Ça eut payé !
Quelle mouche a piqué les marketers pour que les produits et services, qu'ils ont mis des années à valoriser auprès de leurs clients, deviennent subitement gratuits sur Internet ? Mieux ! On paie même le prospect pour qu'il devienne client ! Dominique Beaulieu, président d'Affiniteam, s'interroge sur la pertinence et l'évolution de cette politique du "tout gratuit".
Demain, on rase gratis
Comme un pétard mouillé,
l'explosion de l'Internet a fait long feu. Non pas que ce dernier n'ait pas
tenu ses promesses. Bien au contraire, parce qu'il s'est installé,
paisiblement, dans un paysage où il est devenu simple nouveau média, un banal
canal d'interaction supplémentaire. La désillusion a surtout gagné les
investisseurs ou journalistes qui prédisaient une explosion..., intéressés par
leurs propres portefeuilles boursiers ou médiatiques. Mais qui a réellement cru
que l'Internet allait se substituer aux autres modes de consommation ? Passée
l'euphorie des premiers instants, il est intéressant de s'interroger sur la
validité des campagnes de captation de clientèle à tout prix. Les clients
faciles ont peut-être aussi peu de vertu que les femmes éponymes. En tout cas,
l'objectif a le mérite d'être simple : supprimer toute barrière à l'entrée au
consommateur méfiant. Conséquence immédiate, le mot-clé "gratuit" ou "free"
figure en bonne place dans les cinq favoris du hit-parade des moteurs de
recherche.
Prix net
A quels produits et services
accè- de-t-on gratuitement ? Toutgratuit.com répertorie l'ensemble des sites
gratuits. On y trouve tout ou presque. En priorité, les produits dématérialisés
(musiques, logiciels ou textes téléchargeables), à forte péremption (demain,
ces places d'avion ne vaudront plus rien), ou dont le coût de production est
marginal par rapport au prix de distribution : - La musique : sur
francemp3.com, écoutez gratuitement des musiques, confectionnez votre
compilation préférée sur votre propre CD, il vous en coûtera 50 F livré. Leur
modèle : un bandeau publicitaire, qui aiguille vers un site de loterie,
koodpo.com, lui-même gratuit ! Paroles.net propose les paroles des chansons
francophones, http : //lyrics.platomic.com/index1.html, de son côté, les
paroles des chansons internationales et un bandeau publicitaire vert...
gratuit.fr ! Comme Patrick Mac Goohan dans la série mythique du Prisonnier, on
y prend goût et on ne s'en échappe plus ! La lettre journaldugratuit.com compte
ainsi 35 000 abonnés. - Les journaux, après avoir tenté en vain de séduire une
clientèle payante, semblent avoir trouvé leur régime de croisière : proposer un
extrait des articles en ligne et des services complémentaires payants sur le
Web (l'intégralité des textes, l'historique en ligne, un index thématique de
recherche, des forums de discussion, des chats avec des personnalités
invitées...). - Les logiciels de shareware (essai gratuit, paiement laissé à
votre appréciation) ou de freeware, tel Linux, qui a conquis 25 % de part de
marché sur les systèmes d'exploitation informatiques. - Les services, comme les
ventes aux enchères : ibazar, avant de rejoindre le modèle de prélèvement
d'e-bay, a séduit sa clientèle par la gratuité. - L'hébergement de sites
gratuits, qu'ils soient spécialisés (Babel Oueb sur les jeux vidéo, ou Astro
Surf rassemblant 300 sites sur l'astronomie) ou bien généralistes, comme Free
"Get something for nothing" ou Freesbee. On a tous en tête le spot publicitaire
des deux vigiles qui s'esclaffent en voyant, sur la vidéo de surveillance d'un
magasin, une cliente dérober un CD de connexion en ignorant que l'abonnement
est gratuit. Le site hebergementavie.com met en avant une promesse difficile à
tenir, et ceci, "sans bannière publicitaire". - Des commodités : smsgratuit.com
propose l'envoi gratuit de 3 messages SMS par jour. La carte postale
électronique, de son côté, rencontre toujours un succès surprenant, du banal
paysage de cocotiers à la carte thématique d'insultes personnalisées sur
matoox.com en fonction de l'heureux destinataire, "pétasse", "vantard",
"fayot", le tout de façon anonyme mais avec droits de réponse (à défaut d'être
courageux, soyons sport !). Non contents de proposer la gratuité, certaines
sociétés paient même leurs prospects pour les transformer en clients. Zebank
offre 500 francs par parrainage à l'ouverture d'un compte, certains sites vous
payaient pour surfer et visualiser des bandeaux publicitaires. Mais la faillite
d'AllAdvantage, aux Etats-Unis, et les difficultés de Médiabarre, en France,
semblent sonner le glas du modèle basé sur le surf rémunéré.
