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« Parler moins de digital et plus de marketing »

Si le digital est le nouvel eldorado des marques, l'enjeu de l'innovation marketing est ailleurs. Pour Nicolas Gondeau, arrivé en novembre dernier aux commandes de l'agence indépendante Uniteam, le digital doit être un moyen et non une fin pour les annonceurs.

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Marketing Magazine. Vous commencez souvent vos cours à Sciences Politiques par la formule «Digital is dead». Que voulez-vous dire exactement?

Nicolas Gondeau: Le digital est une notion qui s'applique à définir la nature des supports que la marque utilise dans le cadre de sa stratégie de communication.

Ce terme n'est pas légitime quand il s'agit de parler de stratégie. La «stratégie digitale» n'a aucun sens. Il s'agit avant tout d'une stratégie! D'ailleurs, les consommateurs ne raisonnent absolument pas comme ça. La «digitalisation» du monde a fait évoluer la définition même de consommateur. Lorsque l'on consomme un média, on ne se demande pas si on est en off line ou en on line, on est simplement à la recherche d'une expérience. A ce titre, le simple consommateur devient désormais un utilisateur.

Aujourd'hui, le monde est digital et le marketing est interactif, nous n'avons donc plus besoin de dire qu'une stratégie se veut digitale. C'est aussi l'enjeu le plus important actuellement: comment passer de la «big idea», le message qui vit sur des supports classiques et froids, dans une logique top down, à la «long idea», qui doit être capable de vivre sur des supports interactifs? Pour autant, le digital n'est-il pas le nouvel eldorado des marques?

Bien sûr que si. Mais cet eldorado peut vite se transformer en cauchemar. La question n'est pas de déterminer si les marques doivent être présentes dans les écosystèmes digitaux, mais plutôt de savoir comment elles doivent s'y installer.

Cette fameuse notion d'«earned media» qui englobe les retombées générées gratuitement par une marque (retombées éditoriales, commentaires, bouche-à-oreille, etc.) démontre bien qu'avec une bonne idée, une «long idea», une marque peut toucher des milliers de contacts sans avoir recours à de l'investissement médias. On va donc naturellement basculer vers ce que j'appelle la valeur de l'idée, au détriment de la valeur de l'investissement médias. C'est pour cela qu'autant d'agences médias cherchent à mettre en place des agences créatives.

Quand vous parlez de potentiel créatif dans le digital, vous évoquez en réalité l'innovation marketing. Est-ce la clé de la réussite?

Le constat est qu'aujourd'hui, les marques les plus performantes sont celles qui ont été ou sont devenues les plus innovantes (Nike, Apple, Ikea, Starbucks, E.Leclerc, Yves Rocher, Cdiscount etc.).

Mais avant tout, l'innovation c'est quoi? Quand nous allons sur le terrain de la communication, les trois ingrédients de l'innovation cités majoritairement par les consommateurs sont: l'utilité, la proximité et l'interactivité. Si nous considérons que les points de contacts se digitalisent de façon exponentielle - en 2014, il y aura plus de connexion à Internet via mobile que via les ordinateurs - alors oui, forcément, l'innovation marketing étant portée par l'usage et l'interactivité, le digital sera fortement présent.

La véritable opportunité, c'est de considérer que le digital n'est qu'un moyen au service d'une stratégie marketing. Que le digital est une formidable opportunité d'innovation marketing indispensable à une marque qui souhaite assurer sa pérennité. L'enjeu n'est pas le digital mais l'utilisateur. L'innovation marketing, c'est avant tout du marketing imaginé pour les utilisateurs. Cela a donc à voir plus avec la psychologie qu'avec la technologie...

Il n'en reste pas moins que beaucoup d'agences traditionnelles se digitalisent. Y parviennent-elles vraiment et font-elles preuve d'innovation?

Tout le monde avance à un rythme différent. Ceux qui donne le «la», ce sont les clients, leurs besoins et leurs ambitions. Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais il y a encore trop peu d'alchimie entre les agences et les annonceurs. Il suffit de voir le dernier palmarès à Cannes pour s'apercevoir que la France est à la traîne et que les plus belles stratégies et les plus beaux dispositifs sont portés par des pays étrangers, plus matures et plus innovants. A chaque fois, le point de départ est une idée forte, qui peut être mise en pratique sur des points de contacts digitalisés.

Parcours

1998-2000: Chef de produit marketing chez Yves Rocher Canada.


2000-05: Chef de projet puis directeur conseil au sein de l'agence indépendante pure player Tribal DDB.


2005-07: Directeur de projet puis directeur associé chez Business Interactif.


2007-10: Directeur général adjoint puis directeur général de l'agence Digitas. Il s'occupe particulièrement des clients Renault et Lancôme.


2010: Élu Vice-président de l'AACCI.


2011: Directeur général associé au sein de l'agence indépendante Uniteam. Enseigne la communication digitale à Sciences Po Paris.

En quoi les autres pays sont-ils plus matures et plus innovants?

Notamment dans le choix de gouvernance des entreprises et des agences. Une entreprise se doit d'être au contact de ses clients, mais il faut que cette présence soit maîtrisée. Imaginez un magasin ouvert 7/7, 24 h / 24, 365 jours par an, dans lequel on ne trouve plus aucun employé et dont les allées sont mal rangées. Quelle image donne cette entreprise? Il en va de même pour le digital.

Prenez l'exemple de Scott Monty aux Etats-Unis. Il est le patron du social media pour Ford, et seulement à deux niveaux en dessous du CEO! Voilà une marque qui a compris que, s'il y a bien une discipline primordiale et transversale, ce sont les médias sociaux. Donc oui, nous pouvons parler de maturité et considérer que le sujet a pris de l'importance.

