« Nos valeurs, c'est le sport humaniste »
Mettre l'humain au coeur de l'entreprise. Avant même que la formule ne fasse florès, les fondateurs de Décathlon en avaient fait, à l'interne comme à l'externe, la valeur centrale de l'entreprise. Bien sûr, Décathlon produit en Asie (notamment), mais peut-on encore être compétitif sans l'aide des Chinois ? En tous les cas, l'enseigne nordiste, forte de son succès européen, entend gagner la course de l'international. Et espère même, à terme, ouvrir des magasins... en Chine, comme l'explique Stéphane Roche, directeur marketing et communication internationale.
Quelle est aujourd'hui la typologie de votre clientèle et comment évoluent les attentes ?
La typologie du marché du sport
n'existe pas vraiment car le marché est vaste. Chacun de nos sept univers
sportifs a sa typologie. Mais la catégorie de gens passionnés de sport, et très
impliqués, que ce soit vers le prix ou vers la technique est surreprésentée
chez nous. En revanche, on est un peu sous-pondéré vers les gens moins motivés.
Toutefois 80 % des Français déclarent visiter Décathlon au moins une fois par
an et 65 % acheter au moins une fois par an. Même si nous avons toujours eu un
positionnement prix/technique qui correspond plus à des gens impliqués dans le
sport qu'à des gens qui achètent du matériel dans l'esprit uniquement style de
vie, nous nous adressons forcément à tout le monde.
Quelles sont les évolutions majeures au sein de vos sept univers sportifs ?
Les
phénomènes rollers ou VTT ont été très forts. Globalement, le sport-plaisir et
bien-être gagne dans tous les univers par rapport au sport performance et
souffrance. Selon certaines analyses, ce sport-loisir concerne les trois quarts
des pratiquants. Le sport-performance représente le quart restant et tend à
diminuer. Les excès du sport, argent, dopage, ont certainement eu des
incidences sur l'évolution de sa perception. En tout cas, cela correspond bien
à notre vision.
Vous avez ouvert des agences de voyages spécialisées, des restaurants diététiques. Allez-vous multiplier ces offres annexes ?
Tout cela est en test. Nous avons développé plusieurs
projets prototypes dans le sport. Tout d'abord les parcs "La Forme" qui
existent en trois exemplaires en France, la restauration autour de nos
magasins, l'offre voyages, présente dans une dizaine de points de vente en
France. C'est assez positif et l'avenir dira si nous dupliquons ces principes à
tous les magasins ou non.
La notion de plaisir n'est pas très présente dans les magasins de sport ?
Dans tous nos points de
vente, vous pouvez prendre un vélo, faire le tour du magasin, on ne vous dira
rien. Au contraire, on sera ravi. La priorité, c'est l'espace, la
fonctionnalité, le fait que l'on voit les produits, que l'on puisse les
toucher. Cela correspond à notre positionnement prix/technique. Nous disons
souvent que nous ne sommes pas des marchands de mobilier ou d'agencements !
Cela n'empêche que nous préparons une évolution de notre concept magasin. Il
ira vers un peu plus d'émotion et de féminité. Cela fait partie de l'évolution
normale pour ne pas rester figés. Il sera dupliqué à tous les magasins d'ici à
quelques mois.
Quels efforts faites-vous à destination de la clientèle féminine ?
51 % de nos clients sont des clientes. Et il
y a autant, voire plus de femmes qui visitent Décathlon que de femmes qui
visitent des hypermarchés. 90 % de nos ventes de textile et sport femmes sont à
la marque Décathlon.
On estime donc
qu'elles nous apprécient. Il existe une tendance de fond qui va vers la
féminisation de pas mal de choses. Nous en avons tenu compte dans notre nouveau
concept. Par ailleurs, une filiale de Décathlon vient d'ouvrir dans le centre
lillois, il y a un mois, un nouveau concept de centre-ville nommé "Décath".
L'offre est : centre-ville, petite surface, 25-35 ans, urbains, et largement
tournée vers les femmes avec une offre de chaussant, textile et petits
matériels. Autre tendance lourde, la part de femmes qui déclarent faire un
sport régulièrement est en constante augmentation depuis dix ans. Elles
trouvent chez nous l'approche technique qui les intéresse, un rayon enfants et
bébés hyper performant. Donc, il y a plutôt une histoire d'amour entre les
femmes et Décathlon.
Quand vos marques propres sont-elles apparues ?