Trop beau pour être vrai !
La Commission fédérale du commerce (FTC) a
épinglé Crescent Publishing Group, pour ses sites playgirl.com et
highsociety.com, qui a facturé un total de 188 millions de dollars pour des
"visites gratuites" entre 1997 et octobre 1999. Les sites incriminés exigeaient
le numéro de carte de crédit des internautes afin de vérifier qu'ils avaient
l'âge légal. Mais ils s'empressaient aussi de débiter une somme mensuelle
allant de 20 à 90 dollars, contrairement à leur engagement. La gratuité n'est
pas du goût de tout le monde, lorsqu'elle s'appuie sur des contenus contestés :
Jean Ferrat réclame ainsi 1 million de francs de dédommagements à l'admirateur
qui a mis gratuitement le texte de ses chansons en ligne.
Le marketer qui adopte la stratégie du tout gratuit poursuit un des quatorze objectifs suivants
1) L'essayer, c'est l'adopter : sur HolDeR
(http : //odr.free.fr), on se balade dans un supermarché virtuel, pour obtenir
à chaque rayon les "produits découverte" de la période, des offres de
remboursement différé (ODR). L'opérateur téléphonique Tele2, qui offrait deux
jours de communication gratuits (dont le jour de l'An) à ses clients et à tout
nouvel inscrit, se targue d'avoir dopé de 30 % le rythme d'adhésions. 2) Tester
un prix psychologique : en mettant un téléphone mobile à prix pour 1 franc sur
un site de ventes aux enchères, on évalue dynamiquement l'élasticité de la
demande par rapport au prix. On obtient des strates successives très
instructives sur les segments auxquels on va s'adresser. 3) La notoriété :
faire parler du site ou du produit. 4) Générer du trafic (loterie). 5) Se faire
rémunérer par la publicité : les petites annonces qui se paient quelques
centaines de francs dans le monde réel peuvent être passées sans facturation
dans De particulier à particulier sur le Web, ce qui leur vaut 500 000
visiteurs par mois et un revenu de 7 millions de francs, sans cannibalisation
pour le journal papier. 6) Obtenir des contreparties : Bouygues Telecom paie
votre communication avec SPOT si vous écoutez les messages de publicité
entrecoupant votre conversation. Aux Etats-Unis, Channel One a doté 12 000
établissements scolaires de télévisions en engageant contractuellement leurs 8
millions d'écoliers à regarder quotidiennement 10 minutes de "reportages" et 2
de publicité. Et on ne plaisante pas avec les récalcitrants ! Deux étudiants de
la Perrysburg Junior High school dans l'Ohio l'ont appris à leurs dépens en
finissant en prison (source transfert.net, 22 octobre 2000). 7) Contrarier un
concurrent à position dominante : Sun Microsystems offre depuis maintenant un
an et demi sa suite bureautique Star Office pour contrer la généralisation de
la suite Office sur les postes de travail. Pour contrecarrer l'omniprésence de
Siebel sur le marché du CRM, Oracle veut rattraper son retard en offrant son
logiciel sur oraclesalesonline.com. Il ne s'agit pas ici simplement d'opposer
deux produits, ce sont deux philosophies qui s'affrontent : Sun veut imposer la
puissance de Java (remplacer les PC par des terminaux "light"), et Oracle le
modèle "ASP" des applications en self-service. Et seul gagne le modèle qui se
propage le plus vite. 8) Acquérir rapidement une part de marché et, une fois le
marché préempté, rendre le service à nouveau payant (exemple : ibazar). Oreka,
grâce à son service gratuit-gratuit lancé en mai 2000 (pas d'abonnement et 18
heures de communication mensuelle offertes), a capté 1 million d'internautes,
avec un rythme journalier frisant parfois les 10 000 adhésions. Depuis, Oreka
propose une heure gratuite par tranche de trois heures... tablant sur la
paresse des internautes qui hésiteront à remettre en cause leur abonnement.