Si le digital, et plus particulièrement les médias sociaux, est mal compris en France, c'est donc à cause d'une mauvaise organisation des entreprises?

En France, les postes de manager du social media sont trop souvent occupés par des profils dont seule l'expérience sur les réseaux sociaux compte. Quand on voit qu'avoir cinq ans d'expérience dans ce domaine fait de ces profils des seniors, on peut se poser des questions! La réalité du client impose de remettre à plat les organisations. Mais on est sur la bonne voie: une fonction qui existe déjà aux Etats-Unis va bientôt apparaître en France, le CCO (chief customer officer), qui va se charger de l'expérience et du partenariat client.

Vous parlez d'expérience, mais que l'on soit en entreprise ou en agence, les métiers du Web ne sont-ils pas plutôt réservés aux jeunes?

Certainement pas! Ce que nos clients recherchent aujourd'hui, ce sont des seniors et des profils capables de comprendre une marque et de bâtir une stratégie de communication. Mais il est vrai qu'il est difficile de trouver des gens qui ont de l'expérience. Avoir de la maturité dans le digital est une vraie qualité. Quant à la jeunesse, nous allons en avoir besoin dans les métiers de production, de mise en oeuvre.

En quoi le Net peut-il également transformer la relation entre les marques et le client?

Aujourd'hui, la planète est devenue un petit village. Quand le boucher ou le boulanger d'une petite agglomération ne fait pas des produits de qualité ou propose un service qui laisse à désirer, sa réputation se fait au café du village. Il en est de même aujourd'hui pour toutes les marques.

La réussite des entreprises passe plus que jamais par la satisfaction client. Par exemple, en ce début d'année, La Redoute avait maladroitement laissé passer une photo de son catalogue pour enfant, où un homme nu apparaissait en arrière-plan. Les commentaires avaient fusé sur les réseaux sociaux, défrayant la chronique, avant que le site de vente par correspondance ne s'excuse et exploite même ce raté en organisant un concours de photos. La Redoute a réussi à retourner la situation, et finalement, ça a été positif dans sa relation avec ses clients.

Ce n'est pas le cas pour tout monde. Une étude de Socialbakers révèle que 70 % des questions posées par les fans sur une page Facebook ou par les abonnés sur le compte Twitter d'une grande marque sont laissées sans réponse. Au final, les annonceurs ont-ils besoin d'être éduqués sur le digital par les agences?

De moins en moins! Nous assistons à une véritable prise de conscience de la part des annonceurs et ce, au plus haut niveau de l'entreprise. C'est d'ailleurs le sujet majeur. Plus la prise de conscience vient de haut et plus des actions concrètes et tangibles sont mises en oeuvre. Si l'on parle de marketing «augmenté» car vivant sur des points de contact digitalisés toujours plus nombreux, alors j'ai le sentiment qu'il existe très peu d'agences capables d'éduquer les annonceurs.

Trop d'agences, et en particulier les pure players, éduquent leurs clients sous le prisme de la technologie et de la production digitale, et en oublient l'essentiel: le marketing.

Justement, quelle est la différence entre des agences traditionnelles qui se digitalisent et des pure players?

Elle se trouve surtout dans la technologie. Les pure players la maîtrisent davantage. Mais globalement, la production digitale s'est aujourd'hui standardisée. Et les annonceurs vont maintenant rechercher en priorité du conseil en stratégie et en marketing. Peu d'acteurs qualifiés de pure players seront capables de répondre à ces attentes, car ces agences se sont principalement organisées autour de la production. Il est intéressant de voir que finalement, ce sont les agences traditionnelles qui proposent aujourd'hui les solutions les plus pertinentes. Je pense aux agences de publicité, qui ont fait un remarquable travail depuis ces cinq dernières années. Il est plus facile de se doter d'une force de production quand son métier de base est la stratégie que l'inverse.

Vous avez évolué dans une agence pure player pendant plus de dix ans. Pourquoi débarquer dans une agence traditionnelle qui se digitalise, comme Uniteam?

Je voulais trouver une entreprise qui traite de la communication et du marketing. Mais j'ai posé la base: qu'est-ce qu'une agence digitale? Il faut pouvoir revendiquer un savoir-faire et démontrer sa capacité de mise en oeuvre. Etre une agence digitale n'a plus de sens aujourd'hui, au-delà des aspects de production.

Chez Uniteam, nous revendiquons un positionnement d'agence de «marketing services», qui ne parle pas de digital mais qui s'en sert. Uniteam cherchait un profil digital. J'ai une expérience de 13 ans dans ce domaine, alors j'ai sauté sur l'occasion.

Dans ce paysage, quelle est la spécificité de votre agence traditionnelle?

L'indépendance, depuis 25 ans, avec des clients fidèles qui recherchent du pragmatisme et de la fiabilité. Des équipes seniors qui garantissent un résultat de qualité. C'est pour ça que nous avons des clients importants comme Nestlé, Orange ou encore EDF.

Aujourd'hui, le Web représente 40 % de notre business. Notre ambition est de transformer la problématique digitale en opportunité marketing. En résumé, aider nos clients à moins parler de digital et récupérer du temps disponible pour parler de marketing.

Chiffres-clés

Le Web représente 40 % du chiffre d'affaires d'Uniteam


Date de création d'Uniteam: 1987


Chiffre d'affaires 2012: 13,5 millions d'euros


Chiffre d'affaires 2012 estimé: 14 millions d'euros


Effectif: 96 salariés

Damien Grosset

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