A l'heure des marques globales
L'accélération de la vague numérique élargit toujours plus le champ d'action des groupes médias qui se diversifient sous l'ombrelle de leur marque mère. Objectif : entrer toujours plus loin dans les habitudes de consommation des médias des Français, voire les précéder.
On connaissait M6 pour ses programmes de divertissements, mais on n'imaginait pas la chaîne entrer dans notre garage pour proposer d'aider à nettoyer la voiture. C'est pourtant le cas avec la ligne de produits M6 Turbo, conçue par le groupe Indigo et commercialisée en grandes surfaces depuis juin dernier. Présentée comme “la gamme la plus rapide du monde”, elle décline dix produits d'entretien destinés à nettoyer, lustrer, faire briller sa voiture en un temps record, sans craindre de se salir. Estce le syndrome Desperate Housewives, un des fleurons de la programmation de séries américaines ? M6 cible en tout cas un public large dont une clientèle féminine qui n'a pas l'habitude de fréquenter les centres spécialisés d'automobiles, dixit le discours marketing de M6 Interactions, le département droit dérivés de la chaîne. Dans un autre genre, celles et ceux qui souhaitent s'équiper en lecteur DVD/DivX, casque audio, téléphone ou minichaîne pourront piocher au sein de la nouvelle gamme Powered by NRJ, commercialisée depuis la rentrée dans les hypermarchés Champion. « Elle entre bien dans le cadre de la volonté de l'enseigne de rajeunir son image, explique Fabien Allègre, directeur de NRJ ID et NRJ Music, entité notamment dédiée à la commercialisation de produits dérivés au sein de NRJ Group. Cette gamme est fidèle à notre positionnement qui consiste à proposer des produits de milieu de gamme, dans la lignée des marques distributeurs, la caution NRJ en plus. » Une caution sur laquelle compte aussi MTV Networks France qui s'apprête à lancer le MTV 3.0, un mobile entièrement dessiné et customisé par les équipes de MTV en France et qui intègre des contenus vidéos, des programmes et des services exclusifs. Le groupe s'est associé pour l'occasion à ModeLabs Group, créateur de mobiles sur mesure. Ainsi, celles qui ont depuis longtemps l'habitude de porter des vêtements griffés aux couleurs du magazine Elle ne seront pas étonnées de cette diversification menée bon train par les marques de médias.
Marque globale
Une diversification qui va en s'accélérant pour s'adapter
aux nouveaux modes de consommation des Français. « On en parlait depuis
longtemps. Aujourd'hui la stratégie de construire NRJ comme un groupe médias
global multicanal existe, explique Marc Pallain, président du directoire deNRJ
Group. Nous avons une très grande marque autour de laquelle nous allons
fortement développer les contenus, les flux. L'objectif est de réaliser la
moitié du chiffre d'affaires hors radio, avec les activités de diversification
dans la télévision, l'Internet, le téléphone mobile, l'événementiel et la
diffusion d'ici trois ans. Au dernier semestre, un quart du chiffre d'affaires
était déjà réalisé hors radio. » Selon ce dernier, cette diversification
implique notamment des changements dans les structures et les méthodes de
commercialisation publicitaire. Exit ainsi NRJ Régies qui devient NRJ Global
Marketing et Solutions. Si la radio fait, dans ce domaine, figure de pionnier,
le terme de “média global” est aujourd'hui dans toutes les bouches. Lors de sa
conférence de presse de rentrée, Jérôme Clément, P-dg d'Arte, l'a également
employé pour afficher la volonté de la chaîne franco-allemande d'être présente
sur tous les supports (Internet, radio, VoD, téléphone mobile, livres et DVD).