Le vélo a démarré il y a une quinzaine d'années. Mais les
marques qui constituent notre segmentation en sept "Marques Passion" (ce qui
traduit bien notre philosophie) ont en moyenne 4 à 5 ans d'existence.
Aujourd'hui, elles représentent 52,6 % de notre chiffre d'affaires.
Produire vous-même permettait d'être moins cher ?
Aujourd'hui, le sport est surtout un marché de conception et non un marché
industriel. Nous investissons beaucoup dans la conception, la recherche, le
design, pour produire ces marques. C'est un moyen d'offrir à nos clients des
produits moins chers par la massification et l'intégration de toute la chaîne,
directement du concepteur au client. Cela fait partie de notre stratégie.
Quels sont les objectifs d'évolution de ces marques ? Vont-elles progressivement évincer les marques concurrentes ?
Plus on en vend
plus on est content ! Mais nous pensons que nous ne nous couperons pas des
grandes marques internationales. Nous surveillons bien l'intention d'achat par
rapport à elles. S'il y a une demande, on y répond. Si on a créé la demande,
via l'une de nos marques, c'est un point de différenciation, mais nous ne
visons pas les 100 %.
Pourquoi avoir installé une partie de vos équipes à Chamonix ?
Actuellement, on est dans un process de
professionnalisation. Ces Marques Passion, nous allons les développer. Or, pour
les designers, les concepteurs, les chefs de produits, il est important d'être
proches des utilisateurs et des lieux de pratique. Ainsi, toutes les équipes de
notre univers montagne Quechua sont-elles depuis peu installées à Chamonix. On
fera de même pour les autres univers. L'équipe Tribord va ainsi être
délocalisée prochainement sur un site de la Côte Atlantique.
Comment sont perçues ces délocalisations en interne ?
Très bien. Nous embauchons des sportifs pratiquants. Il est donc plus facile
pour eux de pratiquer la montagne à Chamonix et la voile au bord de l'eau !
Où fabriquez-vous vos produits ?
En Asie, en Europe
Centrale, au Maghreb. Nous avons encore des sites de production en France mais
évidemment de moins en moins.
Quelles sont les vraies forces de la marque Décathlon ?
Il y a un vrai attachement et une vraie
fidélité à nos magasins. Nos points de différenciation, c'est d'abord le fait
d'être les seuls à rassembler tous les sports sous un même toit. Le deuxième
élément, c'est le sens du service. L'an dernier, Décathlon a été élue enseigne
ayant les vendeurs les plus accueillants, et ce, tous secteurs de distribution
confondus. Mais l'élément différenciant très fort aussi, c'est d'être à la fois
concepteur et distributeur. Cela nous permet d'offrir des prix bas, de bien
connaître nos clients. Beaucoup d'informations remontent du magasin. Nous avons
notamment une chaîne très aboutie via l'Intranet, d'écoute du consommateur.
Nous avons aussi toute une stratégie appelée "Missions-Tests". C'est un procédé
de tests de tous nos produits que nous faisons en mélangeant nos clients et nos
ingénieurs. Dès qu'un chef de rayon repère un bon client de la marque Quechua,
par exemple, il lui propose de partir à Chamonix. Et les gens disent oui ! Ils
passent de deux jours à une semaine à essayer du matériel avec des chefs de
produits et des ingénieurs et ils notent les produits.
L'offensive à l'étranger, entamée en 1992, se poursuit à un rythme exponentiel...
Depuis trois ans, nous ouvrons plus de magasins à
l'étranger qu'en France. En 2001, nous avons ouvert 15 magasins à l'étranger et
11 dans l'Hexagone. Cette année, ce sera 23 (dont 20 à l'étranger). Nous
comptons aujourd'hui 320 magasins dans le monde, dont 110 à l'étranger.
L'internationalisation est très importante pour nous. On est très avancé en
Espagne, en Italie. La prochaine frontière, c'est l'Asie et notamment la Chine
que nous connaissons bien avec nos bureaux de production et que nous comptons
développer à l'avenir en matière de distribution.
Vous dites que ce marketing est passionnant. En quoi ?
D'une part, parce que c'est
un challenge passionnant d'inventer l'équation concepteur-distributeur.
