le produit créatif et la réponse à certains annonceurs en quête d'avis “neutre”. Cette prestation a du sens et peut être utile. Cette approche nécessite d'être gérée en bonne intelligence et transparence avec l'agence conseil, afin que le travail se fasse en synergie. Chez Renault, nous avons mis en place, pour certains dossiers, une méthode de travail transversale entre les équipes de coordination Carat et Publicis. Celle-ci fonctionne en central et pour un grand nombre de nos filiales, et ne pose pas de problème dans la mesure où chaque agence apporte sa compétence et contribue à faire évoluer la marque Renault. Cette façon de travailler nécessite de la part de l'annonceur une plus forte implication afin de fédérer les énergies et s'assurer de la complémentarité tant entre les agences qu'avec les services internes de l'annonceur (ex. : service communication, marketing relationnel ou e-commerce). Au final, le résultat devrait être plus riche pour la marque et la stratégie de contacts vis-à-vis du client plus lisible, qui doivent demeurer les deux seuls objectifs. »

 
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Léna Rose

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