L'efficacité n'est plus à démontrer : Mageos avait péniblement atteint en un an
les 180 000 internautes, avant sa cession à 9 Telecom. Ce modèle ne se limite
pas au B to C. Siris l'a expérimenté avec succès auprès de PME, auxquelles il
proposait la gratuité des appels le lundi matin. 9) Aider les nouvelles
technologies à s'imposer : le logiciel Acrobat (d'Adobe), outil d'échange
universel de documents électroniques, a connu un démarrage difficile au début
des années 90. Initialement proposé à 50 dollars, il a ensuite été fourni
gracieusement aux abonnés d'AOL, puis téléchargeable gratuitement à partir du
site, avant de s'imposer comme un standard mondial avec 200 millions
d'utilisateurs aujourd'hui. 10) Le profiling : obtenir des informations
précieuses sur le profil des internautes et leurs habitudes de consommation.
"Dites-nous qui vous êtes, cela mérite récompense". 11) Vendre les fichiers
d'adresses et de données collectées. 12) Offrir un cadeau incitatif. 13)
Proposer des ventes liées : un mobile gratuit, si l'abonnement est contracté
auprès de tel opérateur pour une durée déterminée. 14) Demander un service en
échange : Witbe vous donne la cartographie des performances du Net, si vous
acceptez qu'un cookie installé sur votre poste lui communique la performance de
vos propres connexions. Les sites d'opinion vous donnent un produit pour que
vous le testiez et fassiez part de vos commentaires.
Les risques ?
La gratuité, ça peut payer mais, en tout cas, ça se paie, et
parfois cher lorsqu'il s'agit pour Siris de reverser 17 centimes la minute les
consommations offertes à ses PME privilégiées. Un pari qui peut rapidement se
révéler trop audacieux. Contrairement à la rumeur vite répandue, SFR n'a pas
racheté ses fameux forfaits week-ends, mais n'a pas renouvelé l'expérience de
1999. La gratuité peut également engendrer deux conséquences perverses : une
perception de la proposition de valeur tirée vers le bas à cause du prix, ou un
service client qui n'est pas à la hauteur de la promesse. Un peu comme le
proverbe en vogue en pleine Perestroïka : "L'Etat fait semblant de nous payer,
et nous, on fait semblant de travailler", l'offre finit malheureusement par
s'ajuster aux revenus. Pourvu que ça ne dure pas !
Les vraies motivations : la gratuité a une odeur
1) L'essayer, c'est l'adopter. 2) Tester le prix psychologique de son offre. 3) Augmenter sa notoriété. 4) Générer du trafic sur son site. 5) Se rémunérer par la publicité. 6) Contrer un concurrent trop bien installé. 7) Acquérir rapidement une part de marché. 8)Apprendre des informations précieuses sur le profil des internautes et leurs habitudes de consommation. 9) Vendre les fichiers d'adresses et de données collectés. 10) Offrir un cadeau Bonux incitatif. 11) Proposer des ventes liées. 12) Demander un service en échange.