« Arte n'est plus uniquement une chaîne de télévision mais, de plus en plus,
une offre de contenus disponibles sur un ensemble de réseaux », déclare ce
dernier. Objectif : « Toucher tous les publics sur tous les supports et
démocratiser la culture pour la mettre à la portée de tous. » Mais en
télévision, la bataille pour la diversification des marques se livre surtout
entre les poids lourds de l'antenne. « Les marques de TF1 sont travaillées
comme un levier de développement sur tous les réseaux qui permettent de suivre
la relation avec les téléspectateurs, explique Christian Grellier, directeur de
eTF1. Le succès des sites créés autour de nos marques contribue à ce que tf1.fr
conforte sa position de premier site média français, de même que les plus de
150 millions de vidéos qui seront consultées cette année sur le site tf1.fr en
font également un site leader sur la vidéo », note-t-il. Le groupe vient
d'élargir son horizon en lançant une chaîne thématique, dédiée au
divertissement ludique (encore baptisée du nom de code PlayOne au moment où
nous écrivons ces lignes). Ce concept inédit en France, qui propose des formats
en direct de jeux multijoueur appuyé sur quelques grandes marques de TF1, est
décliné sur tous les supports.
De même, eTF1 mise sur le développement des
podcasts. « Si la consommation est encore marginale au niveau du contenu, on
pense que la gamme des terminaux va aller en se démocratisant. C'est pourquoi
nous investissons dans l'acquisition de droits et la production de contenus, de
LCI à Tfou. » La chaîne Tfou, déjà accessible sur les mobiles, dans les
bouquets TV des trois opérateurs mobiles, sera d'ailleurs disponible à la
demande en podcast d'ici la fin de l'année. Les enfants, à la fois accros aux
nouvelles technologies et futurs adultes à fidéliser, sont une des cibles
majeures des diversifications réalisées par les médias. Depuis le 2 octobre
dernier, les jeunes lecteurs de Mon Quotidien ont ainsi leur édition télévisée,
tous les jours à 18 heures. Le groupe Play Bac, éditeur du titre, leur propose,
en effet, une version audiovisuelle du journal, diffusée sur Internet. De son
côté, la chaîne du groupe Canal+ Ma Planète diffuse ce bulletin d'information
plusieurs fois par jour sur son antenne. Du côté des chaînes TV pour la
jeunesse, la visibilité des marques sur le plus de canaux possibles est
également le mot d'ordre. Chez Cartoon Network du groupe TBS France, la VoD
fera prochainement partie de l'offre de Club Internet. Objectif de la chaîne ?
Etre ensuite présente sur l'ensemble des plates-formes. TBS France est
également en négociation pour des développements de contenus en téléphonie
mobile. Dans le groupe Disney, la chaîne Jetix qui fête ses deux ans sous ce
nom (hors les années passées sous le label Fox Kids, ndlr) élargit également
les modes de diffusion de sa marque. « Nous avons été parmi les premiers à
proposer une offre de VoD avec Canalplay, rappelle Antoine Villeneuve,
directeur général de Jetix. Nos séries sont aussi disponibles en VoD dans les
offres de Free et de VirginMega et le seront bientôt dans celles de Club
Internet, Neuf Cegetel et Numericable. » La chaîne se développe également sur
mobile. « C'est un marché encore relativement marginal mais sur lequel, en
termes d'exposition de marque, de communication, il est très important d'être
présent », estime Antoine Villeneuve.
