«Le marketing se reconstruit en permanence»
Maître de conférence à la Sorbonne, consultant, auteur de nombreux ouvrages sur le marketing, Jean-Marc Lehu voit dans la crise, que traverse le marketing, une opportunité de se réinventer.
Je m'abonneMM : A quoi attribuez-vous cette crise de la consommation ?
Jean-Marc Lehu : Nous constatons effectivement que, dans nos
pays, le pouvoir d'achat baisse, ou du moins sa part disponible. L'augmentation
des salaires n'a pas suivi l'augmentation des prix. Nous sommes face à une
inflation cachée. Par ailleurs, nous assistons à une évolution sociétale. Nous
ne travaillons plus aujourd'hui comme hier, nous n'avons plus les mêmes
horaires, les mêmes contraintes. Nous avons découvert d'autres cultures, de
nouveaux modes de vie. Parallèlement, la palette de biens disponibles s'est
considérablement élargie. Il existe donc d'innombrables variables qui influent
sur la consommation. La multitude de ces variables rendent le travail du
marketing plus difficile. D'autant que ce panier de variables varie d'un
consommateur à l'autre, sans qu'il en soit conscient, sans qu'il soit capable
de le verbaliser.
MM : Quel est le mot clé du consommateur qui se dessine ?
J-M L: Le réarbitrage. C'est un des éléments majeurs
qui peut justifier les choix du consommateur. Mais la révolution rampante non
perçue, c'est l'effondrement, l'abolition des freins sociaux. Il y a encore dix
ans, nous étions dans des aspirations statutaires. La marque créait le statut.
Aujourd'hui, si je roule en Logan, personne ne me pointera du doigt. Ce que
nous recherchons, c'est satisfaire un besoin primaire. Internet a largement
contribué à cela en aidant les gens à chercher un prix. Le marketing n'a pas vu
le vent tourner. Il a perdu le sens de la valeur, de la différenciation
absolue.
MM : Les programmes de CRM n'ont-ils pas été conçus pour nouer des liens privilégiés avec les consommateurs…
J-M L:
Essayons de faire de la fidélisation naturelle du consommateur. La stratégie
doit être conçue par les entreprises et comprise par le consommateur qui, une
fois encore, attend de la simplicité.
MM : Comment le marketing peut-il revenir dans la course ?
J-M L: La dernière bataille
c'est celle de la marque. Il faut améliorer son image objective. Le
consommateur veut se simplifier la vie, se sécuriser la vie et trouver des
solutions pour lui et ceux qui lui sont chers. Si la marque n'arrive pas à se
faire la garante de ces solutions, alors le consommateur ira ailleurs.
Certaines entreprises, comme Procter & Gamble, ont entamé leur mue, elles
multiplient les remontées d'informations pour mettre en œuvre un marketing
consommateur. Il faut enfin comprendre que le marketing n'est pas de la magie
avec des réponses à l'emporte-pièce.
MM : Comment envisagez-vous l'avenir du marketing ?
J-M L: Il ne faut pas tomber dans le
piège de la mort du marketing. Il est là et ce qu'on attend de lui, c'est
qu'il sache se réinventer. Qui mieux que lui peut le faire. Le marketing se
reconstruit en permanence. C'est la science de gestion qui est la plus capable
de le faire. Et nous sommes là pour assister à son évolution.