Ensuite, parce que cet univers intègre des choses que n'a pas la grande
distribution : un marché très large, par exemple. Le sport, c'est à la fois du
design, des aspects très techniques sur le vélo, le surf, le ski... Il existe
une attention aux produits qui n'existe pas dans la grande conso. Pour un chef
de produit sur les shampooings, les spiritueux ou la lessive, certes le produit
est important, mais il évolue peu. Si vous sortez une nouvelle référence tous
les ans, c'est extraordinaire. Et parfois, c'est un nouveau bouchon, un nouveau
parfum... Chez nous, le produit est vraiment quelque chose de très important.
Il est au coeur de la stratégie et l'on en sort des centaines tous les ans.
Cela a justifié la restructuration de l'ensemble des équipes...
Oui, la direction marketing fait désormais partie d'une
entité appelée "Décathlon Création". Elle comprend le design - Décathlon, c'est
le premier centre de design en France avec plus de 55 designers -, le bureau
d'études, l'innovation et enfin l'Institut "Du corps au sport" qui est notre
Centre de recherche. Ces cinq entités fonctionnent ensemble et l'on essaie de
développer un marketing au sens très large où chaque responsable d'univers
collabore avec des designers, le bureau d'études, en plus de son travail sur le
mix-produit. C'est passionnant !
D'où vient cet esprit Décathlon ?
De nos actionnaires, de nos fondateurs et de la vocation de
l'entreprise qui est "l'épanouissement du plus grand nombre par le sport".
"Epanouir", littéralement, c'est l'action d'une fleur dont les pétales
s'ouvrent au soleil. Au figuré, c'est rendre les gens heureux. Il y a une vraie
vocation d'humanisme chez Décathlon dès le départ. On le ressent en interne.
Depuis le tout début, par exemple, la société a instauré la participation des
salariés à l'actionnariat. Dans nos valeurs d'entreprise, il y a la fraternité
et toutes nos marques se doivent d'intégrer cette dimension dans leur
positionnement.
Comment évolue la concurrence ?
Nous
avons constamment des concurrents, d'autant que nous avons été les premiers à
développer ce concept. Aujourd'hui, le grand challenge, c'est l'international.
Décathlon est l'une des enseignes les plus internationales, elle fait partie
des 5 premiers distributeurs mondiaux et se situe autour du 10e rang en matière
de production. Mais il n'y a pas de grand leader mondial présent dans tous les
pays. Donc les places sont à prendre.
Vous faites beaucoup de sponsoring ?
Nous ne faisons pas de sponsoring mais seulement du
partenariat technique. Le sponsoring, on aime pas, parce que c'est donner un
chèque à quelqu'un et l'année d'après quelqu'un d'autre fait un autre chèque...
Ce n'est pas conforme à nos valeurs. En revanche, nous développons des
partenariats avec des champions comme Karine Ruby, Alain Gauthier ou l'équipe
de foot de Lille, auxquels nous fournissons du matériel pour qu'ils collaborent
à leur mise au point.
Que pensez-vous de l'évolution du sport professionnel ?
Le sport est un élément porteur dans la vie des
gens. Aujourd'hui, ce qui fait progresser le marché, c'est le sport-plaisir.
Notre institut de recherche "Du corps au sport" est très typique de notre
vocation : développer le bien-être, le confort, la sécurité en matière de
sport. Car le sport fait mal au corps. Un jogging, c'est traumatique. Cet
institut essaie de développer des innovations pour limiter les traumatismes du
corps. C'est notre axe prioritaire et notre vocation. Décathlon veut développer
du matériel de haut niveau, mais nos valeurs, c'est le sport humaniste.
Biographie
Stéphane Roche a 40 ans, il est marié et père de deux enfants. Diplômé de l'ESCP, il fait deux années de voile à temps plein (La Course autour du Monde, Championnats du monde d'hiver...) avant d'entrer chez Procter en tant qu'assistant chef de produit, puis chef de produit pendant 4 ans. Il est ensuite pendant 10 ans chez Pernod-Ricard, tour à tour chef de groupe pour toutes les marques hors pastis, directeur de la filiale CEI basée à Moscou, et enfin, pendant les deux dernières années, directeur international de Ricard. Il dirige le marketing et la communication internationale de Décathlon depuis un an et demi.
Décathlon et la recherche
Créé en 1997, le Centre de Recherche de Décathlon, également appelé Institut Du corps au sport, vise à développer la connaissance du corps humain dans tous les sports et pour tout type de produits. En partenariat avec les plus grands laboratoires mondiaux, cette équipe de 15 personnes mène 30 à 40 programmes de recherche par an.