Exister hors de l'antenne
Comme le résume Emmanuelle Guilbart, P-dg des chaînes jeunesse de Lagardère Active Broadcast (CanalJ, Tiji, Filles TV, Gulli), « pour un média comme le nôtre qui cible les enfants et les juniors, la préoccupation majeure est d'exister en tant que marque hors de nos antennes. C'est, en effet, une cible chez laquelle les évolutions d'usage sont très importantes .» Déjà présent sur les mobiles via Canal J, le groupe vient de signer un accord avec MSN pour fournir du contenu vidéo issu des programmes de Canal J Filles TV et s'apprête à lancer une offre de VoD. Il vient également de recruter un responsable en charge des droits dérivés, un domaine qui va faire l'objet de développements spécifiques autour des personnages emblématiques de Tiji, Tijinou et Tijibelle. Chez Jetix, Antoine Villeneuve annonce aussi l'intention de la chaîne d'accélérer l'évolution de cette activité au sein de JCP France, la division consumer products d'Active Licensing France. « Chaque émission doit être considérée comme une marque dont on doit étudier le potentiel à exister, ou non, hors antenne, précise Frank Cymes, directeur des droits dérivés et des événements au sein de France Télévisions Distribution, entité également fortement tirée par l'univers jeunesse. Ensuite, l'addition de toutes les visibilités nous sert à développer les droits dérivés de ces marques. » Le département du groupe France Télévision a, par ailleurs, décidé de souligner plus fortement ses développements numériques en étant le premier éditeur vidéo à associer dans ses plans médias la VoD à ses lancements DVD. Entamée le mois dernier avec la saga de l'été, Coeur Océan, la première série jeunesse de France 2, puis avec Thalassa les nomades de la mer, cette stratégie de communication se poursuit avec C'est pas Sorcier spécial Baleines qui sort ce mois ci. « Nous sommes arrivés très tôt, depuis l'an dernier, dans le domaine de la VoD. La communication sur les développements éditoriaux sur ce secteur émergent apparaît donc comme un prolongement logique », explique Jean- Paul Commin, directeur général adjoint de France Télévisions Distribution.
« Nous proposons à nos clients un concept global » Trois questions à Arnaud Serre, président de mediaedge:cia, agence média du groupe WPP.
Comment analysez-vous la stratégie de marque globale mise en oeuvre par les groupes médias ?
Le fait de développer une marque média de façon transversale a du sens. Il y a d'ailleurs déjà quelques succès, même si c'est une démarche très embryonnaire. Tout dépend ensuite de la nature de la marque et du public auquel cette dernière s'adresse pour que cette démarche soit cohérente. Les principales opportunités qu'offre le marché vont plutôt vers des publics jeunes, via le développement des technologies numériques. Dans ce domaine, la meilleure illustration qui me vient à l'esprit est celle du groupe NRJ. Ce qu'il fait autour de la radio est totalement cohérent avec le profil de consommation de produits numériques de ses jeunes auditeurs.
Y a-t-il des médias qui sont plus ou moins adaptés à ces diversifications ?
Non ! Le fait que certains se développent plus vite que d'autres dans cette voie est lié à l'état de santé des groupes ou à des raisons d'opportunité. Leur capital pour mettre en oeuvre ces stratégies réside avant tout dans la force de la marque. Le cas du quotidien Libération est intéressant. C'est un titre porteur de valeurs propres qui a du sens pour les internautes qui fréquentent le site liberation. fr. Mais la version papier souffre beaucoup, elle concerne moins cette nouvelle génération qui préfère prendre le pouls du monde à travers le prisme du Net mais avec le regard du titre. En revanche, d'autres journaux s'imposent encore via le format papier. En presse féminine, Elle, par exemple, est un peu en retard dans ses développements numériques, mais le titre papier est tellement fort qu'il peut se permettre de prendre son temps. Le raisonnement est le même pour TF1 qui est arrivé en téléphonie mobile après M6 ou NRJ. Le fait d'être leader donne une assise suffisante pour prendre son temps et éviter des erreurs sur des marchés technologiques qui bougent très vite.
Quelles répercussions ces évolutions ont-elles dans votre activité ?
Elles modifient forcément notre façon de fonctionner car nous avons face à nous des partenaires globaux. Un groupe comme TF1, par exemple, est à même de nous proposer d'acheter des spots, mais aussi des opérations sur Internet, sur téléphone mobile, des actions sur le terrain autour d'une sousmarque d'émission type Star Ac, du partenariat d'événements sportifs, etc. Dans ce contexte, il nous faut avoir de plus en plus d'experts capables de décrypter les offres de façon totalement transversale. Il nous faut d'autant plus régénérer nos équipes dans ce sens que de plus en plus de clients viennent chercher un concept global. Nous devons être à même de leur proposer ce concept. Pour cela, nous devons tenir compte du forcing qui peut être fait par les médias pour vendre tel ou tel nouveau développement à un prix certes intéressant mais inadapté au besoin de l'annonceur.
La bataille du numérique s'annonce. Presse Lagardère rejoint Emap Mondadori sur le multimédia.
Le remplacement, annoncé le mois dernier, de Gérald de Roquemaurel par Didier Quillot, ex- P-dg d'Orange France, pour occuper la fonction de P-dg de Hachette Filipacchi Médias signe clairement les intentions du pôle presse du groupe Lagardère. Des intentions d'ailleurs énoncées par Arnaud Lagardère lui-même qui déclarait : « Il faut relever le défi du numérique. » Didier Quillot va ainsi diriger un pôle élargi aux activités audiovisuelles du groupe Lagardère, véritable pôle multimédia regroupant les magazines d'HFM d'une part et les télés, radios, activités internet et régie publicitaire de Lagardère Active de l'autre. En France, le premier éditeur mondial de magazines (260 titres) a véritablement engagé le chantier du numérique il y a un an avec des résultats encore très contrastés selon les marques. Elle, par exemple, qui avait annoncé une refonte de son site au printemps, repense finalement encore sa copie. En attendant l'installation éminente d'une structure horizontale, le groupe a en face de lui des concurrents qui ont pris le train en marche depuis plus longtemps.
C'est le cas de l'ex-groupe Emap, déjà bien engagé en matière de développement multimédia. « Nous avons commencé cette activité en 1999 et jamais arrêté depuis, souligne Cyril Vart, directeur du développement d'EMW, la filiale multimédia du groupe Emap Mondadori. Aujourd'hui, le groupe exploite une douzaine de marques en ligne, ce qui représente 3 millions de visiteurs uniques et entre 30 et 40 millions de pages vues chaque mois. » Les marques du pôle TV sont celles qui ont le plus contribué à l'accélération de ce développement. Telepoche. fr, Telestar.fr et guidetv.com pèsent, en effet, pour un tiers du trafic et de l'audience que génère Emap Mondadori sur Internet aujourd'hui. Le groupe a été le premier à proposer l'Electronic Programm Guide, un flux de programmes TV à valeur ajoutée, qui enrichit aujourd'hui les portails d'AOL, MSN ou Wanadoo. « Nous avons commencé par la TV, car c'est un univers qui se décline facilement en mode digital », souligne Cyril Vart. Avec Télé Poche, cet univers est également présent sur deux canaux principaux, le Net et le téléphone mobile. Ce dernier canal décline également le contenu des magazines FHM, Max, Auto Journal et Closer. « Les deux premiers correspondent à une demande des opérateurs de pouvoir proposer des produits qui ciblent une population masculine de 15-25 ans, 15-35 ans, explique Cyril Vart. FHM à lui seul dégage environ 15 % de son chiffre d'affaires sur les seuls produits digitaux, mobile et Web.
C'est à ce jour notre marque la plus puissante dans ces développements. » EMW s'attache également à accélérer le développement multimédia de Closer. L'hebdomadaire people se décline notamment, depuis mai dernier, en vidéo comme c'est déjà le cas, par exemple, depuis deux ans, pour l'Auto Journal qui diffuse par ce biais des essais automobiles. Des essais automobiles qui seront probablement un axe important dans les programmes TV sur mobile sur lesquels travaille en ce moment le groupe. « Car le mobile est encore un marché à forte dominante masculine », estime Cyril Vart. Prochaine étape : la vente directe sur mobile par le biais de partenariats avec des acteurs de la vente privée avec lesquels le département multimédia du groupe est actuellement en discussion.